Valeur 2 euros 2 EUR = 1,99 USD Devise: Euro (2002-présent) BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND D ΓΣ WWU 1999-2009 . Graveur : Georgios Stamatopoulos. Geórgios
Article écrit par Tara Chapron Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le 12 janvier 2021. Introduction L’âge du Bronze est synonyme de mouvement la circulation de matières premières, d’échanges de biens, la mobilité individuelle et celle des populations. Les vestiges archéologiques des costumes féminins de cette période, particulièrement dans le Nord de l’Europe, sont un médian privilégié pour aborder ces trois aspects. Sur les sept costumes complets conservés de l’âge du Bronze au musée national du Danemark, trois d’entres eux appartenaient à des femmes. Ils sont connus sous les noms de costume de la femme de Borum Eshøj, de la femme de Skrydstrup et de la fille d’Egtved. L’état de conservation de ces derniers est tout à fait exceptionnel grâce aux méthodes d’inhumation. En effet, les corps étaient enterrés vêtus, enveloppés dans une couverture avant d’être déposés dans un cercueil taillé dans le tronc d’un chêne. Le cercueil était ensuite recouvert d’un tumulus. La combinaison du tertre et du chêne a permis une protection à la fois hermétique à l’eau de pluie et de conserver les fibres organiques par l’acidité tannique. Par ailleurs, le chêne permet de réaliser une datation par dendrochronologie des inhumations. Ainsi ces trois costumes sont contemporains et datent respectivement de 1351 1300 et 1370 C’est donc en s’appuyant principalement sur ces trois costumes que nous aborderons l’identité de leur propriétaire avant de revenir sur les débats concernant la mobilité et le statut des élites féminines. I. Les costumes de la femme nordique à l’Âge du bronze. Des analyses ostéologiques et/ou les artefacts retrouvés dans les tombes prouvent qu’il s’agit bien de costumes portés par des femmes. Il s’agit en outre de vêtements qui étaient portés quotidiennement, ou du moins couramment, comme le montrent les traces d’usure2. Les trois costumes ont en commun d’être en laine et d’être composés d’un même haut coupé à la taille, à col bateau et aux manches trois-quarts kimono. La différence dans l’habillement concerne deux d’entres-elles qui portait une jupe longue tandis que la troisième portait une jupe courte à cordes. A. Le modèle à jupe courte. Il n’existe qu’un seul exemple complet de ce modèle, celui de la fille d’Egtved. Des costumes fragmentaires existent tout de même qui permettent de compléter l’étude du modèle. La plupart proviennent de tumuli en périphérie d’un tumulus central et datent du début de l’âge du Bronze scandinave 1700-1100 Sur l’exemple de la fille d’Egtved, la jupe est composée de cordelettes tressées en série et maintenues par un fin fil sur une bordure étroite. Les cordelettes se terminent en anneaux et un lien est enfilé pour maintenir les cordes en place. La jupe est enroulée deux fois autour de la taille et tombe sur les hanches. Sur d’autres exemples, les cordelettes étaient parfois ornées de tubes en bronze sur une ou deux rangées. Ces éléments métalliques sont le plus souvent tout ce qui subsiste des jupes et ce qui suggère ainsi sa présence. Ce modèle de jupe pourrait être très ancien, peut-être du Néolithique les cordelettes n’étaient pas en laine mais en fibres végétales comme à Robenhausen près de Zurich en Suisse. De rares tubes retrouvés dans des contextes tardifs de l’âge du Bronze, attestent que la jupe est portée jusqu’au moins la période IV 1100-950 et V 950-750 La manière dont est portée la jupe a soulevé un grand débat au milieu des années 1950 mais c’est finalement l’hypothèse d’Hansen qui est retenue c’est-à-dire que la jupe est portée sur les hanches et non à la taille puisque les tubes sont toujours retrouvés au dessous de la taille4. Figure 1 – La fille d’Egtved, Source dernière consultation le 30/08/2019 B. Le modèle de la jupe longue. Le modèle à jupe longue est une jupe montante, fortement plissée à la taille en larges replis et très ample. Une ceinture tressée retient la jupe. La trame est fortement tendue pour rapprocher les fils de chaîne ce qui crée un effet d’optique où on ne voit presque qu’eux et rend les franges plus nombreuses qu’elles ne le sont vraiment. Dans le cas de la femme de Skrydstrup, Hans Christian Broholm pense que la jupe ne pouvait être portée comme elle est positionnée sur le corps5 la ceinture est en dessous des hanches et ainsi ajustée le tissu trainerait sur le sol. Elle suggère que le tissu serait donc positionné dans le cercueil comme un linceul. Plusieurs tentatives de reconstitutions ont été menées sans pour autant donner de résultat convaincant. En 1949, Inga Henning Almgren6 propose que le tissu aurait pu être porté dans le style grec classique avec une épingle pour retenir le tissu à l’horizontal ou à la verticale. Cette proposition n’est pas retenue mais ouvre le débat sur un rapprochement des costumes du nord et du sud de l’Europe, notamment suite aux découvertes des sépultures de Vergina Ha, B, C, D en Macédoine. Sophie Begerbrant et Serena Sabati, remarquent que si le tissu est relevé environ 40 cm au dessus des épaules, il peut former une sorte de capuche qui couvre la tête et qui retombe sur le devant et sur le long des côtés en deux rabats vastes et pliés qui couvrent les bras et une partie des jambes7. Il permettrait, ainsi ajusté, une liberté des mouvements, de réchauffer le corps et même de servir comme sac de couchage pour la nuit. Elles soutiennent cette hypothèse par une scène de la roche de Kivik où plusieurs figures en S » pourraient représenter des femmes en deuil portant un vêtement long, large et à capuche. Un textile rectangulaire dans la tombe de la fille d’Egtved pourrait également avoir été cousu comme une pièce cylindrique et la jeune fille devait le plier sur la hauteur pour former une capuche. La bordure a en effet des trous déformés avec des restes de fils, ce qui peut valider cette théorie8. Figure 2- Femme de Borum Eshøj, Source indtil-aar-1050/bronzealderen-1700-fkr-500-fkr/ dernière consultation le 30/08/2019 Figure 3 – Femme de Skrydstrup, Source indtil-aar-1050/bronzealderen-1700-fkr-500-fkr/ dernière consultation le 30/08/2019 C. Bijoux et ornements. Les vêtements étaient souvent accompagnés de parures en bronze et parfois en or. Cela forme un tout ce n’est pas le vêtement qui met en valeur la parure ou la parure qui met en valeur le vêtement mais l’un et l’autre fonctionnent ensemble de manière égale et complémentaire. La parure fait donc partie intégrante du costume. Il est très commun entre la période II à la période V 1500-750 env. de l’âge du Bronze nordique et ses alentours de trouver en association dans les sépultures des élites des ceintures, des colliers couvrant le cou et le col, des bracelets en spirale et des fibules. D’après les tombes, que ce soit pour le costume masculin ou féminin, la parure est présente mais différente selon les genres. Les hommes portent souvent des bracelets alors que les femmes portent une panoplie complète. Cette panoplie peut se constituer de disques de cheveux, d’anneaux d’oreilles et de doigts, bagues en ressort en or, colliers de perles en verre et ambre pour les tombes les plus riches, gorgerin, bracelets, disque de ceinture, jambières, ainsi que des épingles pour maintenir le vêtement. Les manières de porter les parures sont interprétées selon les contextes de découvertes et sont souvent similaires pour les périodes II et III 1550-1200 Les traces d’usure sont aussi de bons indices pour comprendre la manière dont ils sont portés9. Figure 4- Reconstitution du costume féminin avec parure, Source Flemming Bau II. Statut et fonction de la femme et de son costume. Les costumes féminins ont soulevé de grands débats pour définir l’identité des porteurs. Ce qui est sûr c’est qu’étant donné le contexte d’inhumation, il s’agit de personnages de haut rang. Un tumulus implique une main d’œuvre importante. Aussi le défunt ne peut qu’appartenir à une élite de ces sociétés. La découverte de la fille d’Egtved conduit Thomsen à dresser une base de trois interprétations possibles de son statut, en comparaison avec le seul exemple connu alors, la femme de Borum Eshøj. Ces hypothèses sont fréquemment citées dans la recherche et servent encore aujourd’hui de base pour de nouvelles. A. Une question de saison. La première idée est qu’il y a différents vêtements qui conviennent au changement de température. La jupe courte serait un vêtement pour la saison chaude donc entre mars et mi octobre et la jupe longue pour la saison froide. Parmi les éléments organiques conservés dans la tombe d’Egtved, une fleur achillée achillea mille-folium a été retrouvée et prouve que l’inhumation a eu lieu entre juin et septembre. Cela pourrait donc convenir. Toutefois la tombe de Skrydstrup a permis la conservation d’anthriscus silvestris complètement développées or elles poussent d’avril à octobre et fleurissent entre mai et juin. Les deux femmes auraient été enterrées à la même saison, donc la théorie ne fonctionne pas10. B. Fille et femme. Selon Thomsen, la jupe à cordelettes pourrait être un vêtement de jeune fille fertile non mariée ou plus généralement d’une femme non mariée alors que la jupe longue serait liée au statut de mère ou de femme mariée. La longueur de la jupe et le fait de pouvoir voir à travers les cordelettes y compris le ventre sont les éléments qui ont conduit à cette hypothèse. La thèse d’Orjan Engedal publiée en 2010 fait également état de cette théorie. Le changement de costume se serait produit vers l’âge de 17 à 19 ans mais l’affirmer est difficile car les artefacts humains dans les tombes sont rares. Une théorie émise par Eskilden et Lomborg d’après une idée de Nielsen. La jupe longue pourrait être réutilisée pour former un kilt, une cape ou un châle selon la longueur de la jupe11. La jupe à cordelettes serait donc, selon eux, un vêtement féminin élaboré à partir de chutes d’un ou plusieurs morceaux. Sur quarante-trois tombes dans lesquelles des traces de jupes à cordelettes sont attestées, seulement huit documentent l’âge du défunt. La tombe C de Trindhøj dans la commune de Vamdrup, par exemple, datée par dendrochronologie de 1347 avant notre ère, ne possède aucun os conservé ; mais l’intérieur du coffre mesure 1,13 m sur 0,34-0,31 m pour une profondeur de 18 cm. Une étude sur la croissance des enfants réalisée par la Wold Health Organization12 montre que la plupart des enfants atteignent la hauteur 1,10 m avant l’âge de six ans, ce qui signifie que le défunt dans cette tombe était certainement âgé de moins de six ans. La jupe à cordelettes semble avoir été portée pendant toute la durée de l’âge du Bronze, par des enfants comme des adultes13. L’âge n’est donc pas un critère du port de ce vêtement. C. Rituel. Enfin, Christian Jürgensen Thomsen propose de considérer le modèle de jupe à cordelettes comme un costume rituel qui ne peut être porté que par une seule une catégorie sociale. La littérature scientifique actuelle privilégie l’hypothèse d’une panoplie dans un contexte rituel. Il est même précisé que la jupe pourrait signifier que la porteuse est danseuse d’un rituel érotique dans un temple14. L’idée est peut-être influencée par la décence de l’époque. La figurine de Fårdal de la fin de l’âge du Bronze est l’une des preuves matérielles de cette interprétation. Les figurines à l’appui de la théorie d’un lien rituel avec la jupe, portent des bijoux tels que des anneaux de cou et la jupe à cordelettes, sans rien d’autre. Elles datent toutes cependant de la fin de l’âge de Bronze, période IV et V entre 1200 et 750 et les jupes des figurines sont bien plus courtes15. Dans le cas de la fille d’Egtved, la jupe mesure 38-40 cm de long. Dans la tombe d’Ølby les cordelettes sont assez longues pour recevoir deux rangées de tubes de bronze, et trois rangées pour le cas de Melhøj. Les protubérances observées sur le torse de la figurine de Fårdal et sur le manche du couteau de Itzehoe indiquent qu’il s’agit bien de représentations féminines, mais cela n’est pas toujours aussi évident. Au total sept représentations anthropomorphes ont été découvertes à ce jour, mais on ne connait l’apparence que de six elles ont pour la plupart été perdues mais des dessins archéologiques permettent de garder un témoignage de leur apparence. Les figurines représentées en plein saut périlleux sont parfois difficiles à genrer mais toutes semblent au moins liées à une activité rituelle. Cela ne signifie pas pour autant un lien systématique entre la jupe et le sacré. Figurine de Grevensvænge, source Tara Chapron Figure 6 – Figurine de Fårdal, Source Tara Chapron Klavs Randsborg envisage les différents statuts possibles pour la femme sans pour autant détailler les éléments qui l’amène à ses hypothèses. Il note qu’entre 1500-1300 avant notre ère, une élite féminine porte à la ceinture un disque semblable à celui soleil du chariot de Trundholm sur le ventre, peut-être en lien avec leur rôle dans la société. Il note également qu’elles portent la jupe à cordelettes. Selon cet auteur, les disques de ceintures auraient été portés de symboles calendaires secrets, les femmes les portant sont liées d’une manière ou d’une autre au culte rituel du soleil. Quelques uns des disques seraient tout de même des imitations formelles faites sans la connaissance du sens de ces objets. L’argument est tout de même difficile à suivre puisque la plupart des ceinturons mobilisés à l’appui de son hypothèse ne possèdent pas d’information calendaire. Aussi si sur un quelconque contexte on applique ce critère à l’ensemble des tombes avec des restes textiles de jupe à cordelettes et de tubes de bronze, il apparaît que moins de la moitié des défunts pouvaient être classés comme membre actif du culte en incluant la haute société ce pourcentage atteint 37%, si l’on intègre les dépôts cela touche 56%. Les traces de jupe se concentrent tout de même dans les tombes accompagnées d’objets en bronze présents en moyenne et grande quantité. Si ceux-ci sont les témoins d’un rang social plus ou moins élevé, alors l’utilisation de la jupe à cordelettes pourrait être associée à une large variété de groupes sociaux élevés. Le modèle est porté dans le sud de la Scandinavie au début de l’âge du Bronze 1550 à 1200 et dans une zone plus limitée pour les modèles avec tubes de bronze. Le foyer originel se situerait dans le nord de Seeland avant de se diffuser dans l’ouest et l’est et a généralement été utilisé à la période III en Scandinavie où on le retrouve dans les tombes sous tertre, quelque fois sous le tertre principal mais plus souvent secondaire. Deux tombes seulement contiennent des traces de jupe Valleberga, inhumation proche d’un tertre qui contient un plat de ceintures, deux spirales de bras et une quantité importante de tubes de bronze ; et Gyldensgård, qui date du début de l’âge du Bronze, crémation associée à un tertre, qui contient des tubes de bronze uniquement. L’association à un tertre est tout de même récurrente, ce qui démontre que le modèle semble avoir été préféré par les femmes d’une condition sociale élevée. Lorsque le traitement du corps est la crémation, alors les tubes en bronze attestent encore son utilisation. En l’état actuel des sources, il est impossible de démontrer l’existence d’un lien entre le type de jupe et une fonction rituelle ou religieuse ; difficile aussi d’inférer un lien entre le port de ce vêtement et un des statuts de la vie des femmes classe d’âge, maternité, le veuvage…. Ces différences sont peut-être plus remarquables par la coiffure et non au vêtement. Ainsi, la fille d’Egtved porte les cheveux courts, à la Jeanne d’Arc », alors que ceux de Skrydstrup sont retenus dans un filet. La jupe est probablement un simple type de vêtement apprécié par les femmes du début de l’âge du Bronze, porté pour la vie quotidienne ainsi que pour des activités rituelles. Le goût pour ce vêtement ou bien le fait de le décorer avec des tubes en bronze aurait peut-être décliné à la fin de l’âge du Bronze ou bien fortement raccourci à la hauteur des jupes des figurines anthropomorphes. Il est possible aussi que la jupe n’ait pas été plus portée dans le quotidien mais toujours lors des rituels16. III. Échanges et mobilités à l’âge de Bronze. A. Un contexte d’échange. Vers 2000 avant notre ère, la technique du bronze est diffusée sur toute l’Europe occidentale et méridionale avant d’atteindre aussi l’Europe du Nord. Les cultures situées à proximité des centres miniers exercent une influence considérable sur les groupes voisins ce qui leur confère un pouvoir commercial et politique. La zone nordique Danemark, Suède, Hollande, Allemagne du Nord ne possède aucun gisement métallifère mais en échange d’ambre du Jutland et des rives de la Baltique qui sert à la confection des perles, elle importe des outils tels que des haches à rebords, des armes, du cuivre, de l’étain de Bohême, des Alpes ou de la Bretagne. Le Nord est aussi en lien avec la région des Carpates, qui est très riche en métal, il est possible que des échanges de métal brut étaient aussi organisés. Ces échanges ont permis aux bronziers scandinaves de créer des objets remarquables comme des épées ou des haches qu’ils exportent ensuite jusqu’en Europe de l’Ouest. Ils réalisent des créations originales qui démontrent qu’ils sont aussi d’excellents métallurgistes, comme en atteste le modèle réduit de cheval à roues en bronze moulé tirant un disque solaire de 1650 environ av. découvert à Trundholm au Danemark. Figure 7- Char de Trundholm, Source Tara Chapron Maîtriser la métallurgie signifie maîtriser une matière première recyclable si un objet est cassé il peut être refondu et remoulé pour être une arme, une parure ou un objet domestique. Les métallurgistes développent de nouvelles formes d’armes, d’objets de toilette rasoirs, fibules et de parures bracelets, épingles parfois si sophistiqués qu’ils impliquent une technique de fonderie tout à fait maîtrisée. À partir de 1200 avant notre ère, les techniques du bronze sont toutes maîtrisées en Europe. L’ensemble des artefacts retrouvés dans les dépôts, les sépultures et les objets eux-mêmes suggèrent en effet une production importante et en série, ce qui indique l’existence de nombreuses voies de communication, des relais commerciaux, des véhicules, une organisation de protection. Certes, dès les débuts de l’âge du Bronze, la production subit de nombreux changements mais aussi toute l’organisation autour. Elle bénéficie de la simplification du transport par l’utilisation de la roue à rayons et des progrès de la navigation. À la fin de l’âge du Bronze, les relations sont internationales et les sociétés sont interdépendantes les unes des autres et ce, malgré, leurs différences culturelles17. B. Une élite dynamique et mobile. L’âge du Bronze est une période de changements techniques mais aussi sociaux. Les sociétés productrices sont en effet de plus en plus hiérarchisées et ce de manière complexe. Autour de la production métallurgique plusieurs fonctions encadrent cette activité, leur donnant à chacun un pouvoir de plus en plus important à mesure de l’intensification de la production. Ces derniers sont les fabricants, les trafiquants ou encore des puissants contrôlant les échanges. La production d’objets de prestige raffinés suggère une évolution de l’esthétique et de la pensée. C’est par ces objets que se distingue une classe privilégiée. À l’âge du Bronze ancien celle-ci emporte dans sa tombe les symboles de son pouvoir, marqués sur les objets tels que les armes, la vaisselle, la parure18. Cette élite ainsi que les autres acteurs de ces échanges marchands semblent être la clef des échanges pour assurer le transport de biens et des idées à travers de longs voyages. Cette élite mobile et ouverte sur les échanges à longues distances se distingue des paysans immobiles. Un des symptômes de cette mobilité est la réalisation d’alliances matrimoniales dans des cultures parfois très éloignées. D’autres raisons qui peuvent expliquer ces déplacements sont les pélerinages et autres rassemblements religieux. En effet le pouvoir rituel peut exiger un système de transaction ou une mobilité, ramener des biens d’échanges ou de prestige, s’échapper un moment de la limitation de la société du village, rechercher la gloire, ou de nouveaux échanges pour agrandir un réseau au delà du local. Les objets dans les tombes sont les témoins de cette mobilité, assurent qui se déplacent et montrent que les objets circulent autant que les hommes. Les petits objets comme les épingles ou les fibules ne sont pas échangés ou donnés19. S’ils sont en dehors du contexte local alors ils reflètent un mouvement d’individus et peut-être même de l’imitation. Une personne peut tout à fait profiter d’un déplacement pour acheter une fibule pour remplacer la sienne qui aurait cassée. Quant aux objets de prestige, ils sont définis par des valeurs sociales, souvent fort élaborés et requièrent un artisanat spécialisé. Ils peuvent être échangés ou offerts en cadeaux diplomatiques par des chefs ou entre chefs et vassaux. Ils peuvent être personnels ornement, arme ou bien servent une fonction sociale amphore, coupe, instrument de musique. Ils peuvent être de production locale ou bien être importés et informer ainsi sur les alliances politiques au niveau local ou régional. Pour les objets échangés, la situation est un peu plus complexe. Ils peuvent l’être pour des raisons économiques et pratiques plutôt que symboliques. Il s’agit de l’ambre, de l’étain, du cuivre, de l’or, du bronze et autre. Le pouvoir politique nécessite un accès assuré aux ressources. Le terme d’identité est employé depuis les années 1990 pour évoquer les individus contextualisés dans une société. Définir le système sociopolitique des sociétés protohistoriques est encore une grande difficulté. Les comparaisons sont généralement appuyées sur des modèles de bandes, tribus, chefferies, et états. Le concept de chefferie est le plus souvent adopté. La survie d’une société dépend du succès économique, du contrôle des terres et du labeur au niveau local des personnes sous le commandement des chefs. Plusieurs types de pouvoirs sont mêlés au sein d’une société comme le pouvoir politique et militaire. L’importance du pouvoir politique peut être estimé par les langues que l’individu pratique. Les paysans auraient un langage proche du dialecte rendant la communication entre régions parfois difficile à l’inverse de l’élite qui parle un langage international. Pendant l’âge du Fer et la période Viking, c’est un langage scandinave commun qui était utilisé. Le rôle et l’influence de secteur de cette élite dépendent du système sociopolitique adopté20. Les héros de la littérature de l’âge du Bronze sont les héros d’Homère comme Ulysse, partis pour revenir plus victorieux. La fille d’Egtved est un de ces exemples de grands voyageurs. Morte à dix-huit ans pendant l’été 1370 av.,nè. selon une analyse dendrochronologique, elle aurait parcouru une longue distance avant de finir ses jours dans le Jutland méridional. Elle aurait grandi loin du Danemark et est un témoin des alliances sur longue distance21. L’élite de l’âge du Bronze devait être une élite itinérante assurant les échanges et pour cela pratiquer un langage universel ». Les biens de prestige en bronze permettent de reconnaître les personnages de l’élite de l’âge du Bronze. Si le bronze est considéré comme une matière de valeur c’est en raison de la rareté des matériaux dans plusieurs régions. Toutefois si le métal est si cher et qui plus est, recyclable, pourquoi est-il déposé en offrande dans des dépôts ou cercueils ? Les raisons peuvent être l’importance culturelle du dépôt votif et que d’une certaine manière cela maintient une valeur marchande en l’ôtant de la circulation. Les objets de prestige ne sont peut-être pas ceux estimés en tant que tels. Les objets qui accompagnent le corps semblent être standardisés par région. On retrouve une sélection d’artefacts du domaine fonctionnel comme des accessoires de costumes comme des fibules, des équipements de toilettes comme des peignes, des contenants et des armes. Aucune identification précise n’a pu jusqu’ici être définie d’après ces derniers. À l’inverse, il est aisé de différencier une tombe masculine et féminine par le costume, riche ou pauvre selon le type de tombe. L’identité s’explique peut-être par la combinaison des objets. L’âge du Bronze est donc une période de changements sociopolitiques. Les objets enterrés avec les corps ne suffisent peut-être à eux seuls de déterminer l’identité de l’élite des sociétés de l’Europe du Nord et du Sud. L’ensemble du costume et des objets associés même les os, doivent sûrement être analysés ensemble pour comprendre le rôle de l’individu22. C. Polémiques sur les méthodes d’analyse archéologiques. Le costume le plus médiatisé est celui de la fille d’Egtved. Des découvertes scientifiques en 2014 ont permis de repenser la mobilité des sociétés de l’âge du Bronze. Ces résultats ont été obtenus par un protocole chimique de système de tracé isotopes de strontium sur ses cheveux, dents, ongles. Le même procédé a démontré que la femme de Skrydstrup serait arrivée au Danemark vers ses 12 ou 13 ans et décédée quatre ans plus tard dans le Jutland23. Les fibres textiles du costume de la fille d’Egtved ont aussi été analysées et indiquent que la laine été produite en dehors de la zone actuelle du Danemark. Les recherches ont été poussées sur d’autres échantillons contemporains afin d’observer si le premier cas est isolé ou si le phénomène est commun. Les résultats indiquent que 70% des fibres de laines analysées proviennent de moutons élevés en dehors des limites du Danemark actuel. Chaque cas a tout de même son propre pourcentage de fibres locales et non locales. Ce qui est intéressant par ces résultats c’est que la laine serait donc bien une source d’échange peut-être importante durant l’âge du Bronze nordique, mais comment l’échange est-il procédé ? Il existe trois possibilités la fibre est produite non localement, mais le tissage est fait sur place ; les pièces de textile tissées sont échangées et transformées en vêtement localement ; le vêtement est entièrement fait à l’étranger et le voyageur le ramène localement sur lui. Elles peuvent évidemment être toutes les trois Une récente étude de 2019 présente des résultats qui remettent en cause tout ce processus. Les résultats des mesures de tracé isotopes de strontium dépendent d’une comparaison du taux de strontium à une base de donnée établie par un relevé des taux contemporains dans des espaces choisis. Or il faut savoir que les taux de strontium varient en fonction de la contamination des sols avec des pesticides notamment. Le Danemark est un pays lourdement cultivé le sol et les cours d’eau peuvent donc être contaminés surtout en surface. L’activité agricole peut jouer sur la distribution des strontiums comme les fertilisateurs, la chaux agricole, le fumier, la nourriture des animaux et les pesticides. Le Jutland est complètement contaminé par l’agriculture. Le problème actuellement c’est que la base établie par Frei sert à d’autres études. L’étude de 2019 suggère, après avoir réévaluée ces problématiques que la laine est locale et que les deux femmes auraient éventuellement migré mais dans un rayon proche de leur lieu d’inhumation25. Ce qui, évidemment, remet en cause les théories de déplacements sur longue distance. Conclusion. Le costume féminin de l’âge du Bronze au Danemark est donc sujet à de nombreux débats que ce soit sur la manière dont il est porté, sa fonction et l’identité du porteur. L’étude du costume permet de s’interroger sur les ressources textiles et minérales, les importations et elle participe à la recherche des identités au sein des sociétés. Si les méthodes d’analyse ne sont pas toujours approuvées et les résultats parfois remis en cause, il n’en reste pas moins que l’élite féminine s’inscrit dans les échanges de la période. Si leur vêtement n’est peut-être pas conçu en dehors des limites du Danemark actuel, leur parure indique pourtant le contraire. Les questions soulevées à propos des conditions d’acquisition de leur costume sont toujours d’actualité. Les parures et autres objets de prestige, venaient-ils à elles ou se déplaçaient-elle pour les acquérir ? Et quelle a été l’échelle de la mobilité de ces femmes relevant du sommet de la hiérarchie sociale, en l’Europe du Nord durant l’âge du bronze ? Tara Chapron Bibliographie Monographies Bergerbrant Sophie, Bronze Age identities costume, conflict and contact in Northern Europe, 1600-1300 BC, Lindome, Bricoleur Press coll. Stockholm studies in archaeology », 2007, 232 p. Broholm Hans Christian et Hald Margrethe, Costumes of the Bronze Age in Denmark contributions to the archaelogy and textile-history of the bronze age, Nyt Nordisk., Copenhagen, 1940, 171 p. Earle Timothy K. et Kristiansen Kristian eds., Organizing Bronze age societies the Mediterranean, Central Europe, and Scandinavia compared, New York, Cambridge University Press, 2010, 303 p. Fokkens Harry et Harding A. F. eds., The Oxford handbook of the European Bronze Age, 1st ed., Oxford, Oxford University Press coll. Oxford handbooks », 2013, 979 p. 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[↩]Kristiansen, Larsson, 2005, p. 35. [↩]Fokkens, Harding, 2013, 979 p. [↩]Felding, 2015, p. 5-20. [↩]Fokkens, Harding, 2013, p. 201-221 [↩]Frei et al., 2015, doi [↩]Frei, Mannering, Vanden Berghe et Kristiansen, 2017, p. 640-654. [↩]Thomsen, Andreasen, 2019, doi [↩] Article écrit par Silvia Marcheselli Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le 14 janvier 2021 À l’exception de l’Arno et de la beauté du canal qu’il offre en traversant la ville, comme aussi des Églises, des ruines anciennes, et des travaux particuliers, Pise a peu d’élégance et d’agrément1». Lors de l’étape pisane de son Voyage en Italie, en 1581, Michel de Montaigne repère ainsi les seuls éléments de la ville qu’il juge remarquables au sein de sa géographie urbaine et de son patrimoine architectural. Le fleuve et plusieurs monuments ressortent dans un paysage qui lui apparaît comme solitaire » cette perception de la ville, à l’apparence renfermée, reflète une identité civique construite, entre autres, sur ces éléments tout au long du Moyen Âge. Aux XIVe et XVe siècle, la fragmentation territoriale qui réduit les régions d’Italie centrale en des entités communales distinctes – bien qu’elles ne soient pas isolées – alimente un processus de définition identitaire des villes. À Pise, de manière accélérée et inédite, l’élaboration de structures politiques, le développement économique, ainsi que les mutations de l’organisation sociale permettent de préciser les limites à l’intérieur desquelles circonscrire l’appartenance de la communauté. L’identité civique de la ville de Pise se bâtit ainsi sur un ensemble d’éléments historiques, politiques, sociaux, dévotionnels et culturels, passés et présents, qui entretiennent des rapports étroits entre eux. Fondée sur ces valeurs, fortes et partagées, la conscience communautaire et identitaire s’affiche également dans les arts. Si, en règle générale, il est souvent possible de retrouver ces caractères politiques, sociaux ou religieux dans la production artistique pisane de la fin de l’époque médiévale, le cas spécifique de la représentation de la ville de Pise nous permet d’interroger la portée de la valeur civique en elle-même. Par le mot civique », selon son étymologie latine dérivée de civis, citoyen », nous allons donc faire référence à l’ensemble de valeurs d’appartenance de la communauté de citoyens, sans nous cantonner à son acception seulement politique. Par l’analyse de l’autoreprésentation de la ville, tantôt personnifiée, tantôt représentée topographiquement, cette étude souhaite replacer cette production picturale au sein du processus de formation de l’identité civique pisane et non de sa seule représentation. La figuration de la ville de Pise en peinture entre le XIVe et le XVe siècle n’est pas seulement la traduction en images d’une conscience identitaire partagée à travers la synthèse des différentes valeurs et idéologies locales, l’autoreprésentation de Pise se situe à la source de la cohésion de la communitas. La reconnaissance d’une symbolique politique. Figure 1 Anonyme, Sainte Ursule sauvant Pise des eaux, après 1392, peinture sur bois, 188 x 358 cm, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. […] Cette femme représente Pise, la tête couronnée d’or, vêtue d’un manteau couvert de cercles et d’aigles, en danger sur les flots, demandant de l’aide à la sainte2». Depuis la description livrée par Vasari dans ses Vite, le tableau de la Sainte Ursule sauvant Pise des eaux Fig. 1 a catalysé les attentions de la critique. Aujourd’hui, l’œuvre ne cesse d’intriguer les visiteurs du Museo Nazionale di San Matteo de Pise, par son grand format rectangulaire 188 x 358 cm, mais aussi en raison de son iconographie originale. Le panneau présente une rare personnification de la ville de Pise sur la gauche, à laquelle sainte Ursule tend la main, accompagnée d’un cortège des dix Vierges. La présence de la jeune princesse, incarnation de la ville de Pise, a toujours accordé au tableau un rôle de reconnaissance identitaire intense et efficace, et lui a permis de jouir d’une grande fortune à l’échelle locale. Ainsi nous le retrouvons aujourd’hui parmi les illustrations des ouvrages majeurs consacrés à l’histoire et aux arts pisans. Malgré cette fascination partagée pour l’œuvre, sa seule interprétation demeurée plausible depuis les mots de Vasari y identifiait une expression de gratitude à sainte Ursule, qui aurait sauvé la ville d’une inondation de l’Arno3. Ce n’est que très récemment qu’une nouvelle hypothèse sur la commande de l’œuvre a fourni des pistes convaincantes pour en donner une lecture politique. Grâce au rapport établi entre les armoiries de la famille d’Appiano présentes sur le cadre du tableau, et l’occurrence du coup d’état de Iacopo d’Appiano le 21 octobre 1392, jour de Sainte Ursule, le choix iconographique s’expliquerait par une commande politique de la part de son nouveau gouvernement4. La main tendue par sainte Ursule à Pise cristalliserait l’acte de libération de la ville par les d’Appiano, une entreprise urgente et nécessaire pour remédier au gouvernement précédent des Gambacorta, dont l’exercice du pouvoir était jugé malhonnête et trop condescendant avec Florence. Si l’identification de la commande des d’Appiano apporte une nouvelle compréhension du tableau, d’autres éléments méritent une attention particulière pour leur contribution au message politique, et par conséquent identitaire, de l’œuvre. Le plus évident apparaît peint sur le manteau de Pise et se détachant sur l’or du manteau de sainte Ursule l’aigle, l’emblème de tradition impériale, rappelle ici la filiation pisane au parti gibelin. Cette adhésion politique était profondément enracinée dans la conscience de la communauté, puisque pour le peuple pisan, la proximité et le soutien de la ville à l’empereur était également percevable d’un point de vue matériel les forces militaires et maritimes pisanes collaboraient aux entreprises impériales depuis le XIIIe siècle, et au siècle suivant le passage des rois des Romains comme Henri VII et Charles IV, faisant étape à Pise avant d’être couronnés empereurs à Rome, provoqua l’installation dans la ville de représentants du pouvoir impérial5. En dépit de cette limitation des libertés gouvernementales de la seigneurie locale, déjà au XIIIe siècle Pise avait bâti une structure institutionnelle solide, au sein de laquelle les différents seigneurs préféraient perpétuer leur foi gibeline6, censée leur garantir l’approbation et la stabilité nécessaires. L’alignement aux côtés de l’Empire devint rapidement un facteur de consolidation idéologique de Pise en opposition aux autres villes guelfes, et notamment Florence, ainsi qu’un élément de cohésion interne – puisque la forte scission entre guelfes et gibelins ne générait pas à Pise les acerbes conflits qui divisaient les autres villes de la péninsule. En corroborant l’hypothèse de la commande des d’Appiano, les aigles permettaient d’expliciter une des motivations du coup d’état de 1392, c’est-à-dire l’antiflorentinisme gibelin que le gouvernement précédent avait remis en question. Ces répercussions matérielles de la fidelité pisane à l’empereur alimentent, de surcroît, une sensibilité civique. Les aigles impériaux matérialisent ici un fondement historique sur lequel s’était construite l’identité citoyenne. Par ce symbole d’adhésion publique et politique, nous assistons à une réduction à l’échelle locale d’une perspective plus large, qui inscrit la ville de Pise dans un réseau d’alliances internationales en s’appropriant les ambitions impériales, la communauté pisane construit aussi sa propre conscience civique. Si, dans le tableau, l’aigle renvoie à des références politiques externes sur lesquelles construire l’identité civique locale, un autre symbole puissant permettait l’autoreprésentation de la ville de Pise, de manière plus introspective cette fois-ci l’étendard de gueules à la croix d’argent. Par la fusion de ces deux éléments étaient réunis dans ces armoires le Comune et le Popolo, c’est-à-dire les deux composantes de la structure communale. La présence de cet étendard montre ainsi combien, pour la communauté, le sentiment d’appartenance à la ville passait aussi par la reconnaissance des valeurs politiques à l’origine du système gouvernemental, tels les principes pisans de libertas et de participation de la communauté au pouvoir. Sans s’attarder davantage sur les origines et les emplois de ces armoiries7, qui étaient largement utilisées pendant le gouvernement des d’Appiano8, il est aussi important d’insister sur la place occupée par ce symbole au sein du tableau. Traversant la composition dans l’axe vertical, le drapeau pisan est porté par sainte Ursule dans sa main gauche, devenant ainsi son second attribut, avec la flèche de son martyre. L’association de cet étendard à des figures de saints n’est pas anodine nous la retrouvons à Pise dans la Vierge à l’Enfant peinte par Turino Vanni et aujourd’hui conservée dans l’église San Paolo a Ripa d’Arno Fig. 2. Dans ce cas, les enseignes du Comune et du Popolo sont portées par San Ranieri et San Torpé, saints patrons de la ville de Pise, ce qui permet de questionner cette œuvre dans ses qualités de commande civique. En revanche, dans l’œuvre du Museo San Matteo, la présence de sainte Ursule pourrait sembler plus problématique représentée ici comme une sainte salvatrice de Pise, elle n’a pourtant jamais revêtu le rôle de sainte patronne de la ville. Cependant, elle est ici une sainte protectrice à qui la ville se confie si la justification politique liée à la commémoration du coup d’état de 1396 est convaincante, elle ne devrait pas exclure les autres valeurs identitaires et civiques dont sainte Ursule est porteuse, et notamment la tradition religieuse, qu’il nous faut désormais prendre en considération. Figure 2 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre saint Ranieri, saint Torpé et deux saints, 1397, Pise, église San Paolo a Ripa d’Arno. © Silvia Marcheselli. Le chemin dévotionnel du message civique La diffusion du culte de sainte Ursule connaît à la fin du Moyen Âge une grande ampleur. Les témoignages dévotionnels liés à cette jeune princesse bretonne, martyrisée aux portes de Cologne avec son cortège de Onze mille Vierges, s’ancrent dans la tradition religieuse de la région germanique depuis le Ve siècle9. L’histoire d’Ursule fait ainsi l’objet de transmissions et de réélaborations progressives, qui, de Cologne, lui permettent de se diffuser vers le reste du continent européen. À partir du Xe siècle, c’est surtout à la circulation des textes, et notamment des passiones qui édictent le récit hagiographique de sainte Ursule – la Passio Fuit tempore pervetusto et la Passio Regnante Domino – que revient la propagation de sa légende. Celle-ci était en mesure, pour ses contenus narratifs mais aussi théologiques, de répondre aux nécessités dévotionnelles de cultures et de sociétés distinctes. À la diffusion des manuscrits se joint aussi la multiplication des reliques, découvertes à Cologne et distribuées non seulement vers les villes et les monastères voisins, mais aussi à l’étranger. Tout au long du Moyen Âge, la puissance maritime et commerciale de Pise lui avait permis d’établir des liens précieux avec les pays de l’Europe et du bassin méditerranéen. Par conséquent, sa participation à la diffusion du culte de sainte Ursule aux XIIIe et XIVe siècles ne paraît ni injustifiée ni inintéressante. Les directions dans lesquelles ce culte voyage sont différentes, et les acteurs qui y contribuent sont nombreux il serait difficile, au stade actuel des recherches, de définir avec précision la place occupée par Pise au sein du réseau de diffusion de ce culte. Néanmoins, il est important de faire l’état de plusieurs facteurs qui ont sans doute fait de Pise un point de convergence pour la dévotion à sainte Ursule et qui nous encouragent à proposer une nouvelle lecture de la portée civique de ce tableau. En premier lieu, à la fin du Moyen Âge, les nouveaux modèles dévotionnels sont liés aux transformations sociales. C’est donc dans les rapports tissés à l’échelle internationale par la bourgeoise marchande émergente qu’il faut rechercher les traces des chemins de diffusion du culte de la sainte. Si, à Florence, des marchands comme Donato Nicolai participent activement au commerce des reliques avec Cologne10, il est possible d’imaginer que les échanges commerciaux – et cultuels – des pisans étaient pareillement orientés vers l’Europe du nord. Or, les relations économiques extérieures de la ville de Pise se développent aussi vers le sud de l’Italie c’est toujours par le truchement des classes marchandes que cette dévotion aurait trouvé un terrain fertile en Sicile11. À la Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis, nous retrouvons sainte Ursule aux pieds d’une Vierge à l’Enfant avec anges et saints, signée par le pisan Turino Vanni Fig. 3. Sans pouvoir établir pour le moment quelle en était la destination d’origine, cette œuvre montre du moins l’enracinement parallèle du culte pour cette sainte, tant dans la dévotion que dans les arts picturaux pisans. Figure 3 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre des archanges et des saints, avec Sainte Ursule, vers 1370, peinture sur bois, 60 x 48 cm, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis. © Galleria Regionale della Sicilia di Palazzo Abatellis. Deuxièmement, et pour revenir aux sources, l’attention portée à la sainte par la société émergente est strictement liée à sa vitalité spirituelle, particulièrement sensible dans sa participation à l’activité des ordres religieux, bénédictins, cisterciens, prémontrés12, et, dans le cas pisan, mendiants dominicains. La mobilité à l’échelle internationale de ces derniers, entreprise dans le cadre de leur formation ecclésiastique et de leur activité de prédication, a ouvert les horizons liturgiques pisans vers l’oltralpe, en rendant le foyer spirituel de la commune toscane extrêmement dynamique13. C’est donc tout autant par le canal dominicain qu’il est possible de suivre la piste de l’importation du culte de sainte Ursule à Pise. Simplement à titre d’exemple typologique, nous retrouvons les traces de ce dynamisme religieux dans l’activité du célèbre prédicateur Fra Giordano da Pisa vers 1260-1310, dont les sermons sont parvenus jusqu’à nous. C’est à Pise, au sein du couvent dominicain de Santa Caterina, que Fra Giordano entreprend dans le dernier quart du XIIIe siècle son activité religieuse. Comme il est relaté dans la Cronica antiqua conventus Sanctae Catherinae di Pisa14, le prédicateur pisan aurait complété sa formation théologique et commencé sa carrière de professeur à la suite de plusieurs déplacements dans la péninsule et à l’étranger, entre Bologne et Paris – où, par ailleurs, l’Université était placée sous le patronage de sainte Ursule et sainte Catherine depuis le début du XIVe siècle. Son voyage à Cologne, qui pourrait se situer dans les premières années du XIVe siècle, n’est qu’une hypothèse le seul témoignage d’une visite dans la ville allemande demeure son sermon du 6 janvier 1305, où Fra Giordano semble déclarer avoir vu les reliques des têtes des Mages qui y sont conservées. Néanmoins, sans s’attarder sur des questions biographiques, il serait plus judicieux de souligner que, lorsque le culte de sainte Ursule se diffusait en Europe et en Italie, Fra Giordano, et comme lui les autres frères des ordres mendiants, circulaient à travers l’Europe, visitaient villes, églises et couvents, apprenaient et transmettaient des modèles spirituels. C’est ainsi que nous gardons la mémoire des sermons de Fra Giordano de Pise pour sainte Ursule15. Le jour des Onze Mille Vierges » – le 21 octobre 1304 -, il prêche à Santa Maria Novella, où étaient conservées depuis 1285, grâce aux rapports entre les dominicains de Florence et ceux de Cologne, les reliques de la tête d’une des Vierges16. De plus, dans un sermon Per Sant’Orsola non daté Inc. Non fui al chomenzamiento », Fra Giordano raconte la légende de la sainte, en décrivant le fonctionnement et le décor du monastère féminin de Cologne comme s’il avait pu le visiter17. Ces références documentent l’ouverture des perspectives spirituelles des ordres mendiants et l’intégration du culte de sainte Ursule en Toscane. À Pise, comme ailleurs dans le reste de l’Italie, notamment à Ravenne et Bologne18, la diffusion du culte de sainte Ursule se noue à l’activité spirituelle des dominicains et au rapprochement qui se produit avec une autre sainte, Catherine. La présence de sainte Ursule dans la prédelle du Polyptyque de Simone Martini pour l’église pisane de Sainte-Catherine Fig. 4 nous démontre que depuis le premier quart du XIVe siècle le culte pour la sainte bretonne et son association à sainte Catherine étaient assimilées par le système spirituel dominicain. Son développement est aussi dû à l’efficacité de communication entre ces deux modèles, proches, de sainteté féminine, qui s’adressent au même réseau de dévots et de laïcs. Il s’agissait des personnes appartenant aux classes sociales marchandes et émergentes qui, à Pise, pouvaient se référer à la Compagnie de Sainte-Ursule19. L’existence de cette compagnie de laïcs, fondée au XIVe siècle20 ou, selon Tronci, vers 142021, confirme lenracinement de ce culte dans cette ville toscane. Si nous n’avons aucune évidence de la provenance de Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux de cette Compagnie, un autre tableau, une bandinella du premier quart du XVe siècle aujourd’hui conservé au Museo San Matteo, lui serait mieux associée22 Fig. 5. Elle présente sainte Ursule en trône, entourée des Vierges, avec à ses pieds des laïcs encapuchonnés, témoignant ainsi de la vénération pour la sainte dans le milieu des confréries pisanes. Figure 4 Simone Martini, Polyptyque de Sainte-Catherine, détail de sainte Ursule, 1319-1323, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 5 Anonyme pisan, Sainte Ursule en trône entre les compagnes et les flagellants, première moitié du XVe siècle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Entre la représentation de sainte Ursule de Simone Martini et de la bandinella, et notre Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux, l’attribut de la sainte, sa bannière, se transforme dans le drapeau pisan. À travers ce transfert symbolique de valeurs civiques sur une présence spirituelle, il est possible d’appréhender la charge identitaire de la représentation iconographique dans son intégralité. Selon notre perspective, dans l’œuvre et dans son message, la distinction entre valeurs politiques et religieuses n’est pas si nette. Le choix de représenter sainte Ursule ne tient pas seulement à sa célébration liturgique le jour du coup d’état de Iacopo d’Appiano, ni exclusivement à la tentative échouée du seigneur pisan d’imposer le culte de cette sainte, patronne du gouvernement23. Le culte de sainte Ursule se diffusait alors dans la péninsule et dans la région et était assimilé par la même société émergente à qui cette œuvre pouvait adresser son message politique. Sainte Ursule, sans être sainte patronne, pourrait être définie comme une sainte civique, puisque la communauté pisane se reconnaissait dans ce modèle dévotionnel au fort impact communicatif. La synthèse des valeurs politiques et religieuses au sein de cette œuvre procède donc d’une double dynamique la famille d’Appiano rend hommage à la sainte protectrice du gouvernement et qui sauve la ville, et la sphère spirituelle de la sainte, enracinée à Pise, est évoquée ici dans une perspective civique. Ce jeu de miroir se matérialise dans les formes. Comme celui de la personnification de Pise, le manteau de sainte Ursule est recouvert des aigles pisans ; la sainte serre d’une part la main de la ville, dans un geste prometteur de salut, et elle brandit de l’autre le drapeau pisan, son symbole civique. C’est en ce sens que l’œuvre cristallise, par l’expression d’une commande politique à travers des références dévotionnelles et civiques, l’élaboration d’une identité communale pisane à la fin du XIVe siècle. Ce lien entre la sainte et la ville de Pise est aussi destiné à se renouveler au siècle suivant. Sainte Ursule tenant le drapeau pisan figure sur un fragment de polyptyque datant du XVe siècle, aujourd’hui conservé au Museo San Matteo, et provenant probablement de l’église San Domenico24. L’ordre dominicain persiste dans la diffusion du culte de sainte Ursule. Or, la portée de l’association de la sainte à la conscience identitaire pisane repose surtout sur l’intense message symbolique transmis par le tableau de Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux. Dans ce dernier, sainte Ursule tend la main à la ville, représentée sous une forme humaine il s’agit de la première consécration de ce lien identitaire, ici exprimé par un modèle iconographique, celui de la personnification, qui ne semble pas trouver de correspondants et mérite d’être lu dans sa complexité. La communitas personnifiée Au-delà de l’héraldique, de la symbolique politique et des repères spirituels, c’est dans la personnification de Pise que réside l’efficacité inédite de l’œuvre. Dans celle-ci se fabrique la conscience identitaire de la communitas de la cité. Par l’incarnation de la ville pisane en une jeune princesse sortant des eaux, un choix précis a été fait celui de ne pas figurer la ville dans sa réalité topographique. Cette dernière aurait pu être plus reconnaissable et plus appropriée pour l’expression narrative d’un événement, comme dans ce cas, de la libération de la ville du gouvernement antérieur. Pour relater une semblable circonstance politique, celle de la fin de la tyrannie d’Ezelino da Romano, la ville de Padoue est représentée dans la chapelle Belludi par une vue à vol d’oiseau, libérée par son patron saint Antoine. Par ailleurs, entre le XVe et le XVIe siècle, sainte Ursule apparaissait le plus souvent au sein de cycles narratifs relatant sa légende dans la scène du martyre de la sainte aux portes de Cologne, la ville est représentée avec ses monuments médiévaux, comme dans l’œuvre du Maître de la légende de Sainte Ursule Fig. 6. Dans le contexte colonais, sainte Ursule était chargée aussi d’un important rôle civique, lié à la libération de la ville à la suite du siège des Huns, après son martyre. Ainsi l’iconographie de la sainte est-elle souvent associée en peinture à des symboles politiques, tels l’hermine héraldique superposée à sa robe25, ainsi que les armoiries des villes où elle fait étape pendant son pèlerinage, qui apparaissent dans le cycle anonyme de la légende de sainte Ursule conservé au Wallraf Richartz Museum 1455-1460. Figure 6 Maître de la légende de Sainte Ursule, Le Martyre de sainte Ursule et des Onze mille Vierges, vers 1492, huile sur toile, 163 x 232 cm, Londres, Victoria and Albert Museum, © Victoria and Albert Museum, London. En revanche, le tableau du Museo San Matteo condense la symbolique civique autour d’une personnification de la ville l’identité pisane est si forte qu’elle peut être incarnée. Or, son incarnation implique des significations qui vont au-delà de la simple symbolisation de la dimension urbaine. Il ne s’agit pas tant de donner corps à la ville de Pise dans sa réalité physique extérieure, mais de représenter son système de valeurs civiques. L’œuvre leur accorde une figure humaine, personnifiée dans une idéalisation gibeline, qui résume l’ensemble des éléments identitaires disséminés dans l’œuvre. Ainsi, afin d’attribuer une forme concrète à une conception abstraite comme l’identité communale, le recours à la personnification s’avère être l’outil le plus approprié. Cette démarche était aussi fréquente en Italie, plus particulièrement en Toscane aux XIVe et XVe siècles, où la personnification ou l’allégorie sont souvent employées pour représenter les valeurs morales, comme les vices et les vertus26. Or, dans ce cas, c’est la conscience d’une identité civique qui prend des formes humaines. La ville de Pise personnifiée dans le tableau en question pourrait être ainsi comparée à un précédent en sculpture, la statue de Pise dans l’ensemble de la Madonna di Arrigo Fig. 7, réalisée par Giovanni Pisano en l’honneur du séjour pisan d’Henri VII 1312-131327. La sculpture de la ville de Pise devait ici interagir avec la Vierge d’une part, et l’empereur Henri VII – disparu – d’autre part. Comme pour la Sainte Ursule, il s’agissait ici aussi d’une conjonction de valeurs politiques et religieuses, symbolisées séparément, mais en même temps synthétisées dans un personnage, la ville de Pise, chargé de transmettre le message civique à la communauté. Figure 7 Giovanni Pisano, La Vierge et l’Enfant, dite Madonna di Arrigo, et personnification de la ville de Pise, 1313, Pise, Museo dell’Opera del Duomo, © Wikimedia Commons. La personnification de la ville de Pise pouvait parfois assumer des formes et des proportions différentes, notamment à l’occasion de cérémonies civiles et religieuses qui prévoyaient la participation d’une incarnation » de la commune. Des rares témoignages documentaires, dont le Journal du voyage en Italie de Montaigne et le poème de Puccino d’Antonio di Puccino da Pisa, nous rapportent le rituel médiéval du Sposalizio del mare une fois par an, la personnification de Madonna Pisa parcourait les eaux de l’Arno jusqu’à la mer, pour célébrer son mariage avec elle28. La grande reine », ornée d’or », et suivie d’un cortège de cent galères »29, semble pouvoir se retrouver dans la représentation du tableau pisan. En effet, dans l’œuvre, la princesse entretient avec les eaux un rapport particulier la rivière d’où elle sort est non pas cause d’une inondation catastrophique, comme l’ancienne interprétation de l’œuvre l’affirmait, mais remplie de poissons, à l’origine de la richesse économique et commerciale de la ville, évoquant la prospérité restaurée par le nouveau gouvernement. Les eaux, la rivière, la mer, présentes dans l’œuvre et dans l’imaginaire pisan et qui lui avaient permis de s’affirmer comme puissance navale, participent aussi à cette fabrique de l’identité civique. Malgré le caractère exceptionnel de l’emploi artistique et social d’une personnification de la ville par Pise, d’autres apparitions, notamment dans le contexte cérémoniel, dénotent une démarche qui était répandue même en-deçà des Alpes. Par exemple, à l’occasion des fêtes d’entrée de personnalités politiques ou ecclésiastiques dans la ville de Lyon entre le XVe et le XVIe siècle, la cité participait au rituel d’accueil avec sa personnification30. Il s’agissait souvent de personnifications féminines, présentant des blasons sur leurs robes31. Ces mises en scène, en Italie comme en France, témoignent de l’assimilation du processus idéologique et visuel de personnification de la ville, et de sa puissance de communication dans le domaine politique, religieux, et civil. Les messages transmis par ces personnifications des villes s’adressaient à une communauté qui s’y reconnaissait, qui se soudait autour d’elles, et qui renforçait son identité à travers la reconnaissance commune de symboles, le partage d’idéaux politiques, la rénovation de traditions historiques, et l’adhésion à des modèles spirituels. Autoreprésentation de la conscience identitaire Tous les éléments contribuant à l’élaboration du message civique dans Sainte Ursule sauvant la ville de Pise des eaux se retrouvent distribués et parfois redoublés au sein du tableau. Les passages entre sphère politique et valeurs religieuses s’expliquent par l’intention de représenter l’idéal urbain devenu réalité grâce à la prise de pouvoir de Iacopo d’Appiano. Le nouveau gouvernement était en effet voulu par Dieu, qui sort des lumières dans l’angle en haut à gauche, pour guider le geste sauveur de sainte Ursule. La nouvelle forme de la commune pisane est aussi protégée et glorifiée par l’ange tenant un phylactère et pointant le doigt de sa main gauche vers l’étendard pisan. Dans sa main droite, il tient un rameau d’olivier, qui l’associerait à un message de paix. La présence de ce symbole rend compte d’un idéal politique, religieux et social elle annonce les objectifs du gouvernement de d’Appiano, en opposition avec les temps antérieurs, tout en s’inscrivant aussi dans l’élaboration médiévale théologique et morale d’une ville idéale fondée sur la paix et le bien commun, telle qu’elle était préconisée par Fra Giordano32. Le coup d’état se justifie ainsi par la volonté de réaffirmer les idéologies politiques fondatrices de l’identité pisane, comme le gibelinisme, la libertas et la cohésion de la communauté, ainsi que par la bénédiction de Dieu et la sauvegarde de sainte Ursule. Cette dernière correspond non seulement à la sainte protectrice du gouvernement, mais aussi à la communauté tout entière qui participe à son culte. L’œuvre représente une conscience civique préexistante et partagée, une identité communale abstraite mais à laquelle le peintre peut donner forme humaine à travers la personnification de la ville. Pour toutes ces raisons, il est possible de supposer qu’elle était destinée à être vue, si ce n’est pas par l’ensemble de la communauté, au moins par la société proche du gouvernement. Or, la coexistence d’une portée politique et religieuse rend les hypothèses sur son emplacement original encore plus floues. L’œuvre, vue par Vasari à San Paolo a Ripa d’Arno, avait-elle été réalisée pour une structure ou une organisation religieuse, assurant une attention dévotionnelle pour la sainte bretonne – telle la Compagnie de Sainte-Ursule ? Ou était-elle destinée à transmettre son message politique au sein d’un édifice lié au gouvernement, tel le Palazzo degli Anziani ? Si des recherches ultérieures pourraient nous éclaircir sur sa destination originelle, nous pouvons néanmoins parler d’un tableau à fonction civique et identitaire. L’œuvre s’adressait donc non pas personnellement à Iacopo d’Appiano, mais à toute la communauté pisane, rachetée, libérée, réconciliée, protégée des dangers d’un mauvais gouvernement et des menaces de Florence guelfe. Ce message était aussi explicité par les inscriptions des phylactères, mal conservées mais transcrites au XXe siècle par Enzo Carli, où nous retrouvons le terme dominus », identifiable tantôt au Père éternel, tantôt au gouvernement, et les mots et liberavit eos »33. Par ailleurs, la présence des phrases sur des phylactères avait été jugée maladroite par Vasari, qui attribuait l’œuvre à Bruno di Giovanni, un collaborateur de Buffalmacco qui en avait fait le même usage au à sa réinterprétation, l’œuvre peut aujourd’hui être datée de la fin du XIVe siècle, après 1392, quand Iacopo d’Appiano prend le pouvoir et que le culte de sainte Ursule se répand sur le territoire toscan. Or, tout comme l’identification de son emplacement, l’attribution du tableau est loin d’être établie. Pour cette œuvre si révélatrice d’une pisanitas, plusieurs noms de peintres actifs à Pise ont été avancés, parmi lesquels le pisan Turino Vanni35. Cette ancienne attribution faisait du tableau le chef-d’œuvre pisan par excellence, en transférant la signification identitaire du tableau à son artiste, et vice-versa. Cependant, compte tenu de la grandeur de l’œuvre, des différences aux niveaux tant techniques que stylistiques, et de la potentielle rapidité de la commande, il est possible d’y rechercher la contribution de plusieurs peintres en collaboration au sein d’un foyer dynamique. Topographie de l’identité pisane en peinture Si l’identité civique peut prendre la forme d’un corps idéalisé, elle peut aussi être évoquée au sein d’une représentation topographique réelle. Une vue de la géographie urbaine de la ville de Pise au Moyen Âge nous est livrée par le Saint Nicolas de Tolentino protégeant Pise de la peste Fig. 8, œuvre du deuxième quart du XVe siècle aujourd’hui conservée à Pise, dans l’église Saint-Nicolas. Pour questionner la représentation de la ville de Pise, il est d’abord important de revenir sur la commande de ce tableau les limites entre fonction religieuse et civique se confondent encore une fois, dans le but d’exprimer et de consolider l’identité pisane. Figure 8 Anonyme, Saint Nicolas de Tolentino protégeant Pise de la peste, première moitié du XVe siècle, Pise, église Saint-Nicolas. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Comme pour la Sainte Ursule, le tableau du Saint Nicolas semble avoir été exécuté pour remercier le saint d’avoir protégé la ville de Pise de l’épidémie. Représenté debout avec ses attributs, le saint intercepte les flèches de la peste qui martyrisent la ville figurée à ses pieds. La représentation de Pise semble contribuer à la narration de ce miracle. Or, comme il a été démontré par Cecilia Iannella, cet événement ne trouve pas de correspondance dans d’autres sources ou attestations. La réalité topographique de la ville est donc appelée à asseoir une entreprise de propagande dévotionnelle, fondée sur l’attribution au saint de nouveaux miracles thaumaturges. Comme cela pourrait être le cas pour le tableau de Bicci di Lorenzo pour Empoli, daté de 1445, l’œuvre pisane devait émaner d’une commande de l’ordre des augustins, qui depuis le début du XIVe siècle avait entrepris une campagne de promotion en faveur de la canonisation de saint Nicolas, mort en 130536. Même s’il s’agit finalement d’une commande religieuse, qui ne prévoit pas l’intervention du pouvoir communal, nous pouvons retrouver dans cette œuvre des éléments civiques, c’est-à-dire servant à la reconnaissance identitaire de la communauté pisane. Ces éléments sont réunis dans la représentation de la ville la vue de Pise, correspondant à sa réalité urbaine, fait appel à une culture visuelle concrète et partagée, tout en étant caractérisée par une charge symbolique. Nous constatons ainsi que la réalité géographique de Pise se définit à travers la représentation de la muraille et du fleuve. La première renferme et protège la communauté, délimite sa sécurité militaire et définit son identité d’urbs la pisanitas se trouve, condensée, à l’intérieur de ces murs. Le fleuve appelle en revanche à sortir de ces limites. Comme les eaux de sainte Ursule, l’Arno matérialise les succès maritimes et commerciaux de Pise ; en traversant la ville, il la soude, et il lui permet de se développer géographiquement et économiquement autour de lui. De plus, les monuments architecturaux qui ressortent du profil urbain de Pise jouent également un rôle essentiel dans la stimulation du sentiment d’appartenance à la communauté. Nous distinguons, en particulier, les nombreuses tours appartenant à la société aisée, mais aussi les églises, qui évoquent l’activité spirituelle de la ville. Sur le bord de l’Arno, l’église de la Spina est représentée dans ses petites – et véridiques – proportions. À l’opposé, la cathédrale ressort majestueuse, entre la tour du Clocher et une portion du Baptistère. Les édifices religieux de la place du Dôme représentent la splendeur du passé médiéval pisan, et sont ainsi chargés d’une symbolique civique ils permettent l’identification d’une communauté de citoyens et de fidèles. Avec la même vocation, les monuments urbains et architecturaux apparaissent dans le célèbre tableau de la Crucifixion de la Douane. Cette œuvre anonyme est caractérisée par une présence toujours énigmatique de repeints, qui, pour des raisons politiques dues aux transformations gouvernementales entre le XVe et le XVIe siècle, avaient caché la figure du commanditaire agenouillé le capitaine Giuliano Davanzati – ou même le seigneur Pietro Gambacorta ?, ses emblèmes et la date 143737. Or, la valeur identitaire principale de l’œuvre est celle qui, malgré les repeints, est gardée le patrimoine monumental de Pise, à l’arrière-plan de la Crucifixion, est immuable, chargé de la même valeur civique. Nous retrouvons à droite les palais publics avec les emblèmes du Comune et du Popolo, que nous pourrions appeler monuments civiques afin de les différencier des monuments religieux présents à gauche. Toutefois, dans la Crucifixion de la Douane comme dans le Saint Nicolas de Tolentino, la cathédrale de Pise et la tour du Clocher sont également des monuments permettant l’élaboration d’une identité civique, et seront par ailleurs des signes de reconnaissance pérennes de la riche tradition médiévale pisane. Ainsi, tout comme, dans la Crucifixion de la Douane, l’évocation du patrimoine architectural permettait de consolider la légitimité du gouvernement, dans le Saint Nicolas de Tolentino elle stimule la foi dans ce nouveau saint et permet de rendre tangible une tradition hagiographique qui semble, dans ce cas, fictive. En ce sens, le panneau de l’église Saint-Nicolas peut être comparé avec les fresques consacrées aux Histoires de saint Ranieri au Camposanto, une autre œuvre pisane où la ville médiévale est représentée pour renforcer la crédibilité des miracles, comme pour rappeler le lien identitaire entre le saint patron et sa ville. La preuve du rôle représentatif de la cathédrale pisane pour l’identité non seulement urbaine et religieuse, mais aussi civique de la ville de Pise, se retrouve à l’extérieur du territoire nous la retrouvons dans les fresques de Domenico Ghirlandaio pour Santa Trinita à Florence. L’identité civique pisane entre XIVe et XVe siècle, construite sur des fondements historiques, politiques, religieux et sociaux, se manifeste en peinture par l’emploi de stratégies de communication comme la personnification ou la représentation topographique. Quelle que soit la solution formelle privilégiée, son efficacité repose sur le partage d’une conscience identitaire parmi les membres de la communauté, se reconnaissant et se solidarisant autour d’un lexique vaste, composé d’éléments, de symboles et de messages qui font appel à toutes les sphères de la société médiévale pisane. En confondant les limites entre les fonctions politiques et dévotionnelles, la représentation de la ville en peinture utilise un langage qui peut être défini comme civique elle n’est pas seulement une manière d’afficher l’identité pisane, mais aussi une pièce maitresse permettant sa construction. Or, comme toute sorte de langage, c’est l’histoire qui en détermine l’emploi, le remploi ou les transformations. Les armoiries changent, mais un certain lexique, appartenant à l’héritage médiéval de la ville, est destiné à survivre. Ainsi, en 1603 Ventura Salimbieni peint une personnification de Pise, en forme d’allégorie de caritas, entre la cathédrale et la tour du Clocher. Le patrimoine artistique et monumental du Moyen Âge, déjà remarqué au XVIe siècle par Montaigne, rappellera aux pisans leur gloire passée et pourra répondre aux questionnements identitaires de la communauté tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. 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ZEHNDER, 1985 ZEHNDER Frank Gunter, Sankt Ursula Legende, Verehrung, Bilderwelt, Koln Wienand, 1985. Table des illustrations Figure 1 Anonyme, Sainte Ursule sauvant Pise des eaux, après 1392, peinture sur bois, 188 x 358 cm, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Figure 2 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre saint Ranieri, saint Torpé et deux saints, 1397, Pise, église San Paolo a Ripa d’Arno. © Silvia Marcheselli. Figure 3 Turino Vanni, La Vierge et l’Enfant entre des archanges et des saints, avec Sainte Ursule, vers 1370, peinture sur bois, 60 x 48 cm, Palerme, Galleria Regionale della Sicilia Palazzo Abatellis. © Galleria Regionale della Sicilia di Palazzo Abatellis. Figure 4 Simone Martini, Polyptyque de Sainte-Catherine, détail de sainte Ursule, 1319-1323, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 5 Anonyme pisan, Sainte Ursule en trône entre les compagnes et les flagellants, première moitié du XVe siècle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. © Silvia Marcheselli. Figure 6 Maître de la légende de Sainte Ursule, Le Martyre de sainte Ursule et des Onze mille Vierges, vers 1492, huile sur toile, 163 x 232 cm, Londres, Victoria and Albert Museum, © Victoria and Albert Museum, London. Figure 7 Giovanni Pisano, La Vierge et l’Enfant, dite Madonna di Arrigo, et personnification de la ville de Pise, 1313, Pise, Museo dell’Opera del Duomo, © Wikimedia Commons. Figure 8 Anonyme, Saint Nicolas de Tolentino protégeant Pise de la peste, première moitié du XVe siècle, Pise, église Saint-Nicolas. © Soprintendenza archeologica, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Pisa e Livorno Autorizzazione Soprintendenza ABAP di Pisa, prot. n. 7007 del 12 maggio 2021. Montaigne, 1774, p. 211. [↩]Vasari, éd. 1568, Bettarini, Barocchi, 1966-1987, p. 160 ; selon la traduction de Vasari Chastel, 2005, v. 1, p. 185. [↩]Idem ; Carli, 1961, p. 72-73. [↩]Camelliti, 2010 ; Camelliti, 2015 ; Collareta, 2016 ; Iannella, 2018, p. 136-143 ; Camelliti, 2020, p. 193-200. [↩]Ronzani, 2013 ; Iannella, 2018, p. 33-43. [↩]Poloni, 2004, p. 24-25. [↩]Iannella, 2018, p. 59-86 ; Camelliti, 2020, p. 122-130. [↩]Camelliti, 2020, p. 196. [↩]Pour ces considérations et les suivantes sur le culte de sainte Ursule Tervarent, 1931 ; Zehnder, 1985 ; Montgomery, 2010. [↩]Montgomery, 2010, p. 26. [↩]Sardina, 2011. [↩]Tervarent, 1931, p. 44-45 ; Montgomery, 2010, p. 28-29. [↩]Zaccagnini, 2008, p. 304-305. [↩]Iannella, 2005. [↩]Delcorno, 1975, p. 291-411. [↩]Ibid., p. 211, note 64. [↩]Ibid., p. 209-211. [↩]Marchetti, Pini, 2009. [↩]Da Morrona, 1793, v. III, p. 141 ; Bernardini, 2004. [↩]Carli, 1974, p. 87 ; Bernardini, 2004. [↩]Tronci, 1643 ; Lucques, 1998, p. 302. [↩]Pour Supino 1894, p. 69, Sala Quinta, n°24, la bandinella serait une œuvre d’ école siennoise ». L’œuvre est aussi attribuée au Maestro di Barga Caleca, 1978, p. 32 ; Lucques, 1998, p. 302-303, n°37. Pour Vigni 1950, p. 73-74, n°56, fig. XVII, elle appartient à lentourage du bolonais Michele di Matteo. Kaftal 1952, p. 995-1000 la date du XIVe siècle. Enfin, Carli 1974, p. 87-88, n°90, fig. 109 l’attribue à un peintre pisan du gothique tardif ? ». [↩]Camelliti, 2020, p. 196. [↩]Anonyme, Sainte Ursule avec histoires de sa légende, XVe siècle, Pise, Museo Nazionale San Matteo. Pise, 1999, p. 50-51, Inv. 2153. L’œuvre avait été réunie dans un triptyque fictif provenant de l’église San Domenico, avec le Christ trônant entre la Vierge et sainte Marie Madeleine signé par Ambrogio d’Asti au centre Inv. 1695, et la Sainte Eulalie avec histoires de sa légende Inv. 2159 comme pendant. [↩]Notamment, dans l’œuvre du Maître de la Légende de sainte Ursule, Sainte Ursule annonce à la cour de son père sa décision d’aller en pèlerinage à Rome avec onze mille Vierges, vers 1492, 129 x 116 cm, Paris, Musée du Louvre. [↩]Cosnet, 2015. [↩]Iannella, 2018, p. 104-130. [↩]Tolaini, 2004. [↩] Ibid., p. 19. [↩]Lévy, 2013, p. 253-301. Je remercie Philippe Lorentz pour la suggestion. [↩]Ibid., p. 294. [↩]Iannella, 1999, p. 40-52. [↩]Transcription des inscriptions des phylactères MISERICORDIAM FECIT DOMINUS CUM SERVA SUA / LAUDABO IPSUM IN ETERNUM » ; APPARUIT OMNIBUS VIDENTIBUS NOMEN / … TUUM + ET LIBERAVIT EOS ». Carli, 1974, p. 82 ; Camelliti, 2020, p. 193. [↩]Vasari, éd. 1568, Bettarini, Barocchi, 1966-1987, p. 160. [↩]Attribué à la manière de Turino Vanni » par Siren, 1914, p. 225, p. 230. Pour Van Marle 1925, p. 240-243, l’œuvre serait plutôt de la main d’un prédécesseur – selon lui le maître et/ou le père – de Turino Vanni the Second », ce dernier étant actif dans la deuxième moitié du XIVe siècle. Vigni 1950, p. 100-101, n°88, concorde pour son attribution à un artiste pisan de la deuxième moitié du XVe siècle. Enzo Carli 1961, p. 72-73 l’attribue au Maestro dell’Universitas Aurificum, puis identifié comme le Maestro della Sant’Orsola Carli, 1974, p. 82-83, n° 80, fig. XX ; Carli, 1994, p. 101-102. [↩] Iannella, 2017 ; Iannella, 2019, p. 143-148. [↩]Sur cette question voir Camelliti, 2020, p. 200-204, avec bibliographie précédente. [↩] Article écrit par Dorian Bianco Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le 20 janvier 2022. Depuis la fin du XXe siècle, la notion de patrimoine culturel a subi une double redéfinition de son champ d’étude. D’une part elle connaît un élargissement de ses objets et de ses échelles ce n’est plus seulement le monument que l’on classe, mais le mobilier, le bâti ordinaire voire des portions de paysage dont on enquête les caractères patrimoniaux, selon un panorama allant non seulement de la cathédrale à la petite cuillère » pour reprendre le mot d’André Chastel1, mais plus encore au territoire. D’autre part une extension chronologique, puisque son champ d’investigation s’étend désormais aux époques les plus récentes, comme le patrimoine du XXe siècle »2 touchant les ensembles bâtis de la période d’après-guerre, voire plus contemporains. En conséquence, au-delà de la procédure juridique traditionnelle du classement ou de l’inscription au titre des monuments historiques, les processus de patrimonialisation se sont diversifiés vers l’inventaire et la labellisation de vastes ensembles mobiliers et immobiliers, rendant plus large, mais peut-être plus précaire la reconnaissance de leur caractère patrimonial. Peut-on s’engouffrer dans cet élargissement et faire de l’aménagement du territoire une nouvelle – et ultime – catégorie du patrimoine culturel ? Une partie des opérations d’urbanisme et d’infrastructure qui s’y rattache tombent en fait dans le domaine déjà constitué du patrimoine du XXe siècle. Le caractère patrimonial de l’aménagement du territoire suppose sa reconnaissance préalable par les historiens et les acteurs du patrimoine culturel, alors que la littérature scientifique n’a pas toujours intégré de façon systématique l’échelle territoriale et spatiale à l’histoire de l’architecture d’après-guerre3. Il s’agit de doter l’aménagement du territoire d’une légitimité nouvelle pour la faire entrer en histoire de l’art parce qu’elles ont trait à la nature politique et institutionnelle de la fabrication » des espaces géographiques que nous percevons in fine comme des paysages, les grandes réalisations historiques d’aménagement élargissent le cadre originel du patrimoine monumental et architectural à l’échelle du patrimoine bâti et paysager, une notion déjà enracinée dans l’histoire séculaire de la protection des sites classés et inscrits. Il convient de rappeler la définition et la genèse historique de l’aménagement du territoire pour justifier cette lecture rétrospective. L’aménagement du territoire définition et expériences historiques d’une géographie volontaire ». L’aménagement du territoire désigne l’action d’organiser, par les moyens administratifs de la planification spatiale, les régions et les pays selon une finalité d’ordre économique comme la décentralisation industrielle d’après-guerre, environnementale comme le remembrement ou l’afforestation et culturelle le tourisme, la restauration du patrimoine bâti. Apparue sous la plume d’ingénieurs et de hauts-fonctionnaires de la France vichyste, l’expression est reprise par Raoul Dautry, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme de 1944 à 1948, dans sa préface à la première édition de Paris et le désert français 19474 écrit par le géographe Jean-François Gravier. Celui-ci la définit comme l’élargissement à l’échelle territoriale des enjeux d’aménagement posés par la naissance de l’urbanisme moderne et les maux de la société industrielle, faisant écho aux expériences fondatrices menées dans les pays anglo-saxons depuis les années 1930. Aux États-Unis, la Grande Dépression a frappé durant la décennie précédente les villes industrielles et les espaces ruraux des Appalaches. Élu en 1933, le président Roosevelt élabore avec l’aide de son Brain Trust le New Deal, un ensemble de programmes gouvernementaux visant à lutter contre les effets socio-territoriaux de la crise économique. La création en 1933 de l’établissement fédéral de la Tennessee Valley Authority TVA établit les grandes lignes du planning, qui se définit comme un modèle de développement économique et territorial concerté par la puissance publique pour réaménager en globalité la vallée du Tennessee contrôle de la navigation des eaux avec la construction de barrages hydroélectriques, maîtrise de l’urbanisation par l’installation de communautés planifiées, électrification rurale, industrialisation, amélioration de la productivité agricole en luttant contre l’érosion des sols, etc5. L’aménagement du territoire se définit comme un interventionnisme constituant le volet spatial » des politiques d’État-Providence welfare state naissantes dans les pays occidentaux développés6. Au Royaume-Uni, le gouvernement de Neville Chamberlain demande en 1940 à Anderson Montague-Barlow, un homme politique du parti conservateur, de présider une commission royale pour enquêter sur les régions minières déprimées par la crise économique. Les résultats pointent l’excès de concentration urbaine et démographique dans les grands centres urbains. La commission défend le projet d’une déconcentration planifiée de la population et des activités, donnant naissance à la doctrine du Town and country planning de l’après-guerre qui aboutira à la création de villes nouvelles New Towns, visant à déconcentrer les centres urbains britanniques London overspill7. Ces idées sont diffusées en France grâce à Jean-François Gravier, engagé dès 1947 par le Commissariat général au Plan. Dans Paris et le désert français, il défend la déconcentration du territoire par l’arrêt de la croissance de Paris au profit d’une décentralisation industrielle et démographique en province. Politiquement transversales, ces idées sont également défendues par les géographes Pierre George, Jacques Weulersse et Gabriel Dessus dont les Matériaux pour une géographie volontaire de l’industrie française8 1949 envisagent une distribution harmonieuse des industries sur le territoire pour éviter les phénomènes de congestion urbaine. La géographie volontaire » désigne la tentative par l’État ou la puissance publique d’orienter ces implantations dans l’espace, portant en filigrane l’idée que la doctrine libérale du laisser-faire spatial, corrélat géographique du laisser-faire économique, est mis en échec par les crises économiques et qu’il faut lui substituer les méthodes de l’aménagement du territoire. Dans la brochure présentée en Conseil des ministres en 1950, intitulée Pour un plan national d’aménagement du territoire, Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’urbanisme 1948-1953, étend la géographie volontaire de l’industrie à la protection des ressources naturelles, à l’accès aux espaces verts ainsi qu’à l’habitat structuré par les doctrines de l’urbanisme moderne et de l’hygiénisme. Le zonage équilibré des activités est envisagé comme un moyen pour éviter que l’industrialisation ne dégrade le cadre de vie des habitants. Claudius-Petit s’inspire du modèle américain de la TVA dont il visite les barrages hydroélectriques avec Le Corbusier lors d’un séjour d’études réalisé aux États-Unis en 19469. Traitant l’habitat sous le prisme de la répartition géographique et non du seul point de vue d’un plan de production et du volume de construction, peu de grands projets du second XXe siècle peuvent être rétrospectivement rattaché à l’entreprise d’une géographie volontaire. Si c’est le cas de l’aménagement de la côte languedocienne par la Mission Racine et les Villes nouvelles, à l’inverse les Grands ensembles ne définissent pas à proprement parler un programme d’aménagement du territoire, puisque l’implantation ad hoc des barres et tours en bordure des villes a relevé strictement d’une politique du logement » par ailleurs critiquée pour son manque d’intégration spatiale et paysagère10. Ainsi la notion d’aménagement acquiert une légitimité nouvelle aux yeux de l’historien d’art en raison de sa plasticité épistémologique. Englobant les travaux d’infrastructures et d’équipement, l’aménagement du territoire renvoie bien à la création de formes dans l’espace », au sens d’Henri Focillon11, par les trames, les courbes et les matières qui se créent dans le dessin comme dans la réalisation. Les formes bâties, qui intéressent en propre l’historien d’architecture, constituent un héritage matériel du passé récent là où le concept d’aménagement du territoire désigne spécifiquement l’action de nature politique et institutionnelle visant à façonner – mettre en forme – l’espace. En ce sens, l’aménagement est également un concept technique et scientifique d’objectivation de l’espace géographique par la planification » qui modélise la réalité physique triple nature d’un concept tout à la fois d’action publique, d’opération technique et de forme artistique. Une notion récente, mais une histoire ancienne. Par-delà l’innovation sémantique, la notion d’aménagement du territoire désigne plus spécifiquement l’approche institutionnelle et politique guidée par la puissance publique approche top-down. Cependant, l’aménagement de l’espace habité se confond avec l’histoire même de l’humanité et du progrès technique, depuis l’invention de l’agriculture elle-même, bien avant notre époque contemporaine. Si la notion d’aménagement du territoire ne remonte qu’au milieu du XXe siècle, l’organisation spatiale des sociétés constitue une réalité ancienne qui renvoie à l’histoire de la maîtrise du territoire par les hommes12. Les historiens de l’École des Annales se sont attachés à retracer la géographie humaine de l’Europe occidentale comme l’historien Marc Bloch décrivant les paysans beaucerons essartant les terroirs de l’ancienne cette production bottom-up du territoire – ou, pour rester dans l’emprunt anglophone, d’un planning before planning, bien avant le modèle planificateur de la TVA – soulignons par exemple le rôle aménageur des abbayes et des ordres monastiques dans les grands défrichements des XIe et XIIe siècles et les progrès de l’énergie hydraulique dans Le rêve cistercien, l’historien Léon Pressouyre14 évoque le modèle économique des cisterciens fondée sur l’autogestion de la communauté et ses règles d’organisation spatiale. Chaque cité monastique comporte ses bâtiments résidentiels et rituels au centre tandis que ses bâtiments agricoles et ses granges sont implantés à la façon d’ établissements satellites » dans une distance parcourable en un temps imparti. Faut-il y voir la préfiguration de la cité-jardin d’Ebenezer Howard ?15 Beaucoup de ces équipements monastiques sont aujourd’hui classés ou inscrits au titre des Monuments historiques. Ainsi, les aménagements anciens appartiennent bien à la catégorie du patrimoine bâti, l’étude des aménagements plus anciens renvoyant aux méthodes de l’archéologie. Les prémices de l’aménagement contemporain du territoire à grande échelle se situent dans l’histoire moderne. Les projets d’organisation territoriale du Nouveau monde avec la colonisation de l’Amérique du Nord constituent en ce sens des tentatives précoces de planification spatiale. Le philosophe anglais John Locke avec Anthony Ashley Cooper, dont il est l’assistant personnel, établissent une Constitution pour la province de Caroline fondée en 1663 avec sept autres lords propriétaires de la colonie les Fundamental Constitutions of Carolina, adoptées en 1669. Elles prescrivent l’établissement d’un plan d’aménagement urbain et spatial et de développement économique du territoire, dont le but originel était de distribuer 60% des terres à des fermiers indépendants yeoman farmers, même si dans les faits les articles ont finalement encouragé le système esclavagiste. Les prescriptions d’aménagement comportent un tracé régulier du parcellaire urbain et rural, leur répartition, la planification orthogonale des villes, la séparation de la ville et de la campagne par une ceinture verte jusqu’à des prescriptions d’art urbain avec jardins publics et alignement des bâtiments. L’Oglethorpe Plan de Savannah Géorgie, planifié à partir de 1733, constitue une survivance de ce modèle originel à l’échelle urbaine fig. 1 ; il fait également l’objet d’une patrimonialisation grâce à la création du Savannah Historic District en 1966. Là encore, des aménagements anciens deviennent objets de patrimonialisation. Figure 1 Plan de la ville et du port de Savannah, État de Géorgie, États-Unis, Moss Eng. Co., NY, 1818, © Wikimédia commons. Le Grand model de Caroline démontre la façon dont l’aménagement du territoire procède, sur le plan épistémologique, d’une dissociation entre la carte et le plan, c’est-à-dire entre l’histoire cartographique et l’histoire de l’aménagement la carte, pré-carré de l’arpenteur et du géographe, est une représentation de l’espace physique, alors que le plan, concept de nature prescriptive et pré-carré de l’architecte-ingénieur venant se greffer par la suite sur la représentation cartographique, vise à modeler et transformer l’espace préalablement représenté. De la même façon qu’une histoire de l’urbanisme des plans de ville n’est pas à proprement parler une histoire de la ville comme milieu social, l’histoire de l’aménagement n’est pas tout à fait une histoire géographique ni une géohistoire16. Ce n’est pas de la carte, mais du plan dont l’aménagement du territoire tire son histoire et sa démarche, d’où l’approche planificatrice qui en découlera au XXe siècle. Une rénovation épistémologique. Ces deux exemples tirés de l’histoire médiévale et moderne prouvent que les aménagements antérieurs à l’époque contemporaine peuvent être objets de patrimonialisation. Qu’en est-il des aménagements plus récents associés au planning ? Nous ne sommes parvenus au rôle pleinement aménageur de l’État et de la puissance publique qu’à l’époque de l’après-guerre, léguant au XXIe siècle l’héritage matériel de leur action planificatrice par la marque qu’ils ont posée dans les palimpsestes paysagers villes nouvelles, autoroutes, infrastructures de loisirs, etc. Élever l’aménagement du territoire à la dignité d’une reconnaissance patrimoniale repose sur la possibilité de protéger de vastes portions d’espace géographique. Or, deux problèmes apparaissent En premier lieu, il faut au préalable construire la valeur historique des aménagements du XXe siècle comme un paysage culturel »17 alors que cette notion demeure originellement associée aux terroirs. Il faut également en démontrer la valeur artistique et esthétique le paysage aménagé doit être considéré sous le prisme d’une représentation artistique dont la transformation du regard est issue du processus d’artialisation de l’espace opéré à partir de la Renaissance. La patrimonialisation suppose un passage du caractère opératif de l’espace aménagé – ou plutôt aménageable – au caractère artistique du paysage perçu18 on ne peut reconnaître de formes dans l’espace » qu’en vertu de cette transformation épistémologique. En second lieu, la patrimonialisation des aménagements suppose de maîtriser, sur le plan juridique, des instruments capables de protéger de vastes étendues paysagères. Inhérente à la notion rousseauiste de contrat social et puis à l’élaboration jacobine du service des Monuments historiques en France, la maîtrise politique du territoire est consubstantielle à la formation de l’État moderne et à ses outils juridiques dans la mesure où les législations patrimoniales consistent à poser des servitudes d’utilité publique sur des biens immobiliers et fonciers aux dépens de leurs propriétaires. L’aménagement du territoire porte à son accomplissement ce que le paysagiste américain John Brinckerhoff Jackson19 appelle le paysage politique20, désignant la fabrication » making du territoire par la puissance publique, du plan orthogonal de la ville romaine jusqu’aux théories de l’urbanisme moderne, si l’on veut bien y inclure même les projets de nationalisation des sols et de planification totale envisagés par Le Corbusier. Le paysage politique s’oppose au paysage vernaculaire qui se définit comme la production de l’espace géographique, sans contractualisation des rapports sociaux, par le bas de la structure sociale bottom-up comme les communaux médiévaux ou l’auto-construction des années 1970, selon une conception sociologique proche du droit à la ville d’Henri Lefèbvre. Un lien de continuité politique et juridique entre urbanisme classique, aménagement du territoire et protection du patrimoine paysager apparaît rétrospectivement en vertu du principe juridique de souveraineté publique sur les biens fonciers les théories modernes de l’urbanisme comme les doctrines de protection du patrimoine bâti et paysager reposent tout autant les uns que les autres la conquête de l’espace public initiée par l’urbanisme de la Renaissance. De la protection des sites pittoresques à la préservation des paysages aménagés au 20e siècle ? Si le paysage fait déjà l’objet d’une catégorie bien identifiée du patrimoine par la notion de site patrimonial, l’aménagement du territoire ne peut en devenir une nouvelle catégorie qu’à la condition d’élargir l’échelle du patrimoine paysager il s’agit là encore d’une conquête juridique dont l’aboutissement se situe au XXe siècle. En France, la première initiative de classement en 1840 n’était revenue qu’à l’échelle individuelle du patrimoine monumental. Au siècle suivant, la notion s’élargit des monuments isolés à leurs abords au nom d’une vision d’ensemble et non fragmentaire de l’espace ce n’est plus le monument, mais le paysage, qu’il soit urbain ou rural. La loi du 2 mai 1930 crée la catégorie de site classé et site inscrit » afin de préserver des ensembles paysagers à valeur pittoresque ou naturelle. La loi du 25 février 1943 institue un cadre géographique de protection des abords » dans une aire d’environ 500 mètres aux alentours du monument classé tel qu’on la trouve dans la grande majorité des centres-villes et des centres-bourgs ruraux de France. André Malraux déclare le 23 juillet 1962 à l’Assemblée nationale qu’ un chef d’œuvre isolé risque d’être un chef d’œuvre mort »21, aboutissant à la loi du 4 octobre suivant, dite loi Malraux, établissant le dispositif du secteur sauvegardé dans les centres-villes au sein d’un périmètre à l’intérieur duquel l’Architecte des bâtiments de France se charge de restaurer le patrimoine architectural et urbain jusqu’aux éléments du second œuvre garde-corps, volets, fenêtres, etc. Cet élargissement dilate dans le même temps les procédures de patrimonialisation du classement ou de l’inscription, on passe aux labels comme le label Patrimoine du XXe siècle » ainsi qu’à la procédure d’inventaire depuis la création par André Chastel en 1964 l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, visant à recenser, étudier et faire connaître les éléments du patrimoine qui présentent un intérêt culturel, historique ou scientifique »22. Du patrimoine marqué par la finitude de ses objets, nous débouchons sur l’héritage global d’une époque passée, fins prêts pour entrevoir l’ampleur des opérations historiques d’aménagement du territoire comme un nouvel objet à conquérir pour le patrimoine culturel. La Mission Racine de la DATAR un exemple français d’un programme d’aménagement du territoire patrimonialisé ? Sous l’égide du premier ministre et de la DATAR Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire, la mission interministérielle d’aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon, dite Racine, est lancée par décret le 18 juin 1963. Elle constitue l’une des rares tentatives de mise en œuvre d’une géographie volontaire du développement économique et de la mise en valeur du territoire littoral il s’agit de créer cinq stations balnéaires le long de la côte pour diversifier l’activité d’une région souffrant de sous-industrialisation et d’une crise viticole chronique. Elle vise également à retenir en France les vacanciers de passage vers la Costa Brava en Espagne. Enfin, la mission cherche à éviter l’urbanisation incontrôlée de la Côte d’Azur tout en adaptant le territoire à l’avènement d’une société des loisirs et du tourisme de masse. Les stations balnéaires constituent l’équivalent de villes nouvelles planifiées ex nihilo qui créent des sites urbains sur de vastes superficies. Aménagée à partir de 1965, La Grande-Motte est destinée à accueillir 120 000 touristes par an avec un parc de logements en résidence secondaire, un port de plaisance et de nombreuses infrastructures de loisirs. L’architecte Jean Balladur élabore un plan-masse en rupture avec l’architecture balnéaire du début du premier XXe siècle rues en peignes desservant les plages et les immeubles en forme de ziggourats, aujourd’hui noyés dans la végétation typiquement méditerranéenne d’une canopée de pins parasols23 fig. 2. Cet ensemble urbain illustre la dilatation des procédures patrimoniales les plus récentes, puisque la reconnaissance de la valeur patrimoniale n’a pas – encore – conduit à la désignation d’un site classé comme les secteurs sauvegardés de la loi Malraux, mais à une labellisation Patrimoine du XXe siècle » délivrée par le ministère de la Culture en 2010, dont le caractère symbolique n’ouvre aucune protection juridique formelle. Figure 2 Unité touristique de la Grande-Motte, Hérault, France, © Wikimédia Commons. Français d’origine grecque, Georges Candilis est l’architecte en chef de 1963 à 1976 de l’unité touristique de Leucate-Le Barcarès. Il établit un plan-masse fondé sur la densité horizontale d’une architecture modulaire néo-méditerranéenne. Le projet trahit l’influence de sa collaboration avec Shadrach Woods et Alexis Josic, mais aussi des Team X, un groupe d’architecte dissident du 9e Congrès des CIAM Congrès internationaux d’architecture moderne. Opposé au zonage trop rigoureux des fonctions urbaines, les Team X défendent leur intégration par le retour à l’échelle de la ville, tirant le projet architectural d’une rupture avec la composition urbaine, issue de l’enseignement des Beaux-Arts, vers l’adoption d’une architecture organisationnelle »24 qui emploie la flexibilité d’assemblage des composants préfabriqués pour former des combinaisons typologiques d’habitat groupé. Il en résulte des cheminements intégrés créant un réseau complexe web et des groupements bâtis en forme de clusters ou de tiges stems. Parmi les réalisations notables de Port-Leucate, le village des Carrats 1970 se compose de bungalows superposés en béton blanc avec des patios privatifs et des toitures-terrasses, évoquant les Kasbah du monde arabe ou les villes mésopotamiennes. Ces logements de vacances sont destinés aux classes populaires pour qu’elles puissent profiter de la mer à une époque de démocratisation d’un loisir auparavant réservé à la bourgeoisie25. Non seulement le village a été labellisé Patrimoine du XXe siècle » en 2012, mais il a fait l’objet d’une inscription partielle au titre des Monuments historiques par arrêté le 23 juillet 2014 pour les façades, les toitures et les aménagements donnant sur la plage. Candilis développe à Barcarès-Leucate une conception spatiale de l’habitat qui tire le programme résidentiel vers une approche de géographie volontaire26. Paradoxalement, c’est l’aménagement du territoire qui canalise les utopies architecturales des années 1960, parfois empreintes d’idéologie libertaire. Nombre d’entre elles envisage des architectures spatiales et flexibles à l’exemple du Groupe international d’architecture prospective le GIAP fondé par Michel Ragon en 1965, les architectes mobiles en croissance verticale de Yona Friedman. Ces nouveaux modèles annoncent l’avènement d’une approche en réseau », parente de l’émergence contemporaine de la théorie des systèmes aux États-Unis, se détournant de l’approche planifiée » de l’espace initiée quinze ans plus tôt par Eugène Claudius-Petit et Jean-François Gravier pour justifier la notion d’aménagement du territoire. C’est ainsi au moment où elle est portée à son accomplissement qu’elle accompagne l’émergence de modèles alternatifs d’habitat et d’aménagement. Un exemple américain la patrimonialisation des ouvrages de la Tennessee Valley Authority TVA. Figure 3 The downstream face of the spillway at the Tennessee Valley Authority Fort Loudon Dam, photographe inconnu, Juin 1940, National Archives and Records Administration, Franklin D. Roosevelt Library, © Wikimédia commons. Figure 4 Plan du barrage hydroélectrique de Fort Loudoun, 1939, Tennessee Valley Authority, The Fort Loudoun Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Fort Loudoun Project, Technical Report No. 11, © Wikimédia commons. Le programme d’aménagement du territoire initié par la Tennessee Valley Authority le long du fleuve éponyme à partir de 1933 fait aujourd’hui l’objet d’une patrimonialisation, notamment pour ses ouvrages hydroélectriques. Le barrage de Fort Loudoun 1940-1943 est construit en béton armé pour une hauteur maximale de 37 mètres et la mise à disposition de quatre générateurs hydroélectriques fig. 3, fig. 4. Situé en amont de la vallée du Tennessee, il a permis de créer 1049 km de voies navigables entre Knoxville et Paducah dans le Kentucky. Aux côtés de 26 autres barrages de la TVA, le Fort Loudon a été inscrit sur la liste du National Register of Historic Places en 2017 au regard du rôle historique qu’a joué la TVA dans l’histoire environnementale américaine, à même de nourrir une historiographie patriotique. A nouveau, la patrimonialisation s’inscrit dans le champ des procédures élargies de la reconnaissance des héritages culturels le recensement des barrages de la TVA n’instruisent pas d’instance de classement au titre des monuments historiques. Le National Register of Historic Places est l’inventaire officiel de l’État fédéral américain créé en 1966 par le National Historic Preservation Act – NHPA, deux ans après l’Inventaire français par André Chastel. Il vise le recensement de l’ensemble des sites paysagers, des quartiers, bâtiments, des infrastructures et des objets mobiliers revêtant un caractère historique qui les qualifie pour prétendre à une protection juridique. Malgré ce caractère symbolique, les lois des États ou les chartes de protections locales des villes ou des townships peuvent néanmoins conduire à une protection des biens inscrits au National Register à la façon des secteurs sauvegardés français, mais selon une procédure différente de la conception centralisée à la française, les États-Unis étant un pays fédéral. Reflet du caractère englobant du planning anglo-saxon, la patrimonialisation élargie de la TVA ne s’en tient pas aux seuls barrages hydroélectriques du Tennessee, mais s’étend également aux opérations d’urbanisme. La communauté planifiée planned community de Norris Comté d’Anderson, Tennessee est aménagée à partir de 1933 directement par l’État fédéral américain pour loger les ouvriers bâtisseurs du barrage éponyme27. Fondée sur l’idéal coopératif et les principes urbanistiques de la cité-jardin britannique et de la Regional Planning Association of America RPPA, Norris comporte des maisons individuelles implantées le long de rues courbes avec un village green et une ceinture verte d’usage commun, préfigurant le plan des trois Greenbelt towns aménagées par la Resettlement Administration à partir de 1935 fig. 5. En 1975, le Norris District est ajouté à la liste du National Register. Comme Norris, une partie substantielle du National Register est constituée non pas de monuments seuls, mais d’aires patrimoniales qui additionnent plusieurs bâtiments ce sont les Historic Districts, progressivement intégrés à l’Inventaire fédéral le premier date de 1931 avec le Historic District de Charleston en Caroline du Sud. Moins nombreux que les Historic Districts, les National Historic Landmarks NHL n’ouvrent pas de procédure de classement comme les National Monuments de propriété fédérale, mais ils revêtent néanmoins une valeur historique forte au regard de l’histoire américaine, à l’exemple du tout premier ouvrage de la TVA, le barrage hydroélectrique de Wilson Dam dans l’Alabama, qui a été déclaré National Historic Landmark le 13 novembre 1966. Figure 5 Plan directeur de la communauté planifiée de Norris, 1933-1935, Tennessee Valley Authority, The Norris Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Tennessee Valley Authority’s First Water Control Project, Technical Report No. 1, Wikimédia Commons. Sommes-nous là en train de perdre l’approche formaliste de l’œuvre architecturale que nous avons adoptée d’Henri Focillon ? En d’autres termes, la valeur historique, pour laquelle l’on patrimonialise certaines structures bâties, se recoupe-t-elle toujours avec la valeur artistique, dont la reconnaissance procède de l’analyse des formes ? En filigrane, cette question met en jeu l’attribution des rôles entre l’architecte et l’ingénieur dans l’aménagement du territoire, en d’autres termes l’introduction d’une démarche architecturale dans des projets tombant dans le pré-carré de l’ingénieur. Faut-il plutôt convoquer la notion de patrimoine industriel ? L’aménagement du territoire est-il un patrimoine industriel ? Figure 6 Vue d’ensemble du barrage de Génissiat, Leroy Thierry, © Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel. Calquée sur le modèle américain de la TVA à la façon d’un New Deal à la française »28, la Compagnie nationale du Rhône est créée en 1933 afin de produire de l’électricité et d’améliorer la navigation et l’irrigation du fleuve éponyme. En 1937 commencent dans l’Ain les travaux du barrage de Génissiat fig. 6, le plus grand d’Europe occidentale. Les travaux s’achèvent en 1947 pour une mise en service l’année suivante. Le CNR choisit deux architectes pour l’aménager, Léon Bazin et Albert Laprade, ce dernier étant célèbre pour être un ardent défenseur du patrimoine architectural et un militant du rapprochement entre l’architecte et l’ingénieur29. Dans un paradigme francastellien30, Génissiat vise la réconciliation du caractère artistique des formes du béton avec les impératifs techniques inhérents aux infrastructures énergétiques, révélant l’idéal d’un savoir humaniste propre à l’aménagement du territoire c’est la figure de l’architecte-ingénieur, alliant la science à l’art au service du progrès technique et social, dans une totalité retrouvée de l’œuvre contre la séparation contemporaine des connaissances et des pratiques. Labellisé patrimoine du XXe siècle, la valeur historique et artistique du barrage de Génissiat renvoie ainsi à la notion de patrimoine industriel développée par l’historien Jean-Yves Andrieux dès les années 1970 à partir de l’héritage mobilier et bâti laissé par l’histoire de l’industrialisation filatures, forges et manufactures depuis la période d’Ancien Régime jusqu’à la révolution industrielle et l’époque contemporaine31. Aux côtés de l’archéologie industrielle visant l’étude des vestiges matériels des industries passées, l’aménagement du territoire renvoie également à l’histoire des techniques, une branche historiographique pendant longtemps ignorée des autres historiens. Les centrales nucléaires une forme artistique ? La participation des architectes au programme nucléaire civil de la France constitue une tentative accomplie d’introduire une démarche artistique dans l’aménagement énergétique, poursuivant les exemples initiés à Génissiat et dans la vallée du Tennessee. A partir de 1974, l’architecte Claude Parent est engagé par Électricité de France EDF pour réaliser les dessins et les études préparatoires des réacteurs nucléaires destinés à la production domestique de l’électricité. Il élabore les plans de deux centrales nucléaires, Chooz et Cattenom, qui mettent en œuvre la théorie de la fonction oblique développée à partir de 1963 au sein d’Architecture Principe avec Paul Virilio. En refusant les trames carrées utilisées par la construction traditionnelle au profit du plan incliné, la fonction oblique investit le béton de formes courbes dont on perçoit l’influence dans le caractère organique et sculptural des dessins des réacteurs, comme les amphores. Auparavant, Parent et Virilio avaient déjà imaginé Les vagues », un projet fantaisiste d’aménagement du territoire où les villes sont constituées de plans inclinés. Claude Parent prend le parti de ne pas dissimuler les centrales, mais de les imposer dans les paysages à la façon de repères comparables aux donjons des châteaux-forts du Moyen-Âge32. Chez Parent, l’aménagement du territoire effectue un retour aux formes spatiales dans la plus pure définition qu’en donne Henri Focillon ; elles renvoient enfin, dans les termes de Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour, aux performances architectoniques du duck », dont l’idéal remonte aux bâtisseurs gothiques, contre le decorated shed » qui sépare l’ingénieur de l’architecte relégué au rang de simple décorateur d’un bâtiment dont il ne maîtriserait plus la construction33. La patrimonialisation de la valeur artistique des infrastructures énergétiques demeure possible dans la mesure où celles-ci procèdent d’une démarche architecturale et formelle, comme le montre l’exemple des centrales nucléaires construites par Claude Parent ni le mouvement moderne et ni l’architecture d’après-guerre n’ont fait disparaître les formes ; bien au contraire, elles les ont consacrées jusqu’à des catégories de bâtiments qui en étaient auparavant dépourvues. Au contraire, la marginalisation, voire la disparition des formes est liée à l’émergence, dès les années 1960, de modèles d’habitat et d’aménagement alternatifs au mouvement moderne et fondés sur la participation habitante qui sociologise le projet architectural au détriment de sa nature formelle et compositionnelle. Cette transformation du projet architectural se situe à un moment de basculement pédagogique avec la fin du système des Beaux-Arts remplacées par les unités pédagogiques 1968 ; elle constitue paradoxalement le produit de l’ architecture organisationnelle » des Team X et des architectures spatiales comme le projet du Vaudreuil par l’Atelier de Montrouge34. Conclusion Les limites de la patrimonialisation de l’aménagement du territoire. L’adoption d’une démarche artistique pour construire des infrastructures énergétiques, comme chez Claude Parent, constitue le cas original d’un mode de projet qui tend aujourd’hui à tomber en désuétude. La transition énergétique fondée sur l’énergie éolienne illustre cette évolution vers la marginalisation des formes dans l’aménagement du territoire, puisque la faible productivité électrique par installation unitaire des aérogénérateurs ne peut être compensée qu’en multipliant ses implantations géographiques il faut préfabriquer les composants de béton des éoliennes selon un processus sériel qui élimine entièrement le rôle de l’architecte et banalise les paysages. A l’inverse, la haute productivité de l’énergie nucléaire permet de concentrer géographiquement la production dans quelques sites seulement, ouvrant la possibilité de singulariser chaque projet d’infrastructure. Les centrales nucléaires illustrent ainsi un cas-limite de la patrimonialisation des opérations d’aménagement du territoire. Les procédures de sécurité et la durée de vie limitée des installations ne permettent pas d’envisager la protection des centrales comme on procéderait pour tout bâtiment ordinaire. À Cattenom, le grand carénage de 2016 a allongé d’au moins 15 ans la durée de vie de la centrale, mais à terme elle deviendra obsolète, si bien qu’il faut déjà envisager la substitution des réacteurs actuels par une nouvelle génération d’EPR35 comme à Flamanville, ou alors décider de son arrêt et de sa fermeture définitifs. Que vont devenir les réacteurs dessinés par Claude Parent dans le démantèlement programmé de Chooz et Cattenom ? Ces nécessités d’ordre technique révèlent la nature prospective et opérative du concept d’aménagement du territoire, instituant une différence essentielle avec le patrimoine culturel qui vise à préserver un état existant de l’environnement bâti et des paysages. Les politiques de transition écologique illustrent cette tension de nombreuses mesures, comme l’adoption de certaines énergies renouvelables ou la réduction des déplacements automobiles, induisent un réaménagement du territoire sans que ce lien de cause à effet ne soit clairement établi. Dans la plupart des cas, une opération d’aménagement du territoire constitue une transformation du paysage, si bien qu’elle peut à son tour menacer la protection du patrimoine culturel ou naturel. Dans le même temps, les politiques patrimoniales, par la démarche historique et artistique qu’elles introduisent, concourent à humaniser » l’aménagement du territoire pour en faire une œuvre culturelle, et non seulement technicienne ou scientifique. Dorian Bianco Bibliographie Andrieux, Jean-Yves, Le patrimoine industriel, Paris Presses universitaires de France, 1992. Bellier, Corinne, Delorme, Franck, Toulier, Bernard Collectif, Tous à la plage ! Villes balnéaires du XVIIIe siècle à nos jours, Paris Liénart/Cité de l’architecture et du patrimoine, 2016. Besse, Jean-Marc, Le paysage, entre le politique et le vernaculaire. Réflexions à partir de John Brinckerhoff Jackson. ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, 2003, 6, Blain, Catherine. L’Atelier de Montrouge et le Vaudreuil », Ethnologie française, vol. 33, no. 1, 2003, pp. 41-50. Bloch, Marc, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Oslo H. Aschehoug & Co W. Nygaard, 1931. Candilis, Georges, Recherches sur l’architecture des loisirs, Paris Éditions Eyrolles, 1973. Chaljub, Bénédicte, Candilis, Josic, Woods, Paris Infolio, 2010. Culot, Maurice, Albert Laprade, 1883-1978, Paris Norma, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2007. Cupers, Kenny, Géographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1–13. Dessus, Gabriel, George, Pierre, Weulersse, Jacques, Matériaux pour une géographie volontaire de l’industrie française, Paris Armand Colin, 1949. Focillon, Henri, Vie des formes, Paris Presses universitaires de France, 1934. Francastel, Pierre, Art et technique aux 19e et 20e siècles, Paris Gallimard, 1988 réédition. Gravier, Jean-François, L’espace vital, Paris Flammarion, 1984. Heinich, Nathalie, La fabrique du patrimoine De la cathédrale à la petite cuillère », Paris Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009. Howard, Ebenezer, To-morrow a peaceful path to real reform, Londres Swan Sonnenschein & Co. 1898. Jackson, John Brinckerhoff, Discovering the vernacular landscape, Yale, Yale University Press, 1984. Labasse, Jean, L’organisation de l’espace. Éléments de géographie volontaire, Paris Hermann, 1966. Maumi, Catherine, Thomas Jefferson et le projet du Nouveau monde, Paris Éditions de la Villette, 2007. Moindrot, Claude, L’aménagement du territoire en Grande-Bretagne, Caen Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Caen, 1967. Parent, Claude, Rencontre du site et de l’architecture nucléaire, in Revue française de l’électricité, 1978, pp. 19-20. Pressouyre, Léon, Le rêve cistercien, Paris Gallimard, 1990. Pouvreau, Benoît. La politique d’aménagement du territoire d’Eugène Claudius-Petit », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. no 79, no. 3, 2003, pp. 43-52. Venturi, Robert, Scott Brown, Denise, Izenour, Steven Learning from Las Vegas. The Forgotten Symbolism of Architectural Forms, Cambridge MIT Press, 1972. Tables des illustrations Figure 1 Plan de la ville et du port de Savannah, État de Géorgie, États-Unis, Moss Eng. Co., NY, 1818, © Wikimédia commons. Figure 2 Unité touristique de la Grande-Motte, Hérault, France, © Wikimédia Commons. Figure 3 The downstream face of the spillway at the Tennessee Valley Authority Fort Loudon Dam, photographe inconnu, Juin 1940, National Archives and Records Administration, Franklin D. Roosevelt Library, © Wikimédia commons. Figure 4 Plan du barrage hydroélectrique de Fort Loudoun, 1939, Tennessee Valley Authority, The Fort Loudoun Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Fort Loudoun Project, Technical Report No. 11, © Wikimédia commons. Figure 5 Plan directeur de la communauté planifiée de Norris, 1933-1935, Tennessee Valley Authority, The Norris Project A Comprehensive Report on the Planning, Design, Construction, and Initial Operations of the Tennessee Valley Authority’s First Water Control Project, Technical Report No. 1, Wikimédia Commons. Figure 6 Vue d’ensemble du barrage de Génissiat, Leroy Thierry, © Région Auvergne-Rhône-Alpes, Inventaire général du patrimoine culturel. Nathalie, Heinich, La fabrique du patrimoine De la cathédrale à la petite cuillère », Paris Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009. [↩]Devenu le label Architecture contemporaine remarquable. En ligne [consulté le 22/03/2022]. [↩]Cupers, Kenny, Géographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1–13. [↩]Gravier, Jean-François, Paris et le désert français, Paris Le Portulan, 1947. [↩]Labasse, Jean, L’organisation de l’espace. Éléments de géographie volontaire, Paris Hermann, 1966. [↩]ibidem [↩]Moindrot, Claude, L’aménagement du territoire en Grande-Bretagne, Caen Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Caen, 1967. [↩]Dessus Gabriel, George, Pierre, Weulersse, Jacques, Matériaux pour une géographie volontaire de l’industrie française, Paris Armand Colin, 1949. [↩]Pouvreau, Benoît. La politique d’aménagement du territoire d’Eugène Claudius-Petit », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. no 79, no. 3, 2003, pp. 43-52. [↩]Labasse, Jean, L’organisation de l’espace. Éléments de géographie volontaire, Paris Hermann, 1966. [↩]Focillon, Henri, Vie des formes, Paris Presses universitaires de France, 1934. [↩]Gravier, Jean-François, L’espace vital, Paris Flammarion, 1984. [↩]Bloch, Marc, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Oslo H. Aschehoug & Co W. Nygaard, 1931. [↩]Pressouyre, Léon, Le rêve cistercien, Paris Gallimard, 1990. [↩]Howard, Ebenezer, To-morrow a peaceful path to real reform, Londres Swan Sonnenschein & Co. 1898. [↩]L’historienne Catherine Maumi s’est intéressé à ce passage de la carte au plan dans les projets d’aménagement du Nouveau monde à tra Public Land Survey System créé par l’Ordonnance de 1785 qui divise les terres à l’ouest des Appalaches en parcelles rectangulaires destinées à la revente, le projet de Thomas Jefferson étant d’y créer une nation de yeoman farmers égaux. Voir Maumi, Catherine, Thomas Jefferson et le projet du Nouveau monde, Paris Éditions de la Villette, 2007. [↩]L’UNESCO définit le paysage culturel comme des Œuvres conjuguées de l’être humain et de la nature, ils expriment une longue et intime relation des peuples avec leur environnement ». Au sens strict, il désigne ce que John Brinckerhoff Jackson appelle le paysage vernaculaire » comme les terroirs. En ligne, [consulté le 23/03/2022] [↩]Jean-Marc Besse. Le paysage, entre le politique et le vernaculaire. Réflexions à partir de John Brinckerhoff Jackson. ARCHES, Association Roumaine des Chercheurs Francophones en Sciences Humaines, 2003, 6, [↩]Jackson, John Brinckerhoff, Discovering the vernacular landscape, Yale, Yale University Press, 1984. [↩]La notion de territoire se définit comme l’exercice d’une souveraineté politique sur un espace géographique. [↩]En ligne, [consulté le 28/03/2022] [↩]En ligne, [consulté le 23/03/2022] [↩]Bellier, Corinne, Delorme, Franck, Toulier, Bernard Collectif, Tous à la plage ! Villes balnéaires du XVIIIe siècle à nos jours, Paris Liénart/Cité de l’architecture et du patrimoine, 2016. [↩]Chaljub, Bénédicte, Candilis, Josic, Woods, Paris Infolio, 2010. [↩]Candilis, Georges, Recherches sur l’architecture des loisirs, Paris Éditions Eyrolles, 1973. [↩]Cupers, Kenny, Géographie Volontaire and the Territorial Logic of Architecture, Architectural Histories, 41 3, 2016 pp. 1–13. [↩]En ligne. [consulté le 23/03/2022] [↩]Maurice Culot, Albert Laprade, 1883-1978, Paris Norma, Cité de l’architecture et du patrimoine, 2007. [↩]ibidem [↩]Francastel, Pierre, Art et technique aux 19e et 20e siècles, Paris Gallimard, 1988 réédition. [↩]Andrieux, Jean-Yves, Le patrimoine industriel, Paris Presses universitaires de France, 1992. [↩]Parent, Claude, Rencontre du site et de l’architecture nucléaire, in Revue française de l’électricité, 1978, pp. 19-20. [↩]Venturi, Robert, Scott Brown, Denise, Izenour, Steven Learning from Las Vegas. The Forgotten Symbolism of Architectural Forms, Cambridge MIT Press, 1972. [↩]Blain, Catherine. L’Atelier de Montrouge et le Vaudreuil », Ethnologie française, vol. 33, no. 1, 2003, pp. 41-50. [↩]European Pressurized Reactor. [↩] Introduction d’Élodie Bitsindou Télécharger la présentation de la journée doctorale au format pdf. Introduction présentée le 20 janvier 2022. Les hommes qui recouvrirent le tympan d’Autun ne le voyaient pas, du moins en tant qu’œuvre d’art. Pour que l’œuvre soit inventoriée, il faut qu’elle soit devenue visible MALRAUX, 1964, p. 4». André Malraux, 1964 La question patrimoniale se pose généralement à un moment de toute recherche en histoire de l’art. La définition même de la notion ne fait pourtant pas l’objet d’un consensus dans la discipline. Cette absence de consensus en fait un sujet passionnant, mais dont l’appropriation peut s’avérer difficile. La patrimonialisation apparait souvent comme l’aboutissement d’un travail de recherche. Mais parfois, des détours sont nécessaires dans ce processus. Parfois, la nature même d’un objet d’étude peut pousser à reconsidérer ce que représente le patrimoine, ou bien à réinventer sa mise en œuvre. Nous pensons à nos propres recherches sur l’architecture pavillonnaire, où la manipulation de la notion de patrimoine – et même d’architecture – sont des exercices complexes, qui nécessitent nombre de remises en question, mais dont les résultats sont ô combien riches d’enseignements. La question patrimoniale est le produit d’une longue évolution. Au Moyen-âge, si la notion de patrimoine n’existe pas encore, les artefacts associés à la religion et à la monarchie sont perçus comme des objets à sauvegarder. À la Renaissance, l’Italie voit naître les premières collections particulières, renfermant vestiges antiques, œuvres d’arts et spécimens naturels. En France, le XVIIIe siècle, voit apparaître les premières initiatives publiques de protection. À l’issue de la Révolution, l’État chargé d’élire les biens nationaux à protéger crée la Commission des monuments. Une centaine d’années plus tard, la loi de 1913 consacre le statut des monuments historiques, tout en leur accordant une définition adaptable aux courants de pensées successifs. Cette conception mouvante prime encore dans la seconde moitié du XXe siècle. La notion s’est en effet élargie au patrimoine culturel et naturel, et étendue à l’échelle mondiale. En 1972, l’Unesco définit le patrimoine matériel comme les monuments ou les ensembles qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l’histoire, de l’art, de la science, de l’ethnologie ou de l’anthropologie1». En 2003, l’institution reconnait l’existence d’un patrimoine culturel immatériel. Selon Krzysztof Pomian, tous les objets porteurs de caractères visibles susceptibles de recevoir des significations2» sont prompts à devenir patrimoniaux. Aujourd’hui, le patrimoine est finalement tout ce qui fonde l’identité culturelle d’un lieu, d’un site, d’un peuple3.» Si cet élargissement peut être perçu comme un glissement pouvant porter à confusion, il rend possible l’inclusion de champs inédits et l’action de nouveaux publics. Si l’acte de patrimonialisation concerne ce qui est jugé digne d’être conservé, connu, voire célébré, et transmis aux générations suivantes4», alors l’intérêt patrimonial n’est jamais neutre mais toujours une construction, porteuse d’une volonté qu’elle soit politique, ou citoyenne. La patrimonialisation est une chaîne, dont la protection n’est que le dernier maillon. Les récents labels tels qu’Architecture contemporaine et Jardins remarquables, ont su montrer l’importance de l’acte de signalement dans le processus. Dans ce vaste champ conceptuel, de nouveaux objets entrent régulièrement dans ce qui est considéré comme patrimoine, tandis que d’autres peinent à se faire admettre ce statut. En effet, au-delà des questions de définition, chaque époque a le patrimoine qu’elle veut bien élire en tant que tel, qu’elle juge digne de protéger et transmettre. En cela, le patrimoine est avant tout un fait de l’esprit ; et ce sont les idéologies et les systèmes de valeurs successifs qui président aux différentes formes que le patrimoine prendra au fil du temps. Ainsi, lorsqu’on souhaite faire entrer un sujet ou un objet dans le processus patrimonial, certaines questions doivent nécessairement se poser. Pourquoi patrimonialiser, pour quels objectifs et quels usages, par quels moyens ? Et enfin, Qui fabrique le patrimoine ? Serait-ce les usagers ? les touristes ? les artistes ? les historiens et les spécialistes de la question ? Cette journée d’étude eut pour ambition de brosser un état des lieux des perspectives patrimoniales en histoire de l’art. Cet éventail d’approches nous a invité à réinventer concepts, méthodes, objectifs et échelles, pour désigner, inventorier, protéger, partager ces biens patrimoniaux. Élodie Bitsindou Bibliographie. LE HÉGARAT, 2015 LE HÉGARAT Thibault, Un historique de la notion de patrimoine, 2015. [En ligne] [consulté le 12 04 2022] MALRAUX, 1978 MALRAUX André, Préface », in, CHASTEL André, L’inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Paris Ministère de la culture et de la communication, 1978. POMIAN, 1990 POMIAN, Krzysztof, Musée et patrimoine », in, JEUDY Henri Pierre, Patrimoines en folie, Paris Maison des sciences de l’homme, 1990. [En ligne] [consulté le 12 04 2022] UNESCO, 1972 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, 1972. [En ligne] [consulté le 12 04 2022] Table des illustrations. Couverture BITSINDOU Élodie, Le patrimoine qui n’est pas regardé est un patrimoine en danger. Chantier de la résidence périurbaine Villa Pontelloise » à l’emplacement d’une ancienne maison briarde, Pontault-Combault, 2018. UNESCO, 1972, p. [↩]POMIAN, 1990, p. 181. [↩]LE HÉGARAT, 2015, p. 9. [↩]LE HÉGARAT, 2015, p. 10. [↩] Article écrit par Katia Thomas Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le 20 janvier 2022. Situé en Himalaya, l’état du Sikkim 7107 km2 fait partie de l’Union Indienne et partage ses frontières avec l’état du Bengale-Occidental au sud, le Népal à l’ouest, le Bhoutan à l’est et la région autonome du Tibet de la République Populaire de Chine au nord fig. 1. Sa capitale est Gangtok et sa population compte environ 650 000 habitants. Selon la prophétie énoncée par le maitre bouddhiste Padmasambhava Guru Rinpoché au VIIIe siècle, le royaume du Sikkim a été fondé au XVIIe siècle par la dynastie Namgyal issue de la migration des Bhutia d’origine tibétaine. Les Chogyal titre donné aux rois sikkimais ont développé des relations privilégiées avec les souverains et les maitres religieux du Tibet et ont su préserver leur indépendance jusqu’à l’arrivée des Anglais dans la région au XIXe siècle. En 1918, libéré du protectorat anglais pour les affaires intérieures, le royaume retrouve une certaine indépendance qui deviendra de plus en plus difficile à maintenir dans le contexte géopolitique de la région himalayenne à partir des années 1950. La monarchie est abolie en 1975 et le Sikkim devient un état indien. La création de l’Institut Namgyal de Tibétologie à Gangtok en 1958 par le roi Tashi Namgyal 1893-1963 s’envisage dans la continuité des liens religieux et politiques établis avec le Tibet depuis des siècles. Sa mission principale est la collecte et la préservation d’ouvrages bouddhistes des différentes écoles tibétaines. Si l’institut s’est donc concentré sur l’enrichissement de sa bibliothèque, quelques œuvres d’art lui ont été offertes dans les premières années suivant sa création et c’est une véritable collection qui s’est par la suite constituée au fil des années grâce à d’autres dons et des achats. Elle compte aujourd’hui 474 œuvres, surtout bouddhistes sculptures, objets rituels, thangkas peints et brodés, manuscrits et masques mais aussi des objets non-religieux bijoux, instruments de musique, monnaies. Cet exemple d’une initiative muséale exclusivement locale et développée dès les années 1960 est unique en Himalaya. Nous présentons ici comment ce musée, qui semble si modeste au premier abord, témoigne d’une réflexion patrimoniale différente du modèle existant en Occident pour les collections himalayennes. Fig. 1. Situation géographique du Sikkim en Inde. Bref historique de l’Institut. Le XIVe Dalaï-Lama pose la première pierre de l’institut le 10 février 19571 et le Premier Ministre Nehru l’inaugure le 01 octobre 19582. Le roi du Sikkim est alors le Chogyal3 Tashi Namgyal mais son fils, le prince hériter Gyelsé Palden Thontup Namgyal 1923-1982 œuvre à ses côtés4. Ce dernier est le premier président de l’institut et veille à son développement. La charte détaillant son organisation et ses missions est réalisée le 28 octobre 1958 si les discours5 prononcés lors des premières cérémonies ne mentionnaient pas la constitution d’une collection d’art, l’article viii de cette charte l’indique clairement6. Le bâtiment principal de l’institut fig. en couverture est construit dans le style traditionnel du Sikkim et rappelle l’architecture des monastères bouddhistes de la région. Le premier étage est réservé à la bibliothèque tibétaine tandis que le rez-de-chaussée accueille aujourd’hui le musée, dans un espace se composant d’une grande salle 225m2 env. et d’une petite salle annexe consacrée à une présentation ethnographique des Lepcha, une population ancienne du Sikkim. I. Une approche pluridisciplinaire. La collection de l’institut est présentée selon une approche pluridisciplinaire, mêlant l’histoire de l’art et l’ethnographie, les arts sacré et profane. Le parcours est thématique, regroupant les œuvres selon leur iconographie ou leur nature puisque le manque d’informations sur les provenances et les datations rend difficile une approche chronologique ou stylistique. Ces choix muséographiques diffèrent de la présentation courante de l’art himalayen dans les musées occidentaux. Les objets tibétains, arrivés surtout au XXe siècle et en nombre après les évènements de l’invasion chinoise et de la révolution culturelle, ont été répartis en deux catégories les objets considérés comme beaux et sacrés selon nos critères ont été placés dans des musées d’art et ont fait l’objet d’études iconographiques et stylistiques tandis que les objets dits ethnographiques », moins esthétiques » pour les yeux occidentaux, ont été conservés dans les musées correspondant à cette discipline et restent encore aujourd’hui moins documentés, moins exposés aussi en témoigne leur répartition entre le Musée Guimet et le Musée du Quai Branly héritier des collections de l’ancien Musée de l’Homme. Ces catégories nous interrogent car l’exemple de l’institut montre qu’en contexte himalayen, elles n’existent pas et nous pouvons le constater avec les statues contemporaines de Drakar Tashiding à 103, fig. 2. Réalisées en bois et selon une esthétique simple, celles-ci sont présentées dans une vitrine similaire aux sculptures métalliques plus classiques, sans distinction de catégorie. Leur importance sacrée provient de leur iconographie et de leur matériau spécifique voir ci-après. Dans un musée occidental, une appréciation purement esthétique les aurait probablement associées plus à une collection ethnographique qu’à une vitrine d’art bouddhique. Cet exemple nous montre de plus, au-delà de l’aspect muséographique, à quel point il est important d’aborder aussi le travail de documentation de l’art himalayen avec la même approche pluridisciplinaire. Une analyse stylistique classique ne suffit pas pour comprendre ces sculptures seules des recherches historiques et ethnographiques renseignent sur l’importance des personnages représentés et le caractère sacré du bois utilisé. Bien sûr, ces catégories ont été utiles dans un premier temps pour comprendre les objets himalayens, mais sont-elles encore pertinentes aujourd’hui ? Ne pourrait-on pas envisager, à l’image de ce qui est fait à l’institut et d’une manière générale dans les musées en Himalaya, de croiser davantage les regards dans leurs analyses ? Si les sources historiques, religieuses et littéraires sont déjà souvent utilisées pour les documenter, intégrer davantage l’ethnographie pourraient enrichir notre connaissance, notamment sur leur usage. Cet aspect nous semble d’autant plus important pour des œuvres conservées loin de leur contexte d’origine. Fig. 2. Ensemble de quatre sculptures en bois de Drakar Tashiding à 103 représentant de haut en bas les maitres bouddhistes Ngadag Phuntshog Rigzin 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo XVIIe s, dates précises inconnues, Lhatsun Namkha Jigme 1597–1654 et le Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670. H. 30 à 36 cm. L. 14 à 16 cm. Conservées à l’Institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. II. La valorisation de l’identité sikkimaise. Si l’appellation art himalayen » peut s’avérer pratique en Occident quand la provenance précise d’un objet reste inconnue, elle est peu pertinente en Himalaya où les identités régionales sont connues et de plus en plus valorisées. Cette dénomination fort large reflète la méconnaissance que nous avons eue pendant longtemps de ces spécificités régionales7. A l’institut, la muséographie ancre la collection dans l’environnement local et certains objets sont directement en lien avec l’identité régionale sikkimaise8. La muséographie de la salle principale9 est au goût sikkimais fig. 3. L’espace est divisé en trois par des vitrines hautes verticales accueillant des thangkas de chaque côté. D’autres vitrines, le long des murs, présentent à mi-hauteur des sculptures et des thangkas au-dessus. Le mur du fond est entièrement recouvert de vitrines et au centre de la pièce se trouvent six vitrines triangulaires basses. Toutes ces vitrines, à fond rouge, sont en bois et décorées de motifs traditionnels sikkimais fleurs, coupes d’offrandes, dragons… On les retrouve sur les colonnes et les poutres de la salle, ce qui donne un aspect très coloré à l’ensemble. Cette muséographie permet au visiteur de se sentir accueilli comme dans une belle maison sikkimaise où le mobilier traditionnel est décoré des mêmes motifs et couleurs. Fig. 3. Muséographie au goût sikkimais du musée de l’institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. Il existe au sein de la collection de l’institut un certain nombre d’objets directement en lien avec le Sikkim, le plus souvent par leur iconographie mais quelque fois par leur matériau et/ou leur lieu de fabrication. Dans cet ensemble, les œuvres les plus marquantes sont une série de sept thangkas qui relatent l’histoire du Sikkim à 35210. Commandées par le Chogyal Palden Thondup Namgyal dans les années 1960, elles ont été réalisées par le peintre sikkimais Rinzing Lhadripa Lama 1912-1977 à partir du texte historique Denjong Gyalrab. quatre sculptures en bois à 103, fig. 2 représentant le premier Chogyal du Sikkim et les trois maitres tibétains11 qui selon l’historiographie ont procédé à son couronnement en 1642. Elles ont été achetées à M. Sangay Tenzin, un moine de Drakar Tashiding ouest du Sikkim, le 30 juin 1981 et ont été réalisées dans le bois d’un arbre sacré du site foudroyé en 197512. Drakar Tashiding est important pour les Sikkimais c’est le centre sacré du Sikkim, d’où Guru Rinpoché a béni toute la région au VIIIe siècle13 et le rituel du Bum Chu, qui s’y tient tous les ans depuis 1646, permet de déterminer le destin du Sikkim pour l’année à venir14. deux masques fig. 4 représentant Dzönga la divinité protectrice du Sikkim associée au Mont Kangchendzonga située à la frontière avec le Népal, 8 586m d’altitude, et Mahākāla-Yapdü la forme locale du dieu protecteur Mahākāla. Ils apparaissent lors des danses de Pang Lhabsol, qui est le rituel national en l’honneur des divinités du Sikkim. Ses origines remontent au XIIIe siècle lorsque l’ancêtre tibétain des rois sikkimais, Khe-Bhumsa, et le chef Lepcha, Thekong-Tek, se prêtèrent serment de fraternité en invoquant Dzönga comme témoin15. Ce rituel, en plus de son importance religieuse et politique passée, joue un rôle dans l’affirmation de l’identité contemporaine sikkimaise16. une pièce de monnaie locale fig. 5, objet unique dans la collection et rare puisqu’il n’en reste qu’une trentaine dans le monde17. Il n’existait pas de monnaie locale au Sikkim avant l’arrivée de marchands népalais nommés Pradhan » à la fin du XIXe siècle. Ces frères achetèrent des terres et le droit d’y extraire du cuivre pour frapper une monnaie afin de commercer avec le Népal et la région de Darjeeling. Elle n’a été frappée qu’entre 1883 et 1885 car ni les Anglais, ni les Népalais n’autorisèrent sa circulation dans leurs juridictions respectives. Fig. 4. Masques en argile représentant Dzönga H. 30 cm. L. 26,5 cm, la divinité protectrice du Sikkim et Mahākāla-Yapdü H. 31,5 cm. L. 25 cm, la forme locale du dieu protecteur Mahākāla. Conservés à l’Institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. Tous ces objets présentent des caractéristiques iconographiques en lien avec l’histoire et les croyances religieuses de la région. L’institut a donc été pionnier dans sa volonté de valoriser l’identité sikkimaise mais il n’est pas resté un exemple unique. Les populations himalayennes, conscientes du rôle important que peut jouer un musée et la valorisation du patrimoine dans l’affirmation d’une identité, ont depuis les années 2000 multiplié les initiatives. La mise en avant de ces identités régionales résonne comme une invitation à mieux documenter la provenance des œuvres conservées en Occident. Encore souvent présentées sous les termes himalayen » ou tibétain », certaines pourrait être mieux mises en valeur si leurs spécificités régionales étaient documentées. III. La place du sacré. Les musées en Himalaya témoignent aussi d’une réflexion muséologique différente du modèle existant en Occident à propos de la place du sacré au musée. Les choix faits sur la manière de conserver le patrimoine religieux bousculent les limites posées en France entre le musée et le lieu de culte. Le développement des colloques en Asie consacrés spécifiquement aux questions du patrimoine bouddhique18 a naturellement encouragé cette réflexion et nourri cette volonté d’adaptation. Là encore, l’exemple de l’institut nous montre comment la question du rapport au sacré se pose de façons diverses. Tout d’abord, pour de nombreux visiteurs le sentiment religieux prime sur la contemplation esthétique au sein de ce musée temple » les règles de visite imposent de laisser ses chaussures sous le porche comme dans un monastère et de nombreux visiteurs commencent par se prosterner devant la statue centrale de Mañjuśrī avant de débuter leur visite. L’ancien directeur M. Sinha évoque déjà ce sentiment religieux à propos des premiers dons dans les années 1960 motivés par le fait que l’institut était assimilé à un lieu de conservation sacré » selon ses termes19. De même, le personnel du musée dépose chaque matin des offrandes devant ce même Mañjuśrī des bols d’eau et, lors de notre entretien avec le directeur Feu M. Tashi Densapa décédé en 2021, il a indiqué par deux fois avec fierté que la collection avait reçu la bénédiction du Dalaï-Lama lors de sa visite en 2010. Cet acte religieux est considéré comme un élément protecteur participant à la préservation de la collection. Nous avons aussi observé sur place que certains objets pouvaient quelquefois être déplacés temporairement de la collection pour un usage religieux. Bien sûr, ces manipulations sont rares et toujours avec beaucoup de précautions mais cela nous a étonné. Deux visions différentes des œuvres se rencontrent ici ceux-ci sont tout autant des objets religieux que des œuvres d’art et on se confronte à l’éternelle difficulté de concilier ces deux aspects dans ce qui touche à leur conservation. Alors même que les manipulations des objets que nous avons dû faire pour les nettoyer et les photographier pendant nos recherches ont pu heurter certaines sensibilités à l’institut, cela nous questionne de voir des œuvres sorties de leur vitrine ou de la réserve pour des célébrations à l’institut. Si une telle situation ne pourrait aujourd’hui être envisagée dans un musée français, rappelons tout d’abord qu’elle a déjà existé lors des cérémonies bouddhiques organisées par M. Guimet à la fin du XIXe s par exemple et ensuite, qu’un musée situé en région himalayenne se trouve dans son contexte culturel d’origine, où naturellement le point de vue religieux sur ces objets prend le pas sur l’application stricte des règles de conservation préventive. C’est précisément à l’occasion d’une intervention de restauration que nous avons mesuré l’importance accordée au sacré en contexte muséal himalayen. Si celle-ci est nécessaire pour la préservation de l’œuvre, elle est bien sûr mise en œuvre mais dans le respect des rites bouddhiques comme si l’objet était conservé dans un monastère. En septembre 2018, Mme Pema Kesang assistante en charge de la collection à cette date nettoya la statue de Mañjuśrī pour la photographier elle découvrit qu’une des fines plaques d’argent qui recouvrent cette sculpture en cuivre était abimée à l’arrière fig. 6. Celle-ci a été remplacée mais, faute de moyen, simplement recouverte de peinture argentée et le résultat est assez peu esthétique. Malgré cela, nous avons constaté que pour l’équipe de l’institut, le plus important n’était pas tant la qualité visuelle de la restauration, dans la mesure où il leur fallait bien s’adapter aux contraintes matérielles, que l’assurance d’avoir un moine viennent faire les prières requises avant de déplacer la statue et après sa remise en état pour qu’elle soit bien consacrée à nouveau. Fig. 6. Restauration de la plaque arrière de la statue de Mañjuśrī cuivre et argent, H. 1m67. L. 1m15. Conservée à l’Institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. L’ensemble des éléments évoqués ici nous montre bien qu’en Himalaya, le sacré n’est pas totalement exclu des musées. L’exemple de cette restauration témoigne d’une collaboration possible entre des professionnels de musées et un officiant religieux. Si nous transposions cette situation en contexte français, dans quelle mesure certains aspects religieux pourraient-ils ponctuellement trouver une place au musée ? Peut-être pourrait-on envisager qu’ils contribuent à une conservation plus respectueuse des pratiques existant dans le contexte d’origine de l’œuvre ? Il ne s’agit pas de transformer la nature laïque du musée français mais, dans une démarche plus inclusive et respectueuse des communautés, de considérer l’importance de certaines pratiques pour les objets d’art sacré. Ainsi, il nous semble que l’exemple de ce musée sikkimais propose de nouvelles perspectives pour une réflexion d’ensemble sur l’art himalayen privilégier une approche pluridisciplinaire est souvent la clé pour mieux documenter les œuvres, distinguer les caractéristiques des identités régionales en est une autre, et enfin, il nous encourage à envisager différemment la place du sacré. Afin de conclure, nous pouvons rappeler que, même si la collection de l’Institut Namgyal de Tibétologie de Gangtok s’est plutôt constituée à la faveur des dons qu’avec une réelle volonté d’acquisition, sa diversité en fait toute sa richesse. L’institut occupe une place particulière parmi les musées himalayens en tant que première initiative purement locale. Malgré le défi que représente la préservation de sa collection dans les conditions climatiques du Sikkim et le manque de ressources humaines et matérielles dont il souffre, l’institut s’attache à documenter ses œuvres avec rigueur. Nous avons aussi exposé comment ce musée, en développant sa propre vision de son patrimoine, ouvre de nouvelles perspectives quant à une approche pluridisciplinaire, la valorisation des identités régionales et le rapport au sacré pour les collections himalayennes conservées en Occident. Mais au-delà de ces aspects, il nous semble important de croiser nos regards sur ces œuvres. Les recherches menées en Himalaya et en Occident, une fois rassemblées, permettraient sans doute de retracer le parcours de certains objets. Sauvés du pillage ou au contraire volés, les objets tibétains ont une histoire particulière mais sans développer une approche mutuelle, comment retracer leurs itinéraires en exil ? Cela semble difficile sans construire une alliance des savoirs. Katia Thomas Bibliographie ARDUSSI, BALIKCI-DENJONGPA et SØRENSEN, 2021 Ardussi John, Balikci-Denjongpa Anna et Sørensen Per K., The Royal History of Sikkim a chronicle of the House of Namgyal, as narrated in tibetan by their Highnesses Chogyal Thutob Namgyal and Gyalmo Yeshe Dolma, Based upon the Preliminary Translation by Kazi Dawasamdup, Chicago, Bangkok Serindia, 2021. BALIKCI-DENJONGPA, 2002 Balikci-Denjongpa Anna, Kangchendzönga secular and buddhist perceptions of the mountain deity of Sikkim among the Lhopos », Bulletin of Tibetology, Volume 38, n°02, 2002, [En ligne] [consulté le 01/03/2019] BHATTACHARYYA, 1984 BHATTACHARYYA Pranab Kumar, Aspect of cultural history of Sikkim studies in Coinage, Calcutta Bagchi & Company, , 1984. 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Couverture L’Institut Namgyal de Tibétologie à Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 1. Situation géographique du Sikkim en Inde. © Google Maps. Fig. 2. Ensemble de quatre sculptures en bois de Drakar Tashiding à 103 représentant de gauche à droite les maitres bouddhistes Ngadag Phuntshog Rigzin 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo XVIIe s, dates précises inconnues, Lhatsun Namkha Jigme 1597–1654 et le Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670. H. 30 à 36 cm. L. 14 à 16 cm. Conservées à l’Institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 3. Muséographie au goût sikkimais du musée de l’institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 4. Masques en argile représentant Dzönga H. 30 cm. L. 26,5 cm, la divinité protectrice du Sikkim et Mahākāla-Yapdü H. 31,5 cm. L. 25 cm, la forme locale du dieu protecteur Mahākāla. Conservés à l’Institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Fig. 5. Restauration de la plaque arrière de la statue de Mañjuśrī cuivre et argent, H. 1m67. L. 1m15. Conservée à l’Institut Namgyal de Tibétologie, Gangtok, Sikkim, Inde. © Namgyal Institute of Tibetology, Gangtok, Sikkim, India. Il est alors autorisé par Mao Zedong à se rendre en Inde pour les célébrations de la Buddha Jayanti 2 500e anniversaire de la naissance du Bouddha et ne reviendra à l’institut que le 21 octobre 1981. [↩] D’ROZARIO, 1973. [↩] Au Sikkim, Chogyal » est le titre signifiant roi » ; Gyelsé » celui du prince héritier ». [↩] Le Gyelsé Palden Thontup Namgyal est veuf en 1957 suite au décès de sa première épouse, Sangay Deki, mère de ses trois premiers enfants. Il rencontre Hope Cooke 1940- en 1959 à Darjeeling mais leur relation ne commence qu’en 1961 et ils se marient en mars 1963. Le roi Tashi Namgyal décède en décembre 1963 et Palden Thontup Namgyal est couronné Chogyal en 1965. Il aura deux enfants avec Hope puis le couple se sépare en 1973. [↩] Ces discours sont cités intégralement dans DENSAPA, 2008, [↩] viii to establish and maintain a library of printed works and a museum of iconography and religious arts, access to both extending beyond the members and scholars of the Institute; ». Le texte de la charte est reproduit en partie dans DENSAPA, 2008, [↩] DOLLFUS, 1997. [↩] MULLARD, 2011 et HILTZ, 2003. [↩] La seconde salle attenante est une annexe consacrée à une présentation ethnographique de la population Lepcha, ajoutée après que la muséographie de la salle principale ait été réalisée. [↩] Ces peintures sont reproduites dans ARDUSSI, BALIKCI DENJONGPA et SØRENSEN, 2021, p. 582-587. [↩] Il s’agit du Chogyal Phuntshog Namgyal 1604-1670 et pour les maitres de Ngadag Phuntshog Rigzin connu aussi sous le nom de Ngadag Sempa Chenpo 1592-1656, Kathog Kuntu Zangpo ou Kathog Rigzin Chenpo dates précises inconnues et Lhatsun Namkha Jigme ou Lhatsun Chenpo 1597–1654. Quatre sculptures métalliques contemporaines des mêmes personnages à 99 ont été offertes à l’institut en 2007. [↩] Selon la mention portée au registre d’inventaire This statue is made of sacred tree’s branch of Tashiding which broke off due to lightening in 1975. ». [↩] VANDENHELSKEN, 2006, et DOKHAMPA, 2003, [↩] En observant la clarté et le niveau de l’eau dans un vase sacré consacré par Guru Rinpoché. [↩] BALIKCI-DENJONGPA 2002, explique l’étymologie dpang lha gsol, offering to the witness deity ». [↩] POMMARET, 1994, It is interesting to note that in Sikkim, annual dances in honour of the mountain deity Gangs chen mdzod lnga Kanchenjunga took place in front of the Royal Palace. […] In the early 1990s, these dances were suspended temporarily by the Indian government, which saw them as a nationalist and royalist manifestation. ». [↩] BHATTACHARYYA 1984 en répertorie 32, la plupart en mains privées et en incluant celle conservée à l’institut. Une dizaine d’entre elles apparaissent aux catalogues des ventes chez Spink Londres The Nicholas Rhodes Collection of coins of north east India part I du 24 septembre 2013 et idem part II du 27 septembre 2016. Ces pièces sont proches de celles frappées à la même époque au Népal, seule la mention Sikkim » les distingue. [↩] WIJESURIYA et LEE, 2013. [↩] SINHA Nirmal C., 1984, A few donors were frankly poor refugees from Central and Eastern Tibet and refused any payment; they firmly asserted that they were not sellers of images and that they donated these for safe custody in a place which was to them a sacred repository of scriptures and icons; the donors, rich and poor alike, would not call this Institute a library or museum as we do. ». [↩] Article écrit par Stéphane Gaessler Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le 20 janvier 2022 I. De la protection à la destruction évolution de la relation au patrimoine et à sa protection de Lénine à Staline. Dans l’histoire soviétique la question du patrimoine a connu alternativement des périodes favorables et tragiques. Cette oscillation, l’incohérence, voire l’illogisme qui a fondamentalement caractérisé la relation au patrimoine, participe d’un développement culturel et idéologique qui a connu en URSS plusieurs phases contradictoires. On citera à titre de références les travaux de Vladimir Paperny1, Svetlana Boym 1959-20152 ou encore ceux d’Alexeï Yurchak3, qui ont montré chacun à leur manière, l’instabilité fondamentale et les contradictions des discours officiels et des formations discursives » successives au sein de la civilisation » soviétique. Si l’on retient souvent l’œuvre destructrice du pouvoir soviétique, on ne doit pas sous-estimer son rôle important dans la mise en place des premières structures et institutions de protection en Russie, et dans le développement d’une science de la restauration. Il faut enfin souligner le rôle de personnalités, d’hommes et de femmes, qui ont combattu, individuellement, parfois collectivement, pour la préservation et la restitution de ce patrimoine architectural, essayant de manœuvrer, avec plus ou moins d’efficacité, dans les interstices et les étroites parcelles d’initiatives qui n’étaient pas totalement recouvertes par la machine étatique soviétique. Il faut souligner que la protection des monuments historiques reçoit avec l’arrivée au pouvoir des Bolchéviques sa première organisation étatique. Le décret du Conseil des commissaires du peuple du 5 octobre 1918 Sur l’enregistrement, l’inventaire et la protection des monuments d’art et d’histoire, se trouvant en possession de personnes privées, de sociétés ou d’institutions4» institue un premier cadre juridique et normatif pour la protection du patrimoine matériel, artistique ou architectural se trouvant encore aux mains de sociétés et de propriétaires privés. Le patrimoine acquiert aussi par ce décret une valeur d’intérêt national, puisque l’Etat est sensé pourvoir à son entretien et à sa préservation. Le décret prévoit l’établissement d’un premier inventaire de tous les monuments d’art et d’histoire Памятники искусства и старины ainsi que la mise en place d’’une politique pédagogique et de promotion du patrimoine auprès de la population. Cette disposition prévoyait de ne pas changer le statut de propriété des biens en question, mais bien d’octroyer une aide pour leur protection. Le décret du 23 janvier 1918 Sur la séparation de l’église de l’Etat et des écoles de l’église »5 avait déjà permis de nationaliser tous les biens de l’église. Le décret du 27 avril 1918 Sur l’abolition du droit d’héritage », permettra de nationaliser une grande partie du patrimoine privé. En décembre 1917 avait été créé le Narkomat des propriétés de la république, qui remplaçait l’ancien ministère de la cour impériale, gestionnaire des résidences du Tsar. En mai 1918, un collège pan-russe des affaires muséales et de protection des monuments d’art et d’histoire est créé au sein du Narkompros commissariat populaire pour l’éducation dont le ministre est alors Anatoly Lunacharski 1875-1936. Lunacharski va soutenir une politique de protection patrimoniale assez ambitieuse, il considère que les monuments doivent contribuer à éduquer artistiquement les masses. Le 10 juin 1918 est créée la Commission pan-russe pour la restauration des monuments, qui deviendra bientôt les Ateliers centraux d’Etat de restauration. Les ateliers centraux établissent les premières listes inventoriant les monuments d’architecture, ils établissent des passeports » pour chaque monument fiches d’inventaire. En outre un certain nombre de chantiers de restauration sont ouverts dès les premières années du régime soviétique. Au total 244 monuments d’architecture vont être restaurés entre 1918 et 19276. En 1918 est créée la Commission pour la restauration du Kremlin, sous la direction des architectes Fedor Schekhtel 1859-1926, Ilya Bondarenko 1870-1947, Nikolai Markovnikov 1869-1942 et Ivan Rylskij 1876-1952, il s’agit notamment de réparer les monuments ayant souffert des événements révolutionnaires. Sur la Place rouge, la restauration de l’église Saint-Basile le bienheureux est conduite sous la direction de l’architecte-restaurateur Dmitri Sukhov 1867-1958. A Leningrad, d’importants chantiers de restauration sont conduits au Palais d’hiver, ainsi que dans les résidences de Pavlovsk, Tsarskoïe Selo, Peterhof ou Oranienbaum. Outre Moscou et Leningrad, on voit le déploiement de nombreux chantiers de restauration principalement en RSFSR République socialiste soviétique de Russie, dans les villes historiques de Novgorod, Pskov, Vladimir, Souzdal, Ouglitch, Staritsa, Smolensk, Vologda ou encore Zagorsk. A Zagorsk, nouvelle dénomination soviétique de la ville de Sergiev Posad, près de Moscou, toute une communauté d’intellectuels, artistes, architectes, archéologues, historiens de l’art, collectionneurs, se fédère autour de la figure du théologien orthodoxe Pavel Florenski 1882-1937, pour la préservation et la restauration de la Laure de la Sainte-Trinité-Saint-Serge. Parmi ces défenseurs du patrimoine beaucoup furent par la suite victimes des purges dans les années 1930. Ainsi Pavel Florenski fut exécuté aux Solovki en 1937, le peintre d’icônes Vladimir Komarovski 1883-1937 fut fusillé en 1937 à la prison de Boutovo, le comte Iouri Olsufiev 1878-1938 le fut l’année suivante. La question patrimoniale va toucher directement à un certain nombre de problématiques liées aux politiques de restructuration et d’aménagement urbanistiques. Moscou devenue la capitale du nouvel Etat soviétique en 1918, doit subir d’importantes opérations de transformation pour répondre à ses nouvelles fonctions. C’est la tâche confiée à l’atelier d’architecture du Soviet de Moscou, la mairie, qui de 1918 à 1924 élabore sous la direction d’Ivan Joltovski et Alexeï Susev, le premier plan directeur de réaménagement et d’extension de la capitale soviétique qui recevra le nom de Nouveau Moscou ». Le conseil scientifique du Nouveau Moscou » va collaborer étroitement avec la Commission pour la protection des monuments d’art et d’histoire de Moscou et sa section architecturale dirigée par Nikolaï Vinogradov 1885-1980 qui établit la première liste des monuments historiques de la ville et leur classification. L’atelier d’architecture du Mossoviet fait constamment appel aux expertises et conclusions de la Commission, réalisant une synthèse inégalée du travail conduit par les architectes et les spécialistes du patrimoine. Une enquête est conduite par deux architectes, collaborateurs de Susev, et qui sont en même temps les architectes de la section architecturale de la Commission pour la protection des monuments d’art et d’histoire, Andreï Snigarev 1890-1955 et Nikifor Tamonkin 1881-19517. Au bout d’un an en 1921, ils auront exploré les deux tiers de la ville. Susev, Kokorin, Plan du Nouveau Moscou », partie du Kremlin, des arrondissements de Khamovniki et de Zamoskvorietchie, 1924. Chaque bâtiment étudié, fait l’objet d’une enquête et d’une fiche descriptive. L’ensemble de ces données sont transmises à l’atelier de Susev, qui les prendra en compte dans le plan directeur et l’aménagement de chaque quartier8. Outre la prise en compte de ce patrimoine, le Nouveau Moscou propose une solution urbanistique assez radicale. L’idée principale consiste à transférer le centre administratif et économique de Moscou vers le Nord-Ouest, sur la Chaussée de Petrograd, ce qui permettrait de sanctuariser » le centre historique autour du Kremlin. Fig. 2 Sukhov, projet de squares le long du mur de Kitay-gorod depuis la place de la Loubianka jusqu’au Kremlin et aux quais de la rivière Moskva, Moscou. Dessin, 10 janvier 1922. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-920/627. Le plan prévoit également une déconcentration de Moscou, grâce à la création de cités jardins satellites situées à l’extérieur de la ville. Le tissu urbain ancien des quartiers centraux, doit être aéré grâce à un programme de curetage des îlots Tous les monuments religieux et civils doivent être restaurés, débarrassés de toutes les constructions plus récentes qui auraient pu altérer l’authenticité architecturale des bâtiments. Les monuments doivent être valorisés aux visiteurs aux milieux d’espaces verts et par leur inscription au sein de perspectives urbaines dégagées9. Ces solutions répondent de doctrines patrimoniales spécifiques à cette époque, promues notamment par Piotr Baranovski, considérant qu’il fallait conserver seulement les monuments relativement anciens jusqu’au XVIIIème siècle quitte à les restaurer en profondeur pour retrouver leur apparence originelle. Cette doctrine patrimoniale refuse les apports ultérieurs de l’histoire, elle ne prend pas en compte ni le patrimoine du XIXème siècle, encore moins celui du début du XXème siècle comme l’Art nouveau Style Modern en russe. L’idée de la création du nouveau centre au Nord-Ouest de la ville est finalement abandonnée au profit de la conservation du centre politico-administratif au Kremlin. La raison en est principalement économique, il est en effet moins couteux de réutiliser le patrimoine bâti existant que de créer ex nihilo un nouveau complexe gouvernemental. Cette décision aura un impact direct sur la protection du centre historique. A partir de 1925, dans le cas de Moscou, la protection et la restauration des monuments devient la prérogative du Département d’économie municipale du Mossoviet Москоммунхоз – MKX, qui règlemente l’urbanisme, en fixant les alignements et le cadastre. C’est dans ce contexte, que les fonctionnaires de la municipalité abandonnent rapidement le projet du Nouveau Moscou » au profit du plan Grand Moscou » proposé en 1925 par l’ingénieur Sergey Chestakov 1862-1931, qui jugé plus pragmatique » du point de vue économique et industriel, développe une relation très différente au patrimoine. Chestakov donne notamment la priorité à l’élargissement du réseau viaire même dans le centre-ville. Les chantiers de reconstruction de la capitale soviétique qui se déploieront à partir du milieu des années 1920 vont conduire à la première vague de destructions massives de monuments historiques vers 1926-1927. Au début des années 1920 on dénombrait à Moscou 628 églises et 687 bâtiments civils10 inscrits sur les listes du patrimoine. On observe très vite cependant une réduction importante des monuments inscrits passant en 1926 à 296 églises et 438 bâtiments civils, et finalement seulement 125 monuments au total en 193211. Si ces listes ont pu constituer d’importants documents de mise au jour et d’identification des monuments, de description et de fixation de leur état, leur caractère juridique restait très flou, et ne stipulaient aucun caractère d’inaliénabilité des bâtiments en question. Le gouvernement soviétique va progressivement affaiblir les organisations patrimoniales centralisées en donnant plus de prérogatives aux autorités municipales. Il va progressivement fermer toutes les structures étatiques qui s’occupaient de protection du patrimoine, le collège muséal du Narkompros en 1928, la filiale moscovite auprès du gouvernement de Moscou est supprimée en 1929, enfin les ateliers centraux de restauration sont fermés en 1934. Parallèlement il s’attaque aux associations qui avaient défendu le patrimoine, comme la Commission pour l’étude du vieux Moscou et la MAO, Société architecturale de Moscou, qui réunissait les architectes les plus engagés sur ces questions, fut liquidée dans le cadre du décret d’avril 1932 portant sur la restructuration des organisations littéraires et artistiques. Les lois adoptées en 1924 et surtout celle de 193312 font de la préservation des monuments plutôt l’exception que la règle. Enfin la décision de la préservation ou de la destruction revient le plus souvent aux pouvoirs régionaux et municipaux, qui examinent souvent le problème du point de vue des infrastructures et du développement économique, à un moment où la priorité était donnée à la réalisation des objectifs fixés du premier plan quinquennal. Ainsi à Moscou on s’aperçoit que le principal commanditaire de ces destructions n’est pas le pouvoir central mais la mairie. Une entreprise municipale le Mosrazbor est même spécialisée dans le démontage et le sautage des monuments. Il est significatif de souligner que si les années 1930 sont une époque qui en théorie célèbre les formes du passé, avec une théorie réaliste-socialiste qui prône l’assimilation de l’héritage architectural, elles peuvent être qualifiées de décennie noire pour le patrimoine. C’est à cette époque que l’on dénombre à Moscou les destructions les plus importantes en termes quantitatifs et qualitatifs en 1928 les très belles portes rouges édifiées au XVIIIème siècle par Dmitri Oukhtomski, en 1930 le monastère Simonov, en 1931 la cathédrale du Christ Sauveur, en 1934 la tour Soukharev en 1934, en 1936 la cathédrale de Kazan sur la place rouge, pour ne citer que quelques exemples. Si ces destructions suscitent de nombreuses protestations, certains monuments en ont suscité plus que d’autres. Ainsi un certain nombre de bâtiments qui constitueraient pour nous aujourd’hui un patrimoine remarquable, n’étaient pas considérés comme tels dans les années 1930. C’est le cas en partie de la Cathédrale du Christ sauveur, construite par un architecte allemand Konstantin Ton, au milieu du XIXème siècle et dans un style historiciste néo-byzantin, son architecture pompeuse, qualifiée souvent d’ étrangère », car construite par un allemand, et perçue comme récente, ne suscitait que très peu d’admiration parmi les architectes et défenseurs du patrimoine. Susev, qui peut être considéré comme un de ces défenseurs du patrimoine architectural, avait même salué la destruction de cette verrue architecturale », dont Staline avait enfin débarrassé Moscou. La reconstruction de la cathédrale dans les années 1990, comme symbole de la renaissance orthodoxe de la Russie, peut donc être vue comme un paradoxe historique, sa destruction l’avait transformé en symbole. A l’inverse les destructions du monastère Simonov ou de la tour Sukharev ont provoqué des protestations, et la mobilisation assez unique des architectes, y compris ceux qui étaient les plus proches du pouvoir comme Susev ou Joltovski. Si ces protestations prenaient souvent la forme de lettres envoyées aux autorités ou à Staline en personne, on assiste à un intéressant phénomène consistant à proposer des solutions architecturales et urbanistiques alternatives à la destruction partielle ou complète de ces monuments. Fig. 3 D. Sukhov, Projet pour le palais de la culture de l’arrondissement de Simonov, années 1920. GNIMA OF-4559/988 Les archives du Musée d’architecture de Moscou conservent notamment l’héritage de l’architecte Dmitri Sukhov qui fut particulièrement créatif dans ce domaine. Sukhov participe par exemple au concours pour le nouveau palais de la culture du quartier Simonov, proposant de conserver une partie du monastère à côté du nouveau bâtiment Quand les fortifications de Kitay-Gorod sont menacées de destruction, il propose un projet d’aménagement les transformant en promenade plantée Pour l’église de l’Icône de la Mère de Dieu Grebnevskaya à la Loubianka, il propose d’intégrer adroitement le bâtiment dans la nouvelle trame urbaine, en créant autour un espace vert La création de square autour des églises est une manière de les transformer en espaces publics. On retiendra également le projet de Sukhov pour la transformation d’une église en un temple civique fig. 5. Fig. 4 Sukhov, église de l’Icône Grebnevskaya de la Mère de Dieu sur la Loubianka, 1472, 1585, 1685, début du XVIIIème siècle. Moscou. Vue à vol d’oiseau. Projet d’aménagement du quartier. 1926. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-1750/3. Fig. 5 Sukhov, Projet de reconstruction d’une église en bâtiment civil. 1927. Verres avec différentes phases de transformation du bâtiment. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-19/5709. En ce qui concerne la Tour Suharevskaya, en août 1933, Grabar, Joltovski, Susev écrivent à Staline en personne pour le convaincre de ne pas détruire ce remarquable monument du baroque moscovite de la fin du XVIIème siècle. Ils accompagnent leur lettre du projet de l’architecte Ivan Fomin 1872-1936 également signataire de la lettre, qui imagine une reconstruction de la place permettant l’organisation d’un trafic circulaire autour de la tour et même le passage de lignes de tramway sous les arches du monument. Les architectes réitèrent leur supplication en 1934 pour essayer que le monument soit déplacé, avec un projet de démontage établi par l’ingénieur Vladimir Obrazcov 1874-1949, mais en vain, Staline persistera à voir dans la tour un obstacle au développement urbain de Moscou et aux transports modernes, elle sera définitivement rasée en juin 1934. On considère que Piotr Baranovski a été déporté en 1933 en Sibérie suite à cette affaire, libéré en 1936, il était interdit de séjour dans la capitale, relégué dans la ville provinciale d’Alexandrovo. Il revint en grâce que vers la fin de la guerre, par l’intercession de ses amis et collègues, dont Susev, pour travailler à la reconstruction du pays13. Fig. 6 Ivan Fomin, Leonid Poliakov, Projet de reconstruction de la place autour de la Tour Sukharevskaja, 1933-1934. Projet de concours. Axonométrie. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-919/495. II. Le renouveau patrimonial de la grande guerre patriotique. Fig. 7 Georgui Golts, Projet de reconstruction de la ville de Smolensk. 1945. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-4347/6. La guerre va conduire en même temps qu’un renouveau du sentiment national à une nouvelle prise de conscience patrimoniale. Il est significatif que la célébration du passé, ne se focalisera plus uniquement sur l’héritage universel du classicisme, mais exprimera un nouvel engouement pour d’une part l’héritage de la Russie médiéval, d’autre part celui des différentes nations de l’URSS, en intégrant l’architecture populaire. Les nombreuses destructions engendrées par le conflit, conduisent à la remise en place d’organismes de protection et restauration centralisés. Dès avril 1942 est créée au sein du Comité des affaires artistiques du Conseil des Commissaires du peuple de l’URSS une commission pour la prise en compte et la protection des monuments d’art, présidée par Igor Grabar et Dmitri Sukhov. Cette commission a en charge d’établir l’état des monuments et répertorier les destructions subies lors de la guerre14. Cette commission donne à nouveau à la protection du patrimoine un organisme d’envergure nationale, bien qu’elle soit composée au départ principalement de militaires. De nombreux spécialistes, comme l’illustre restaurateur Piotr Baranovski, n’en font pas partie pour des raisons politiques. En septembre 1943 est créé le Comité des affaires architecturales auprès du Conseil des commissaires du peuple, qui a pour tâche de coordonner et de planifier les opérations de reconstruction des villes soviétiques détruites lors du conflit. La supervision des affaires de protection et de restauration du patrimoine architectural lui est également transférée. Le décret du 21 février 1944 créé au sein du Comité des affaires architecturales la direction principale pour la protection des monuments d’architecture GUOP. Cet organisme est dirigé par Rzjanin15. Le système étatique de protection des monuments était rétabli et pour la première fois l’architecture avait son propre organisme de protection dédié. Le système est de plus fortement décentralisé, en effet depuis le décret du 21 décembre 1943 ont été créées des directions des affaires d’architecture dans les républiques Sovnarkom de la RSFSR, dans les régions Oblastnye et Kraevye et dans les deux villes principales, à Moscou et à Leningrad16. Le GUOP réunit d’éminents spécialistes comme Igor Grabar, Dmitri Sukhov, Alexei Susev, Ivan Rylskij, Sergey Toropov, Nikolaï Voronine, Ilya Machkov, Ilya Bondarenko. Le GUOP comptait plusieurs départements la section d’enregistrement, celle de restauration, l’inspection d’état, un conseil d’expertise scientifique, le Comité d’Etat de restauration GKR et les ateliers de restauration d’Etat, dont la direction est confiée à Piotr Baranovski. Les Ateliers centraux de restauration, qui avaient été fermés en 1934, sont recréés Le GUOP conduit un important travail pour la préparation des futures lois sur la protection du patrimoine, mais aussi pour organiser dès 1944, des expéditions de spécialistes pour explorer les régions dévastées par le conflit. L’Ukraine particulièrement éprouvée par le conflit, accueillit parmi les premières de ces expéditions. Dès le printemps 1943 un représentant du GUOP, l’architecte Polonski se rend à Kiev. En décembre 1943 Baranovski se rend à Tchernigov. Le GUOP joue également un rôle important dans la constitution d’une nouvelle attitude de l’urbanisme envers le patrimoine. Une liste de villes ayant conservé leur structure urbaine historique est établie. Le GUOP participe à l’élaboration de plans directeurs pour 132 villes, elle propose aussi de faire de Souzdal une ville-musée, ou encore de sanctuariser » en zones protégées zapovedniki » des quartiers entiers à Moscou ou à Pskov17. Fig. 8 Concours pour une affiche du GUOP Direction principale pour la protection des monuments d’architecture Protégez les monuments d’architecture », 1946. Projet de concours sous la devise Nos trésors », GUOP. On observe un soutien assez massif à la recherche sur l’histoire de l’urbanisme russe. On citera les travaux d’une nouvelle génération de brillants historiens de l’art comme Viktor Lazarev 1897-1976, Mikhail Iline 1903-1981 Artemii Artcikhovski 1902-1978, Vladimir Piliavski 1910-1984, Iouri Spegalski 1909-1989 Mikhail Karger 1903-1976 ou encore Nikolaï Voronine 1904-1976. En 1945 sort l’ouvrage de Nikolaï Voronine Les vieilles villes russe VORONIN, 1945., série de portraits de villes, Kiev, Tchernigov, Smolensk, Novgorod, Pskov etc. Voronine joue un rôle particulièrement important en établissant une périodisation assez claire de l’histoire de l’architecture russe, et en établissant pour la première fois une typologisation des formes urbaines des villes médiévales russes. Dès 1942 une commission de l’Académie d’architecture avait été même spécialement créée pour conduire des études sur l’intégration des monuments dans l’aménagement des villes reconstruites18. Voronine défendra l’idée de ne pas reconstituer seulement les monuments, les bâtiments, mais aussi la forme, la structure de la ville. Le projet de reconstruction de Lev Rudnev pour Voronej, celui de Nikolaî Kolli pour Tver, ou encore celui de Georgui Golts 1893-1946 pour Smolensk s’inspireront de ce principe, pour conserver la morphologie traditionnelle de la ville préexistante. Mais ces considérations, seront bientôt reléguées au second rang lors de la mise en œuvre des chantiers de reconstruction, les aspects économiques, les impératifs de la reconstitution du potentiel industriel, les priorités urbanistiques de l’administration vont soit réduire les ambitions initiales soit faire totalement disparaître. C’est le cas par exemple à Novgorod, où le projet de ville-musée de Lev Rudnev fut abandonné au profit du plan de Ŝusev et Vitaly Lavrov19. En dehors des zones protégées des monuments historiques, Susev projette une ville nouvelle organisée autour de grands axes classiques. Si l’industrie est interdite dans le centre, et si Susev est soucieux de préserver et de valoriser les monuments anciens, son adjoint Lavrov propose une vision beaucoup plus économique de la ville, en pensant Novgorod, non pas seulement comme une ville-musée, mais comme la capitale administrative et économique de la région. Il faudra attendre encore quelques années pour voire l’adoption d’une loi sur la protection des monuments d’architecture, en 1947 pour la RSFSR20, et en 1948 pour l’ensemble de l’URSS. Contrairement à la précédente loi de 1933, la loi de 1947 instaure le caractère obligatoire et inaliénable de la protection des monuments historiques. Le décret du 14 octobre 1948 du Conseil des ministres d’URSS Sur les mesures pour améliorer la protection des monuments de culture » décret du gouvernement URSS 3898 entérine cette situation pour l’ensemble de l’Union, ainsi que la division du système de protection patrimoniale en plusieurs domaines distincts, dont celui de l’architecture. III. Les années 1950-1960, entre négligences, nouvelles campagnes de destruction et apparition d’une conscience civique. Cette tendance positive en faveur d’une protection des monuments historiques et de leur intégration aux plans d’urbanisme est cependant assez vite remise en cause par une nouvelle vague de fragilisation institutionnelle des organes de protection, d’abord au niveau national. Le Comité des affaires architecturales d’URSS, qui avait joué un rôle particulièrement déterminant, est supprimé en 1949. Le GUOP est transféré au Ministère de la construction urbaine, qui accorde beaucoup moins d’importance à la question du patrimoine, face aux priorités de la reconstruction des villes. Le GUOP perd de nombreuses prérogatives et de nombreux cadres, avant d’être définitivement supprimé en mars 1951. Il faudra attendra avril 1953, après la mort de Staline, pour voir se reformer une Inspection d’état pour la protection des monuments d’histoire et de culture au sein du Ministère de la culture d’URSS. Le patrimoine n’était plus clairement une priorité nationale, il devient le domaine des administrations régionales ou municipales, souvent négligentes ou hostiles, et des ateliers de restauration implantés directement sur des sites spécifiques, qui produisent un travail remarquable. Il s’ensuit entre 1955 et 1965 une nouvelle vague de destructions, certes beaucoup moins importante quantitativement que celle des années 1930. Cela coïncide avec une période donnant la priorité à la construction de logements, à la modernisation des infrastructures urbaines, notamment les transports, et à l’industrialisation de la construction. Dans une idéocratie comme l’URSS le facteur idéologique restait néanmoins tout à fait déterminant. Dans l’après-guerre le patrimoine avait acquis une fonction pédagogique nouvelle en éduquant les masses dans l’amour de leur patrie et de leur histoire. Avec Khrouchtchev et la déstalinisation, l’idéologie de la révolution technico-scientifique et les campagnes antireligieuses, le patrimoine est perçu de nouveau comme suspect. Le dégel Ottepel’, période de démocratisation partielle, permet cependant l’émergence d’un puissant mouvement de la société civile en faveur de la défense du patrimoine en danger. En 1960 Nikolaï Voronine publie une brochure intitulée Aimez et conservez les monuments de l’art russe ancien », l’académicien philologue et historien de l’art Dmitri Likhachev 1906-1999 publie en 1961 l’article Monuments de la culture- héritage de l’ensemble d’un peuple ». Ces deux hommes contribuent également à l’apparition du VOOPIiK Société panrusse pour la protection des monuments historiques et culturels, qui est la première association de défense du patrimoine en URSS, depuis que les dernières sociétés indépendantes avait été fermées en 1932. A l’origine de sa création on trouve des personnalités du monde intellectuel, comme l’écrivain Vladimir Soloukhine 1924-1997, les artistes Ilya Glazunov 1930-2017, Pavel Korin 1892-1967, le compositeur Georgui Sviridov 1915-1998, le directeur du musée de l’Ermitage Boris Piotrovski 1908-1990 ou encore l’académicien et archéologue Boris Rybakov 1908-2001. Le VOOPIiK est loin d’être un nid de dissidence, le président de l’association n’est autre que le vice-président du Conseil des ministres de RSFSR Viatcheslav Kochemasov 1918-1998. La création de la société aurait été autorisée par l’armée, pour renforcer les sentiments patriotiques, et favorisée par les clans nationalistes qui avaient à cette époque leurs entrées au cœur du Kremlin depuis l’arrivée au pouvoir de Leonid Brejnev. Ce courant patrimonial » aboutira notamment à l’adoption en mai 1966 d’un décret du Conseil des ministres de RSFSR Sur la situation actuelle et les mesures pour améliorer la protection des monuments d’histoire et de culture de RSFSR »21. Cette loi stipule que les futurs plans d’urbanisme des sites incluant des monuments, doivent être obligatoirement approuvés par le Ministère de la culture et le VOOPIiK. Le décret permet également de protéger des architectures de la période soviétique. L’intérêt renouvelé pour le patrimoine urbain couplé à l’engouement pour les architectures vernaculaires et les patrimoines nationaux des différentes républiques est récupéré par le discours architectural officiel et s’inscrit dans une phase de réarmement idéologique face à l’hégémonie, que même en URSS, le style international de l’occident semble avoir acquise. Le début des années 1960 est marqué par des débats autour des voies possibles pour développer une architecture soviétique, qui doit notamment se nourrir des spécificités et de la synthèse des traditions progressistes » des différentes régions de l’URSS22. On assiste également au développement d’une nouvelle économie touristique. Dans la perspective du développement de ce secteur, il y a nécessité de préparer les monuments et les villes à ces nouvelles conditions. On voit apparaître à la fin des années 1960 une nouvelle mode des stylisations nationales, qui selon l’historien de l’architecture Selim Han-Magomedov 1928-2011, répond à l’essor du tourisme de masse23. La nouvelle prise de conscience patrimoniale des années 1960-1970 est par ailleurs fortement redevable de l’impact des politiques internationales. En 1964, le Congrès de Venise, 2ème Congrès international sur la restauration des monuments d’architecture, a eu une importance décisive pour l’intégration de l’URSS dans les normes internationales de la protection du patrimoine, et pour la prise en compte de l’urbanisme comme objet de patrimonialisation. L’URSS adopte la charte internationale sur la protection et la restauration des monuments, la fameuse Charte de Venise, qui vient remplacer de fait la Charte d’Athènes de 1931, que l’URSS de Staline n’avait jamais adopté. En 1965, se tient en Pologne l’assemblée constitutive de l’ICOMOS Conseil international des monuments et des sites, dont l’URSS est l’un des membres fondateurs. La Vème assemblée générale de l’ICOMOS en 1978 se tiendra à Moscou. La charte de Venise est un peu pour la défense du patrimoine ce que sera l’acte final de la conférence d’Helsinki en 1975 pour les militants des droits de l’homme. Au cours des années 1960-1970 se succèdent plusieurs controverses patrimoniales pour la plupart provoquées par des opérations d’aménagement à Moscou. Citons par exemple le chantier de l’Hôtel Rossia à Zaryadie juste à côté du Kremlin, le Bâtiment de l’agence Tass sur le boulevard de Tver l’hôtel Intourist sur la rue Gorki, le nouveau bâtiment du siège de la revue Izvestia sur la place Pouchkine à l’origine de la destruction de la maison Famusov, un hôtel particulier du début du XIXème siècle. La construction de la Nouvelle rue Arbat, la Prospekt Kalinine, projet de l’architecte en chef de Moscou, favori du pouvoir, Mikhail Possokhine 1910-1989, suscite des controverses au cœur même de l’Académie d’architecture. En novembre 1968, Andreï Ikonnikov 1926-2001 publiait dans l’organe officiel de l’Union des architectes, Arhitektura SSSR son article L’ancien et la nouveauté dans la composition de la ville »24, dans lequel il dénonçait le projet de Possokhine, qui avait introduit selon lui une rupture d’échelle, irréparable, dans le centre historique de Moscou Figure 9 Construction de la prospekt Kalinine à Moscou, architecte Possokhine, 1968. Photo illustrant l’ouvrage d’Andreï Ikonnikov, L’architecture de la ville, problèmes esthétiques de composition de la ville. Moscou éditions de la littérature sur la construction, 1972. P. 165. Une nouvelle génération d’architectes, va bientôt abandonner les schémas théoriques élaborés après-guerre par des architectes théoriciens comme Vitaly Lavrov 1902-198825 ou Nikolaï Baranov 1909-198926, et tente sous l’influence de ces différents événements, de proposer de nouvelles approches. C’est le cas par exemple d’une jeune équipe de l’institut du Plan directeur de Moscou, qui sous la conduite de leur jeune collègue, l’architecte Boris Eremin 1939-1998, propose un nouveau rapport à la ville ancienne dans leur projet présenté au concours pour la reconstruction du centre-ville de Moscou organisé en 1965-1966 Fig. 10 Boris Eremin, Brigade des jeunes architectes de l’Institut du plan directeur de Moscou, maquette du projet présenté au concours pour la reconstruction du centre de Moscou en 1966. Archives de Eremin. Moscou. Le projet de l’équipe d’Eremin se distingua des autres en proposant pour la première fois un important programme de préservation, de restauration et de reconstitution massive, non seulement de monuments, mais de quartiers entiers. En même temps Eremin proposait de créer un nouveau centre culturel et administratif sous la forme d’une ville linéaire parallèle à la ville ancienne. Sur la maquette du projet de Eremin on distingue au milieu de nombreux espaces verts, les profils de dizaines d’églises et de monuments, restaurés voire reconstitués Le projet ne fut pas adopté et fut accueilli avec raillerie par l’élite architecturale moscovite. Eremin développera par la suite le concept de Retrozravitie développement rétroactif. L’héritage conceptuel et esthétique de Eremin et de son atelier au MArchI deviendra tout à fait capital dans le développement d’une école architecturale post-moderne en URSS dans les années 1980. Fig. 11 Couverture du roman d’Oles Hontchar, Sobor La cathédrale, éditions Dnipro, 1989. Le patrimoine fut aussi un lieu d’expression de formes de dissidence, un espace de combats politiques. Le thème de la destruction ou de l’abandon du patrimoine, au même titre que les thématiques écologiques, deviennent à partir des années 1960, des lieux de contestation des actions du pouvoir. Ce type de dissidence, si elle était impensable sous Staline, n’est cependant pas sans conséquences sous Khrouchtchev et sous Brejnev. Il faut par exemple mentionner le roman Sobor La cathédrale de l’écrivain ukrainien Oles Hontchar 1918-1995, publié en janvier 196827 Hontchar y décrit le destin d’un fonctionnaire communiste arriviste, Loboda, qui souhaite faire carrière au sein d’une direction régionale du Parti. Par zèle sans doute, il a pour projet de détruire un monument architectural du XVIIIème siècle, une cathédrale orthodoxe. Ce roman sera condamné pour son nationalisme ukrainien » et sa critique acerbe de la réalité soviétique et interdit de publication jusqu’en 1989. Hontchar y dénonce outre la destruction du patrimoine historique et religieux, l’effacement d’une mémoire ukrainienne inscrite dans l’espace. Il semble qu’aujourd’hui le roman de Hontchar soit malheureusement redevenu d’actualité, plus encore, les remarquables travaux de relevé et de restauration produits par les expéditions du GUOP au cours des années 1940, sont aujourd’hui des archives qui à l’intérêt qu’ils présentaient pour l’historien, deviennent à nouveau précieuses pour le restaurateur et l’urbaniste qui travaillera à la reconstruction des territoires dévastés par la guerre. Stéphane Gaessler Bibliographie. BARANOV, 1965 BARANOV Nikolaï, Komposicjia centra goroda, Moscou 1965. BOYM 1994 BOYM Svetlana, Common Places Mythologies of Everyday Life in Russia, Harvard University Press, 1994. 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Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-1750/3. Fig. 5 Sukhov, Projet de reconstruction d’une église en bâtiment civil. 1927. Verres avec différentes phases de transformation du bâtiment. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-19/5709. Fig. 6 Ivan Fomin, Leonid Poliakov, Projet de reconstruction de la place autour de la Tour Sukharevskaja, 1933-1934. Projet de concours. Axonométrie. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-919/495. Fig. 7 Georgui Goltz, Projet de reconstruction de la ville de Smolensk. 1945. Archives du Musée d’architecture de Moscou GNIMA OF-4347/6. Fig. 8 Concours pour une affiche du GUOP Direction principale pour la protection des monuments d’architecture Protégez les monuments d’architecture », 1946. Projet de concours sous la devise Nos trésors », GUOP. Fig. 9 Construction de la prospekt Kalinine à Moscou, architecte Possokhine, 1968. Photo illustrant l’ouvrage d’Andreï Ikonnikov, L’architecture de la ville, problèmes esthétiques de composition de la ville. Moscou éditions de la littérature sur la construction, 1972. P. 165. Fig. 10 Boris Eremin, Brigade des jeunes architectes de l’Institut du plan directeur de Moscou, maquette du projet présenté au concours pour la reconstruction du centre de Moscou en 1966. Archives de Eremin. Moscou. Fig. 11 Couverture du roman d’Oles Hontchar, Sobor La cathédrale, éditions Dnipro, 1989. PAPERNY, 1996. [↩] BOYM, 1994. [↩] YURCHAK, 2017. [↩] Декрет Совета Народных Комиссаров СНК “О регистрации, приеме на учет и охранении памятников искусства и старины, находящихся во владении частных лиц, обществ и учреждений”[ Décret du Conseil des commissaires du peuple SNK Sur l’inscription, l’enregistrement et la protection des monuments d’art et d’histoire, se trouvant en propriété de personnes privées, de sociétés ou d’institutions »]. [↩] Декрет СНК РСФСР от Об отделении церкви от государства и школы от церкви» [↩] Сохранение и реставрация памятников архитектуры. 1917—1932». Всеобщая история архитектуры. Том 12. Книга первая. Архитектура СССР» под редакцией Баранова. Авторы Целиков, Яралов Москва, Стройиздат, 1975 [↩] OVSIANNIKOVA, 1982, p. 263-330 [↩] Овсянникова Е. Б. Из истории Комиссии Моссовета по охране памятников. С. 273 Ovsiannikova, De l’histoire de la Commission du Mossoviet pour la protection des monuments. P. 273. [↩] Stéphane Gaessler, Mémoire de Master II, Susev, Faculté d’études slaves, Sorbonne Université, 2017. [↩] ЦГАМО. Ф. 966. Оп. 4. Д. 1029. Л. 35 Archives de l’Oblast’ de Moscou. [↩] PERESLEGIN, 2015, p. 86. [↩] Об охране исторических памятников». Постановление ВЦИК и СНК РСФСР от г. [↩] LARIONOV, 1998, p. 145. [↩] RGAE fonds 9588, Opis’ 1, delo 38, L. 101. [↩] RGAE, fonds 9588, Op. 1, delo 48, l. 11. Archives de l’organisation et de la mise en œuvre des travaux de restauration et de protection des monuments d’architecture publics en RSFSR. [↩] Постановление СНК РСФСР от N 996 // Собрание постановлений и распоряжений правительства РСФСР. – № 3. – – Москва Народный Комиссариат юстиции РСФСР. С. 46-48. [↩] Доклад Барановского о проведении первоочередных мероприятий по сохранению поврежденных памятников архитектуры, 1944. Д 12 л 55 [↩] PERESLEGIN, 2015, p. 207. [↩] LAVROV, 1946, p. 5. [↩] Décret de mai 1947 du Conseil des ministres de RSFSR Sur la protection des monuments d’architecture », qui stipule que les monuments sont déclarés comme un patrimoine artistique et historique inaliénable, appartenant à l’héritage de la république et à la culture nationale ». Le décret confiait également au GUOP de compléter les listes de monuments inscrits. [↩] Орхана памятников истории и культуры. Декреты, постановления, Распоряжения Правительства СССР и Правительства РСФСР. 1917-1968. Москва 1968, с. 158-163. [↩] VOLODIN, 1960, p. 63. [↩] HAN-MAGOMEDOV, 1973, p. 75. [↩] IKONNIKOV, 1968. [↩] LAVROV, 1964. [↩] BARANOV, 1965. Баранов, Композиция центра города, Москва 1965. [↩] HONTCHAR, 1968. [↩] Article écrit par Philippe Pauthier Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le mardi 18 janvier 2022. Résumé Les fouilles du château du Haut-Barr ont exhumé plus de 45 000 restes. L’utilisation d’outils statistiques a permis un traitement rapide et concis de ce corpus important afin d’en tirer des conclusions solides. L’approche mathématique a étayé un raisonnement archéologique à l’aide de méthodes fiables. Ces outils ont aidé dans un premier à comprendre l’alimentation carné d’un site privilégié en dégageant des tendances de consommation à partir de restes alimentaires, et d’étudier les variations chronologiques ainsi que l’élevage et l’évolution d’une meute de chien en partant de mesures ostéométriques. Le but est d’étayer avec précision les liens entre humain et animal, tant du point de vue de la consommation que de la possession. Introduction Une étude archéozoologique, après la phase de détermination, repose sur l’analyse de ces résultats. Or l’abondante quantité de données obtenues peut complexifier l’interprétation. C’est le cas de l’étude de la faune provenant du château du Haut-Barr qui totalise 46 239 restes enregistrés, dont 36 178 déterminés 78%. S’est rapidement posée la question du traitement de données ; dresser efficacement les contours de l’analyse dans cette masse d’informations, sans pour autant risquer d’en délaisser une partie1. L’utilisation d’outils statistiques a été la réponse à cette question ; l’usage de l’ACP Analyse en composantes principales et de l’AFC Analyse factorielle des correspondances a guidé l’analyse de cet important échantillon osseux. Deux exemples d’utilisation de ces méthodes de traitement statistique des données seront présentés afin de montrer leur apport dans les études archéozoologiques. Ces outils ont permis dans un premier temps de mieux cerner la consommation carnée de la forteresse, de comprendre le sens de cette alimentation et son évolution chronologique à travers l’utilisation d’une AFC. Dans un second temps, une ACP a été effectuée afin de distinguer les caractéristiques d’une population animal donnée et de caractériser son élevage par la sélection des individus. I. Cadres et méthodes. A. Contexte historique et archéologique. Les ossements animaux proviennent du château du Haut-Barr qui surplombe la vallée de la Zarne et la ville de Saverne Bas-Rhin. Erigé au début du XIIe siècle2 sur ordre des évêques de Strasbourg, il surveille la plaine d’Alsace et la route de Strasbourg via Saverne par le col des Vosges. Surnommé l’œil d’Alsace par les Strasbourgeois, le Haut-Barr est construit sur trois éperons rocheux formant une longue barre de grès naturel3 au sommet plat et ourlé de falaises4. Fig. 1 Photo et situation du Château du Haut-Barr Bas-Rhin. Constitué d’un simple donjon au XIIe siècle, le château est agrandi par l’évêque Rodolphe sur conseil de l’empereur Frédéric Barberousse. Il achète un rocher isolé au bout de la barre gréseuse, alors possession de l’abbaye de Marmoutier, afin de fortifier la totalité du sommet rocheux. Au donjon originel s’adjoint une tour pentagonale, un logis et une chapelle. Cette forteresse est lieu de garnison et de surveillance avant tout, mais sert également de résidence secondaire pour les évêques de Strasbourg jusqu’au XIVe siècle, avant d’être confiée à des Burgherren. Il s’agit de ministériaux, des vassaux des princes épiscopaux, qui actent comme baillis du Haut-Barr à la fin du XIVe siècle5. La totalité des ossements a été exhumée dans un puits inachevé. Située sur le versant Nord, au pied du pan rocheux, cette structure a été fouillée entre 1983 et 1987 sous la direction de René Kill. L’entièreté du sédiment a été tamisée, et la fouille s’est déroulée par unités stratigraphiques 20 US séquencées en passes de prélèvements numérotées de A à AJ. Le puits a été creusé dans la roche gréseuse sur 25m de profondeur selon un plan en forme de fer à cheval. La chronologie s’échelonne de la fin du XIe siècle au XVIIe siècle. B. Méthodes. Les fragments osseux exhumés du puits du Haut-Barr constituent les sources de l’étude. La détermination, suivie de l’enregistrement de ces sources, permettent de distinguer des données. Des informations nécessaires à la compréhension du dépôt en seront extraites, renseignant ensuite indirectement ou non sur l’alimentation, la boucherie, l’élevage, la chasse etc… Le but est d’établir un lien entre les informations sélectionnées, et les questions posées. Toutes sont issues de choix, orientés selon les attentes de l’étude. Le traitement des données n’est pas un état purement objectif des faits, mais résulte de la vision subjective de l’analyste. Dans cette étude, les questions qui ont orienté l’analyse des données se concentrent sur les contours de l’alimentation en viande d’un site privilégié, et le contrôle d’une population canine. Pour ce faire, deux outils ont été choisis pour leur large gamme d’application l’ACP et l’AFC. Tous deux partent de la lecture de tableaux de contingences, et décrivent les relations entre individus en lignes et les variables en colonnes. L’AFC étudie ces relations de manière qualitative, en traitant individus et variables de la même manière avant de se concentrer sur leurs ressemblances et différences ; l’ACP le fait de manière quantitative, en analysant les individus par le biais des variables. II. Alimentation carnée d’un site privilégié synthèse des espèces et classes d’âge consommées. La fouille du puits s’est effectuée par US, elles-mêmes découpées en passes de prélèvement. Ces passes forment les lignes de ce premier exemple d’outils statistique l’AFC employée considère les niveaux de prélèvement étiquetés de A à AJ comme des individus, et les espèces ou groupes d’espèces sont les variables bovidés, caprinés, poissons….. Pour cet exemple, seules les espèces consommées sont prises en compte, à savoir les animaux de la triade domestique bœuf, porc, caprinés, les oiseaux sauvages ou volaille, le gros gibier cervidés et sanglier et les poissons. Fig. 2 Analyse factorielle des correspondances AFC de la consommation en viande du Haut-Barr par passe de prélèvement numérotées de A à AJ. La distinction entre les animaux de la triade adultes ou juvéniles s’est effectuée selon l’observation des stades d’épiphysation des ossements. L’AFC se présente sous la forme d’un nuage de points répartis dans l’espace selon un axe orthonormé fig. 2. Ces axes abscisses et ordonnés sont ce que l’on appelle des Dimensions » qui organisent les variables les espèces et les individus les passes de prélèvement selon leur inertie, c’est-à-dire selon leur importance. Les passes sont représentées en bleu et les espèces en orange. Bien que le support soit un axe orthonormé, il n’est pas possible de simplement lire les valeurs des abscisses et des ordonnées comme sur un graphique x/y classique. Pour pouvoir lire cette AFC, il convient de se repérer, non aux axes, mais à l’emplacement des points dans l’espace, et à leur proximité. Si deux points sont proches, cela signifie que leur assemblage faunique est semblable exemple les passes A et AH, et inversement. Ainsi, les passes situées à proximité d’une variable exemple Bovidés adultes présentent un fort taux de cette espèce dans sa composition faunique. Afin de faciliter la lecture, le regroupement des individus en sous-ensembles a été effectué parallèlement lors du calcul de l’AFC. Ce regroupement est appelé Classification Ascendante Hiérarchique CAH. De cette hiérarchisation des passes de prélèvement se dessinent six groupes regroupant la totalité des individus fig. 3. Fig. 3 Classification Ascendante Hiérarchique CAH des passes ou individus selon la similarité de leurs compositions. Ces ensembles dégagent des tendances de consommation en viande et permettent une visualisation simple et concrète de l’évolution de l’alimentation au Haut-Barr. Ce visuel est d’autant plus clair lorsqu’il est reporté sur le relevé de la structure du puits La principale information révélée est la rupture dans les habitudes alimentaires entre la richesse des espèces présentes jusqu’au XIIIe siècle et la consommation nettement plus modeste à partir du milieu du XIVe siècle. Dans la première moitié du stratigraphique, les espèces retrouvées révèlent une domination de jeunes individus, notamment de cochons et de caprinés. La viande de jeunes individus est plus recherchée et nettement plus riche. D’autant que consommer de la viande de porc suppose un élevage tourné uniquement vers la viande, sans aucune plus-value, contrairement aux bovins et caprinés qui apportent laitages, laine, ou force de traction. C’est d’autant plus le cas pour la consommation d’individus juvéniles. La limite d’âge pour la distinction avec les adultes est de 18 mois6 , mais plusieurs porcelets n’avaient que quelques semaines. Il s’agit d’une consommation de viande de grande qualité la maturité pondérale, moment où l’animal est le plus jeune pour un maximum de viande et donc de rentabilité, n’est pas attendue. Les animaux sont consommés uniquement pour la qualité de leur viande, et non pour la quantité qu’ils auraient pu fournir. C’est également le cas pour les jeunes caprinés ; la consommation de viande d’agneaux ou de chevreaux est caractéristique des milieux aisés7. La totalité des restes de poissons se concentre également dans la première moitié du dépôt. Bien qu’il ne s’agit que d’espèces dulçaquicoles, ce qui suggère une pêche locale et réfute une importation de poissons marins, la présence de l’esturgeon est de nouveau un marqueur de richesse. L’absence totale de restes ichtyologiques durant la seconde moitié chronologique ne fait que souligner la singularité de la première phase d’occupation. Fig. 4 Report des groupes dégagés par la CAH sur le relevé de la structure du puits. Relevé de la structure par R. Kill, DAO des US et groupes d’alimentation carnée Ph. Pauthier. Cette scission nette en deux consommations correspond à l’histoire du site. Comme on l’a vu précédemment, le Haut-Barr a servi de résidence secondaire aux évêques de Strasbourg. À ces occupations régulières correspondent les restes fastueux des XIIe et XIIIe siècles ce sont les témoins de l’alimentation des princes épiscopaux. Les vestiges plus modestes sont issus de l’alimentation de leurs vassaux ou/et de la garnison à partir du XIVe siècle. Les dominantes caprines et bovines sont largement majoritaires fig. 4 tandis que le porc s’efface, de même que les poissons. On remarque également la présence d’oiseaux sauvages, résultant aussi de la chasse. Proportionnellement, ils sont plus représentés à partir du XIVe siècle, mais ils étaient très présents aux XIIe et XIIIe siècles. D’autant que les espèces en question étaient nettement plus prestigieuses ; le faisan est attesté US 8, et surtout la grue cendrée est présente tout au long de la première phase d’occupation US 6-8-10-13-14-16. Cet animal est particulièrement représentatif de la différence de niveau de vie il est l’un des animaux les plus recherchés pour sa chair8, et peut-être le plus difficile à chasser car nécessitant une réelle maitrise de la chasse au vol9. De nouveau, les états antérieurs du site montrent un luxe qui disparait par la suite. Malgré tout, il ne s’agit pas non plus d’une consommation très modeste pour les états postérieurs, d’autant que les restes de venaison cerf, chevreuil et sanglier y sont représentés. Il s’agit toujours d’un milieu privilégié qui par son affiliation à la noblesse, a accès au monopole de la chasse. III. Contours d’une meute de chiens de chasse. La caractéristique principale de la faune du Haut-Barr est la place dominante du chien qui dépasse les 60% du nombre de restes déterminés. Ces ossements de canidés sont présents sur la totalité du comblement de la structure, à l’exception des niveaux de remblais les plus récents. Au cours de l’enregistrement du matériel osseux, des prises de mesures10 ont été systématiquement réalisées sur les os longs de canidés. L’analyse a clairement fait ressortir le rejet complet des carcasses. La présence de la majorité des os du carpe, du tarse, des sésamoïdes, par exemple, plaide en faveur d’un tel rejet. Malheureusement en raison des difficultés rencontrées, inhérentes à la fouille de cette structure profonde, les squelettes n’ont pu être individualisés et prélevés entiers. Un NMI a été décompté, mais l’association des os entre eux pour reconstituer les squelettes de chiens aurait été bien trop hasardeuse et arbitraire. Il ne fut pas possible de remonter les squelettes lors de la phase de détermination, mais un NMI a été décompté au moins 118 chiens ont été déposés dans ce puits. La distinction entre les formes de chiens se fait principalement par l’étude de la morphologie crânienne11. Malheureusement, très peu de crânes canins ont été exhumés entiers au Haut-Barr. En effet, sur la centaine d’individus dénombrés, seuls deux crânes ont été suffisamment bien conservés pour permettre de prendre les mesures adéquates. Dans la mesure où le puit dans lequel ces squelettes ont été retrouvés est très profond, on peut supposer que les têtes furent endommagées par la chute – jusqu’à 25 mètres pour les niveaux les plus anciens – et par le poids des sédiments. Fig. 5 Radius droits de chiens du Haut-Barr US 5, 6, 14, 15. Le choix a donc été fait de se concentrer sur l’étude d’os longs, mieux conservés. Ces informations ont été traitées, pour chaque os long, par Analyse en Composantes Principales ACP afin de pouvoir travailler rapidement et en considérant un grand nombre d’informations. L’analyse des radius est la plus intéressante car elle recense le plus d’individus, et c’est l’os le plus révélateur de changements morphologiques12. C’est sur son ACP que repose l’étude. Fig. 6 Analyse en Composantes Principales ACP des mesures des radius de chiens du Haut-Barr Les lettres correspondent aux passes de prélèvement [A-AJ], les numéros servent à les différencier. Quatre mesures ont été choisies pour l’analyse la plus grande longueur de l’os GL Greatest length, sa largeur proximale BP Breath of the proximal end, sa plus petite largeur médiale SD Smallest breath of the diaphysis et sa largeur distale BD Breath of the distal end. Tout comme pour l’AFC vue précédemment, les individus ici les radius de chiens forment un nuage de points organisés selon leurs ressemblances et différences. Les deux axes, appelés Dimensions » cumulent 98,82% de l’inertie. C’est-à-dire qu’ils contiennent la quasi-totalité des informations et des liens entre individus radius et variables mesures. Contrairement à ce qu’on l’on pourrait attendre, la longueur de l’os GL n’est pas la variable principale de distinction des individus. Les autres mesures des os longs largeurs proximale, médiane et distale sont les variables les plus corrélées de l’axe F1, ce sont celles détenant le plus d’informations. Cela signifie que ce n’est pas tant la taille des os que leurs variations morphologiques qui importent. Par extension, la hauteur au garrot des chiens du Haut-Barr est moins discriminante et révélatrice que ne l’est leur robustesse. Fig. 7 CAH des radius de chiens du Haut-Barr, obtenue à partir de l’ACP ci-dessus. De nouveau, une classification ascendante hiérarchique CAH a été effectuée, et plusieurs groupes ont été obtenus à partir de ces résultats. Cependant leur interprétation est plus complexe que celle des groupes obtenus en organisant les US selon la consommation carnée. Dire des radius regroupés qu’ils sont de petites ou de grandes tailles n’est pas suffisant le croisement des sources est nécessaire. Fig. 8 Radius de chiens du Haut-Barr selon leur hauteur au garrot en cm abscisses et leur indice de gracilité ordonnées, comparaison avec des profils de chiens contemporains numérotés de 1 à 1213 Tout d’abord, les profils de chiens du Haut-Barr ont été comparés à ceux de chiens actuels. Il ne s’agit en aucun cas de proposer une détermination des formes de chiens médiévaux à partir d’espèces actuelles ; les races » canines n’apparaissent pour la plupart qu’au XIXe siècle14, il serait donc anachronique d’en voir des représentants au Moyen Âge. Le but est ici d’observer la population canine du Haut-Barr selon un autre spectre de lecture, en se servant de profils moyens de races de chiens actuels comme repères morphologiques visuels. La majorité des chiens, toutes périodes confondues, se concentre sur la partie basse du graphique ; au-delà de 45cm de hauteur au garrot et en-deçà de 9 en indice de gracilité. Il s’agit d’animaux élancés où la taille devient le seul élément ostéologique discriminant. Ils sont nettement plus sveltes que le profil des chiens de garde type Boxer n°8 par exemple. Leur morphologie se rapproche plus de celles du Doberman et surtout du Pointer anglais, chien de chasse par excellence. Globalement, ce groupe est encadré de part et d’autre par le Whippet et le Barzoï, formes accentuées du lévrier l’une plus petite, l’autre plus grande. Bien que nous ne disposons pas de radius de lévrier contemporain pour établir une comparaison, il est fort probable que les chiens du Haut-Barr les plus hauts et les plus graciles s’en approchent. Le profil de lévrier, avec celui du Pointer et du berger allemand, dessinent les contours des chiens de grandes tailles du Haut-Barr. Vu les profils morphologiques dégagés, il est tout à fait possible qu’il s’agisse de vénerie. Or la constitution et l’entretien d’une meute de chiens de chasse nécessite une attention particulière dans le choix des individus et dans leur reproduction, qu’il s’agisse d’une sélection postzygotique élimination ou isolation des individus non désirés sans contrôle direct sur la reproduction, ou prézygotique accouplement choisi des individus pour perpétrer un phénotype observable15. De cette sélection d’un cheptel canin précis découle une meute choisie. Ce choix s’effectue selon des critères définis. Il ne s’agit pas encore de races » de chiens, mais de natures ». Ces natures » de chiens, pour reprendre les termes employés par Gaston Phébus, comte de Foix et auteur du plus ancien traité de chasse médiéval connu16, se distinguent par leur sélection et l’usage que l’on en fait. Dans ce traité, l’auteur énumère plusieurs grands types de chiens qui sont les alanz, les levriers, les chiens d’oysel, et les mastinz. La description physique qui est faite de tels animaux peut correspondre à celle de certains des chiens du Haut-Barr. Il s’agirait alors de la population d’un chenil, comprenant plusieurs types de chiens adaptés à la chasse en fonction de leurs capacités. La prise en compte de ces descriptions de chiens dans l’analyse des canidés du Haut-Barr nous permet d’affiner notre propos. En utilisant ces natures » canines comme clefs d’interprétation des données ostéométriques, tout en croisant les sources historiques et archéologiques, nous parvenons à distinguer des profils morphologiques cohérents. Nous pouvons proposer une interprétation logique de la population canine du Haut-Barr, et suivre son évolution chronologique. Fig. 9 Proposition d’interprétation des types de chiens présents au Haut-Barr d’après leurs radius. Le choix a été fait de conserver le support du graphique XY présenté précédemment, d’y reporter les groupes de chiens dégagés par la CAH de l’ACP et de se servir des sources historiques médiévales et modernes sur la vènerie pour proposer une interprétation crédible de la population canine du château du Haut-Barr. Les chiens de plus grandes tailles entre 55cm et 70cm au garrot sont globalement regroupés. Leur hauteur va de pair avec une certaine gracilité, avec un indice qui oscille entre 7 et 9. Ces morphologies, la ressemblance avec des profils actuels Boxer, Pointer anglais, Berger allemand et Barzoï, et la consultation de sources historiques laissent supposer la présence de lévriers et d’alanz17 , pour reprendre la terminologie de Gaston Phébus de Foix. En poussant plus loin nos suppositions, les lévriers sont vraisemblablement les chiens les plus graciles environ 7 d’indice de gracilité, et les alanz les plus robustes entre 7,5 et 8,5. Ces derniers sont les ancêtres de nos dogues actuels. Moins luxueux que les lévriers, ils sont malgré tout robustes, rapides, et très recherchés par les amateurs de vènerie fig. 10. Fig. 10 Livre de Chasse de Gaston Phébus, enluminure illustrant le chapitre Si devise de l’alant et de toute sa nature ». Le second groupe qui se dessine sur le nuage de points englobe des chiens de tailles médianes entre 45 et 55cm au garrot. Toujours selon les natures de chiens décrites plus haut, ces formes correspondent aux chiens d’oysel18. Nous savons que leur morphologie varie beaucoup tout en restant de petite taille, mais leur description physique est très succincte ; nous ne nous attarderons donc pas sur cette forme canine. Les chiens courants ont également une description physique peu précise, et leur morphologie semble hétérogène, il est donc plus difficile d’y attribuer des individus précis du Haut-Barr, mais il est tout à fait probable que ce profil de chiens se mélange à celui des chiens d’oysel. Cependant, il existe une morphologie canine répandue dans le monde de la chasse dont nous n’avons pas encore parlé, et qui conviendrait tout à fait à la description d’un chien courant le basset. Cette espèce n’est pas mentionnée par Gaston Phébus, alors que cet animal est aujourd’hui iconique de la chasse à courre, et est considéré comme un chien courant contemporain19. Dans le Livre de chasse, la description des chiens courants peut correspondre20. L’auteur précise que les jarrets doivent être droits et non courbes, mais ne précise rien quant aux pattes antérieures de l’animal. Or c’est bien la courbure des radius, couplée à la petite taille qui est caractéristique du basset21. Cette déformation est présente sur certains individus du Haut-Barr et il est tentant d’y voir une variation de la nature de chiens courants décrite par Gaston Phébus. Le basset n’apparaît dans aucun autre traité de chasse médiéval, alors que cette forme canine est attestée archéologiquement depuis la fin de l’Antiquité22. Ce silence dans la littérature cynégétique, pour un animal aujourd’hui autant assimilé à la chasse, peut s’expliquer par la simple évolution des pratiques de chasse. Cette forme canine ne répondait alors pas aux critères de la vénerie médiévale, il ne s’agit pas de la chasse noble » et digne d’être consignée par écrit. Il faut attendre le XVIe siècle pour avoir la première mention du basset dans La Vénerie et l’Adolescence par Jacques du Fouilloux23, où l’animal est désigné comme chien de terre ». Leurs jambes torses et leur petite taille leur permet de se faufiler dans les terriers de renards et de blaireaux tessons afin de les dénicher. Originellement, ces animaux sont atteints d’une forme de nanisme, mais ont été sélectionnés et reproduits pour cette particularité physique. Il ne s’agit plus de chiens courants, mais bien d’un tout autre type d’auxiliaires de chasse utilisés couramment au Bas Moyen-Âge. Viennent ensuite les chiens couplant une taille modeste entre 35cm et 45cm au garrot et une robustesse importante. Ceux-là sont interprétés comme des chiens de garde, ceux que Gaston Phébus nomme des mâtins. Il est également possible qu’il s’agisse d’alanz de boucherie de petite taille. Quoiqu’il en soit, ces profils ne sont pas ceux d’auxiliaires de vénerie, à moins qu’il ne soient utilisés comme renforts pour la chasse de proies lentes et imposantes ours ou sanglier. La seule morphologie que nous n’avons pas abordée est celle des chiens de très petites tailles, dont les profils ne s’approchent d’aucune des natures de chiens décrites dans le Livre de Chasse. Ces animaux font moins de 30cm au garrot et, de par leur faible robustesse, ne correspondent à aucune nature canine présente dans l’ouvrage. Il ne s’agit pas de chiens de chasse ni de garde, mais de compagnie. Fig. 11 Détail de la tapisserie La Dame à la Licorne A mon seul désir », représentation d’un chien de petite taille type spitz nain. Les chiens de type pékinois ou épagneul nain sont représentés sur les tapisseries de La Dame à la Licorne. Ils sont détachés de l’iconographie du monde animal ils ne sont pas dans l’herbe comme le sont les autres chiens, l’un d’eux a même le privilège de siéger sur un coussin à proximité de la Dame à la Licorne fig. 11. Ce sont plus des possessions d’apparat que des animaux. Les seuls autres animaux représentés proches de la Dame ont une fonction symbolique le lion, la licorne, l’oiseau…. Le chien miniature n’a comme fonction ou symbole que d’être un accessoire esthétique, et sa proximité peut montrer une certaine affection envers ces animaux. Pour en revenir aux chiens type pékinois du Haut-Barr, il est clair, vu leurs gabarits, que ces animaux n’ont pas de rôle particulier, si ce n’est de tenir compagnie à leurs propriétaires. Leur possession ne procure aucun bénéfice, n’a aucune utilité chasse, garde ou berger, mais est une fin en elle-même. Ils sont un luxe ; par conséquent c’est l’apanage ostentatoire d’une population aisée. La possession d’une meute de chasse est déjà un signe de richesse et un marqueur social fort. Seule une élite aux revenus conséquents peut se permettre les dépenses liées à l’achat des animaux, à leur élevage et leur entretien, à la rémunération des veneurs et serviteurs nécessaires, à la possession de chevaux, indispensables pour suivre les limiers et leurs proies , etc. Au coût de la chasse terrestre s’ajoute celui de la chasse au vol, également attestée au Haut-Barr24. Ce château a été le lieu de résidence d’une élite fortunée, et les vestiges de meutes de chiens en sont l’un des marqueurs. De nouveau, l’élément crucial dans la compréhension de la population canine du château du Haut-Barr est la chronologie. La quasi-totalité des chiens de grandes tailles sont du XIIe siècle, principalement des lévriers ou des dogues. Ces individus ont des profils très proches, ce qui se traduit par un nuage de points très resserrés fig. 9. Il s’agit d’une population choisie, à la reproduction contrôlée et à l’élevage encadré. Ensuite viennent quelques chiens courants et d’oiseaux se mélangeant, ainsi que deux occurrences de chiens de garde et un unique chien de petit format. La répartition des formes canines du XIIe siècle montre un vrai contrôle de la population par la sélection d’individus spécifiquement choisis pour la chasse, avec quelques occurrences qui sortent de ce cadre. Là où cette première meute montre une réelle cohérence dans le choix des morphologies, la population canine plus tardive XIVe siècle est nettement plus hétérogène. La quantité de chiens de grandes tailles diminue, alors que celle de chiens de courtes tailles s’accroît, aussi bien en nombre d’individus qu’en types de morphologies ; les animaux de compagnie et les chiens dits d’oiseaux fig. 11 se multiplient, et une forme proche du basset apparaît alors que les dogues et lévriers disparaissent. L’occupation du site a changé et la possession d’une meute de chien n’a plus la même fonction ni la même symbolique. La première occupation du château privilégie une meute de chasse dans les règles de l’art, alors que la fin de la période médiévale voit une transition vers une population canine répondant à d’autres attentes la défense, la compagnie ou l’apparat, et une forme de chasse qui a évolué et est moins traditionnelle. Le débusquage de renards et la récupération de leur fourrure prend le pas sur la poursuite des cerfs. Tout comme nous l’avons constaté dans le changement d’alimentation carnée, l’évolution du chenil du Haut-Barr coïncide avec le changement du type d’occupation du château. D’abord lieu de résidence ponctuel des évêques de Strasbourg, la forteresse est peu à peu délaissée par les princes épiscopaux, et cantonnée à son seul rôle militaire à la fin du XIVe siècle. Il est donc plausible d’envisager un délaissement progressif du site depuis la fin du XIIIe siècle par les élites, ce qui explique l’attention décroissante sur le contrôle de la population canine, et la disparition des formes les plus luxueuses et nobles » de chiens lévriers/dogues. En parallèle apparaissent des chiens répondant à des besoins plus prosaïques tels les bassets pour la chasse au lapin, blaireaux et renards afin de récupérer leur peau. Cette optique est moins celle d’un prince de l’Eglise que d’un ministérial chargé de l’entretien du château et de sa garnison, et complétant ses revenus par des compléments ponctuels récupération de peaux et chasse d’appoint. Conclusion. L’utilisation d’outils statistiques n’est pas strictement indispensable à l’analyse archéozoologique, mais le gain de temps et l’efficacité de réflexion ne peuvent être négligés. L’AFC et l’ACP ont respectivement aidé à la compréhension de l’alimentation et de l’élevage dans la forteresse du Haut-Barr. Ces deux thématiques sont le centre de toute analyse archéozoologique. Le lien étroit avec l’histoire du site rend ces exemples particulièrement parlants. Mais comme nous l’avons vu en seconde partie, le seul recours à la méthode statistique n’est pas suffisant pour l’étude de la faune, et le traitement de données donne une infinité d’interprétation. C’est pourquoi il est important de les manier avec discernement en choisissant les questions posées et en croisant les sources disponibles. L’objectif est de se servir à la fois de la lecture méthodique d’un document par des outils mathématiques, et de la réflexion de l’archéologue. Dans le cas présent, le traitement de l’importante quantité d’informations a permis d’isoler des groupes d’animaux, en se posant en amont la question de leur consommation alimentation en viande, et de leur utilisation vénerie. Avec ces deux seuls éléments, la compréhension globale de la faune du château du Haut-Barr est en grande partie complétée, et le contexte élitaire du site corrobore les observations archéozoologiques. Phillipe Pauthier Bibliographie. Alpak H., Mutuş R., Onar V. 2004 Correlation analysis of the skull and long bone measurements of the dog, Annals of Anatomy – Anatomischer Anzeiger, 186–4, p. 323–330. 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Fig. 2 Analyse factorielle des correspondances AFC de la consommation en viande du Haut-Barr par passe de prélèvement numérotées de A à AJ. Fig. 3 Classification ascendante hiérarchique CAH des passes selon la similarité de leurs compositions. Fig. 4 Report des groupes dégagés par la CAH sur le relevé de la structure du puits. Relevé de la structure par R. Kill, DAO des US et groupes d’alimentation carnée Ph. Pauthier. Fig. 5 Radius droits de chiens du Haut-Barr, Photo par Ph. Pauthier. Fig. 6 Analyse en Composantes Principales ACP des mesures des radius de chiens du Haut-Barr Les lettres correspondent aux passes de prélèvement, les numéros servent à les différencier. Fig. 7 CAH des radius de chiens du Haut-Barr, obtenue à partir de l’ACP ci-dessus. Fig. 8 Radius de chiens du Haut-Barr selon leur hauteur au garrot en cm abscisses et leur indice de gracilité ordonnées, comparaison avec des profils de chiens contemporains numérotés de 1 à 12, tableau d’après Colominas 2016. Fig. 9 Proposition d’interprétation des types de chiens présents au Haut-Barr d’après leurs radius. Fig. 10 Livre de Chasse de Gaston Phébus, enluminure illustrant le chapitre Si devise de l’alant et de toute sa nature », numérisation sur Gallica par la BNF, identifiant ark/12148/btv1b52505055c Fig. 11 Détail de la tapisserie La Dame à la Licorne A mon seul désir », représentation d’un chien de petite taille type spitz nain, Photo par Salix 2014 photo libre de droit. La détermination et l’analyse de ce site ont été effectuées par Ph. Pauthier dans le cadre de sa thèse, sous la direction de S. Balcon-Berry et la tutelle de B. Clavel. Cette thèse repose sur l’étude de 4 sites pour un total dépassant les 90 000 restes enregistrés. [↩] Voire début XIe siècle. [↩] D’où son nom le Haut-Barr Hohbarr en allemand. [↩] Haegel 1993. [↩] Haegel 1993. [↩] D’après Marinval-Vigne 1993, p. 213. [↩] Clavel 2001, p. 84. [↩] Strubel, Saulnier 1994, p. 106. [↩] Aurell 1996. [↩] Von den Driesch A., 1976. [↩] Lepetz 1996. [↩] Colominas 2016. [↩] Von Den Driesch, Peters 2003 ; Colominas 2016. [↩] Lord . 2016. [↩] Lord 2016. [↩] Tilander 1971. [↩] Strubel, Saulnier 1994, p. 112. [↩] Tilander 1971, p. 135. [↩] D’après le standard établi par la Fédération cynologique internationale. [↩] Tilander 1971, p. 127. [↩] Rodet-Belarbi, Forest 2010, p. 58. [↩] Rodet-Belarbi, Forest 2010, p. 57. [↩] Du Fouilloux, Boucher, 1614, p. 71. [↩] Plusieurs oiseaux de proie, dont un squelette d’autour des palombes, ont été découverts dans ce même puits. [↩] Article écrit par Baptiste Dumas-Piro Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le jeudi 20 janvier 2022. Figée dans son asymétrie, c’est inachevée que l’église Saint-Sulpice s’offre au regard. Laissée en l’état lorsqu’éclata la Révolution, sa façade principale constitue une composante majeure de ce qui fut l’un des chantiers parisiens phares de la fin du Grand Siècle et du XVIIIe siècle. Toutefois, Saint-Sulpice est également un monument du XIXe siècle, de profondes transformations lui ayant été apportées tout au long de la période concordataire. C’est dans un contexte rythmé par le Concordat qu’une restauration de l’ensemble du monument fut décidée, mais qu’une ultime tentative d’achèvement de cette façade resta finalement un projet avorté. La nature des débats qui eurent lieu à cette occasion permet d’aborder plus largement, pour la période de la monarchie de Juillet, la question de la perception de la ville et de ses différentes composantes, qu’elles soient monumentales ou modestes, publiques ou privées, et plus particulièrement la perception dédoublée du Paris moderne et du Paris ancien. Celle-ci n’était pas le fait du XIXe siècle ; au XVIIe siècle déjà des publications attestent de ce processus d’évolution des mentalités, mais un basculement s’opéra progressivement à compter des années 1830, le Paris d’antan cessant progressivement de faire l’objet d’un jugement négatif1. Cette perception modifiée favorisa la mise en place progressive d’une série de mesures devant permettre de conserver des architectures anciennes jugées dignes d’intérêt, ultérieurement définies en tant que patrimoine. La restauration et l’achèvement de Saint-Sulpice permettent d’approcher les débats qui portaient sur la frontière de ce Paris double. Si les édifices médiévaux et ceux de la Renaissance appartenaient indubitablement au vieux Paris, un monument comme Saint-Sulpice, datant en grande partie de la période moderne et dont la construction se poursuivait encore dans les ultimes années de l’Ancien régime, était plus complexe à rattacher à l’une de ces deux catégories. Il est donc proposé de resituer Saint-Sulpice dans le contexte plus général du Paris des années 1830 et 1840 en s’attachant aux démarches qui l’intégraient ou l’excluaient de ce qui était en passe de devenir du patrimoine. Il s’agit pour ce faire de se fonder en grande partie sur des archives administratives qui rendent compte des différents argumentaires développés pour mener à son terme ce chantier. I. Une restauration d’envergure pour l’église Saint-Sulpice Lorsque la restauration de l’église Saint-Sulpice fut décidée au milieu des années 1830, tout chantier religieux en France, y compris ceux des églises paroissiales, était encadré depuis 1802 par le Concordat. Concernant la capitale, la plupart des églises paroissiales étaient la propriété de la Ville de Paris pour le compte de laquelle agissait la préfecture de la Seine. Tout au long du siècle, à l’exception de l’éphémère IIe République, la capitale n’eut pas un maire pour premier magistrat, mais un préfet directement nommé par le souverain2. La préfecture était donc le principal décisionnaire quant aux interventions à mener à Saint-Sulpice. La démarche de la préfecture l’amena à s’intéresser au monument avant l’église comme tout édifice public d’importance, Saint-Sulpice était en mesure de rehausser le prestige de la capitale à une époque où le regard des nations européennes constituait une véritable obsession. À partir de la fin des années 1820, un phénomène émergea qui devint pleinement effectif autour de 1840, à savoir que les nouvelles églises paroissiales parisiennes, suivant un phénomène national, gagnèrent davantage en visibilité au sein de leur environnement outre une monumentalité nouvelle, leurs abords furent conçus ou modifiés pour leur permettre de rester visibles à de longues distances, tout en servant de centre organisationnel à leur environnement. De ce fait, l’intérêt de la préfecture de la Seine pour Saint-Sulpice peut s’expliquer au regard des chantiers contemporains, en particulier celui de la nouvelle église Saint-Vincent-de-Paul dans le quartier du faubourg Poissonnière. Les deux tours encadrant leur façade principale témoignent d’une filiation entre les deux monuments laquelle, bien que lointaine et partielle, atteste qu’un vocabulaire local a été employé pour faire de Saint-Vincent-de-Paul une composante fédératrice de son environnement fig. 1 et 2. Ce parti-pris esthétique constituait une rupture avec la plupart des églises paroissiales élevées dans les dernières décennies de l’Ancien Régime et sous la Restauration, dont les dimensions restreintes leur faisaient garder une relative discrétion. Cette rapide comparaison permet de comprendre que la préfecture ait eu à cœur d’intervenir à Saint-Sulpice et d’achever sa façade dont les tours sont les signalétiques qui affirment la présence de l’église à la fois dans son quartier, mais aussi au travers de la ville. façade principale de l’église Saint-Sulpice, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris. Fig. 2 Jacques Ignace Hittorff, église Saint-Vincent-de-Paul, 1824-1844, Paris. La préfecture ne jouissait cependant pas d’une liberté absolue dans sa gestion des édifices religieux, devant composer avec d’autres intervenants. Son droit de propriété était grevé d’une servitude elle était dans l’obligation de mettre l’église à la disposition de la fabrique, tout en y garantissant le bon exercice du culte. La fabrique, établissement public rétabli par le Concordat, était administrée par un conseil de fabrique. Celui-ci était composé de clercs et de laïcs3 ; le curé en était membre de droit, ainsi que le maire d’arrondissement4 . La fabrique était donc affectataire des lieux et, à ce titre, le conseil de fabrique était à même de s’immiscer dans le chantier de Saint-Sulpice. Il était habilité à donner son opinion, parlementer pour faire valoir ses arguments auprès de la préfecture à laquelle il restait néanmoins soumis. Son rôle était également valorisé dans la mesure où, étant à la fois en relation directe avec la communauté des fidèles et les services de la préfecture, il avait la capacité de se faire le lien indispensable entre la municipalité et les catholiques »5 . La décoration des églises était en théorie à la charge des fabriques6, mais la préfecture de la Seine en décida autrement en mettant en place un ensemble de services exclusivement dédiés à ces questions. Les dépenses affectées aux commandes d’œuvres étaient donc assumées par la préfecture à l’aide de budgets spécialement consacrés aux beaux-arts7 , mais il était récurrent dans la pratique qu’elle demandât aux fabriques de concourir à la dépense, amenant parfois à un partage des frais engagés. C’est dans ce contexte qu’à partir de 1836 la préfecture mit sur pied un ambitieux programme de travaux visant à restaurer et décorer Saint-Sulpice. Cependant, les membres du conseil de fabrique entendirent s’en faire des acteurs essentiels, allant jusqu’à affirmer que l’initiative d’un tel chantier leur revenait, assurant que ce travail si important pour la décoration de l’église et l’embellissement de la Ville a été provoqué par nous depuis près de deux ans8 ». Leur assertion se vérifie dans la mesure où il leur incombait de faire connaître à la préfecture les besoins de l’église, mais il est toutefois évident que la préfecture aurait entrepris d’importants travaux compte tenu de l’importance d’un tel monument. Ces interventions s’inscrivent dans la politique artistique et patrimoniale que la préfecture avait généralisée à l’ensemble des églises paroissiales parisiennes, la majorité d’entre elles ayant bénéficié de travaux d’entretien, de restaurations parfois poussées, mais également de mesures prises pour en assurer la décoration. Ce programme de travaux avait été généralisé à l’ensemble du monument. La première étape concerna le grattage et le nettoyage de l’ensemble des parois intérieures dont le succès fit écrire que cet immense vaisseau semble, par la coquetterie de cette toilette, avoir repris un ensemble plus imposant9». Ce nettoyage fut d’autant plus apprécié qu’il était respectueux de l’édifice Si nous approuvons le système de nettoyage qui a été employé à […] Saint-Sulpice, nous nous élèverons toujours contre le système de grattage des édifices avec le ciseau ou tout autre instrument. Dans le premier cas, la pureté des lignes et la délicatesse des sculptures ne reçoivent aucune altération. Dans le second, toute l’harmonie disparaît. La main souvent maladroite de ces artistes à la journée qu’on appelle des tailleurs de pierre, dénature l’œuvre originale qui fait nos La chapelle de la Vierge connut quant à elle une restauration poussée sous la direction de Victor Baltard, en sa qualité d’inspecteur des travaux d’art de la Ville de Paris, qui lui redonna son ancien éclat » et la fit redevenir l’un des objets les plus dignes d’attirer l’admiration des étrangers11 ». En parallèle, de nombreuses commandes furent passées en vue de compléter la décoration de l’église, essentiellement des peintures murales pour les chapelles latérales, ce qui correspondait à une démarche plus générale de la préfecture qui recouvrait les parois de ses différentes églises12. D’autres commandes devaient également permettre de compléter des ensembles restés lacunaires. Ce fut le cas pour l’ensemble sculpté par Edme Bouchardon dont dix statues avaient été exécutées sur les vingt-quatre initialement prévues. La préfecture en commanda deux autres aux sculpteurs Antoine Desboeufs 1793-1862 et Jules Antoine Droz 1804-1872 pour compléter l’ensemble13. Il y eut pourtant des hésitations quant à la possibilité de laisser en l’état cet ensemble sculpté du XVIIIe siècle pour en préserver l’unité, dans un souci d’harmonie et de cohérence. Le conseil de fabrique considérait qu’ il y aurait ce semble, désavantage sous le rapport de l’art à y placer deux statues qui, fussent-elles de bonne exécution, viendraient néanmoins rompre l’unité qui règne dans la suite des dix statues de Bouchardon14 ». Si des commandes furent finalement passées, il convient de relever un souci, non pas théologique mais esthétique et historique, de préserver un ensemble cohérent, quand bien même il serait lacunaire. En parallèle, de nombreux remaniements furent décidés certaines tribunes furent supprimées et quelques anciennes férures [sic] qui déparaient l’aspect du monument15 » furent ôtées, ce qui démontre la volonté de restaurer et compléter un monument du siècle précédent auquel il convenait de rendre son intégrité. Ce chantier concerna également les abords de l’église un éclairage public fut installé sur la place ainsi qu’au niveau de l’entrée de l’église et une imposante fontaine réalisée par Louis Visconti 1791-1853 fut intégrée à la vaste place en cours d’aménagement. La place, envisagée dès le début du XVIIIe siècle, était un projet indissociable de la façade, devant permettre de la mettre en valeur, mais il avait été jusqu’alors reporté. II. L’achèvement de la façade de Saint-Sulpice la naissance d’un désaccord et l’arbitrage du conseil des bâtiments civils L’achèvement de la façade fut donc décidé dans le cadre du chantier généralisé à l’ensemble du monument, de ses œuvres et de ses abords. Les travaux projetés concernaient le portail et les deux tours, dites du Nord et du Midi. L’asymétrie de ces tours était d’autant plus importante puisque, comme cela a été rappelé, elles constituaient des signalétiques importantes dans le paysage urbain. C’est à cette occasion qu’un profond désaccord vint opposer fabrique et préfecture qui poursuivaient pourtant un objectif commun les divergences ne portaient pas sur le principe même de l’achèvement des tours, mais sur les modalités de celui-ci. Il n’était pas question d’intervenir sur la tour du Nord fig. 3 terminée par l’architecte Jean François Chalgrin 1739-1811 en 178116. En revanche, la tour du Midi fig. 4 cristallisa les débats. La préfecture souhaitait conserver l’asymétrie de la façade en la faisant achever selon le projet d’origine de l’architecte Giovanni Niccolò Servandoni 1695-1766. La fabrique, elle, souhaitait que cette même tour soit reconstruite selon les plans de Chalgrin, c’est-à-dire en faire la réplique exacte de la tour du Nord. Ces divergences d’opinion peuvent être rattachées à des réflexions menées avant 1836. Les archives de la paroisse gardent trace de trois réflexions sur l’achèvement des tours17 Le premier [projet] consisterait à élever la tour du Sud et à la rendre en tout semblable à celle du Nord. Le second […] ferait terminer la sculpture de la tour du Sud, en lui conservant du reste sa forme » Ce second projet aurait été en partie lié à une croyance populaire » faisant obstacle à la décoration de deux tours semblables, genre de décorations qui serait exclusivement réservé pour les cathédrales19 » Ce dernier argument ne pouvait cependant avoir cours puisqu’au même moment des églises comme Saint-Vincent-de-Paul étaient dotées de tours à la symétrie parfaite. Le troisième projet aurait dû également rendre les tours symétriques, mais eut entraîné la modification de toutes deux Le troisième projet […] consisterait 1° à faire démolir dans la tour du Nord tout ce qui excède les frontons surmontant le premier ordre d’architecture, 2° à faire également démolir dans la tour du Sud tout ce qui excéderait la hauteur des frontons qui viennent d’être indiqués, 3° enfin, à affecter le prix de la vente des pierres abattues, à l’achèvement de la tour du Sud en lui donnant la forme extérieure qu’aurait alors celle du » Ce dernier projet n’eut aucune suite après 1838, tandis que les deux premiers résument déjà les opinions divergentes de la préfecture et du conseil de fabrique. Fig. 3 Jean François Chalgrin, tour du Nord de l’église Saint-Sulpice, années 1780, Paris La préfecture de la Seine était en position de force, puisque le conseil de fabrique ne pouvait rendre que des avis facultatifs et consultatifs. Cependant, un arbitre intervint pour décider de la marche à suivre, en l’occurrence le conseil des bâtiments civils. Dépendant du ministère de l’Intérieur, il s’agissait d’un organe permettant à l’État d’exercer une forme de tutelle sur l’ensemble des chantiers publics. Plus précisément, la compétence de ce conseil portait sur tout chantier auquel de l’argent public était consacré, ce qui prenait la forme d’un examen par ce conseil. En amont de la réalisation de tout projet, un rapport à la forme préalablement définie lui était soumis, lequel était accompagné d’un dossier graphique21. Il pouvait alors procéder à un examen du projet avant de rendre un avis contraignant. De ce fait, il fut en mesure d’imprimer sa marque à l’ensemble des chantiers publics à Paris comme dans le reste de la France jusqu’à sa dissolution en 1848 du fait d’un long déclin durant lequel son action s’était vue progressivement critiquée, puis désavouée. Il a donc joui d’un vaste champ de compétences tout au long de la première moitié du siècle, ce qui était résumé par l’un de ses membres, Charles Gourlier, lequel affirmait, non sans lyrisme, que le conseil embrasse depuis le monument le plus somptueux jusqu’au moindre édifice d’utilité publique, depuis le palais des autorités suprêmes jusqu’à l’église de village la plus modeste », avant de souligner qu’il est de l’intérêt le plus élevé, le plus général, tant au point de vue de l’art que sous le rapport administratif, je dirais même politique22 ». Son champ de compétence était également étendu du fait de la nature-même de son action, pouvant formuler une appréciation économique, technique et esthétique sur les projets qui lui étaient soumis23 . Dans le cadre de l’achèvement de Saint-Sulpice, c’est la question esthétique qui était au cœur des préoccupations des différentes parties en présence. III. Servandoni ou Chalgrin ? Une démarche historienne présidant à l’achèvement de la façade Pour trancher la question de l’achèvement de la tour du Midi, le conseil des bâtiments civils décida de procéder à des recherches sur l’historique de la façade, c’est-à-dire de déterminer avec précision les différentes phases de sa conception et les personnalités s’y étant impliquées tout au long du XVIIIe siècle. Cette démarche devait permettre de définir le plus précisément possible les interventions futures afin qu’elles soient respectueuses du monument. Le premier rapport du conseil des bâtiments civils, rendu le 16 janvier 1838, atteste qu’il a poursuivi les démarches amorcées au sein de la préfecture de la Seine, comme le laisse comprendre Hubert Rohault de Fleury 1777-1846 dans un rappel introductif […] l’architecte des églises de Paris chargé de préparer le devis du ravalement de la tour du Midi de l’église Saint-Sulpice, a présenté […] un rapport par lequel il établit que Servandoni fit le portail en 1733 ; que son successeur Oudot de Mac Laurin [sic] fit les deux tours en 1766 et que dix ans après M. Chalgrin fut chargé de mettre ces deux tours dans les formes projetées par Servandoni ce qu’il ne put exécuter que pour la tour du Nord ; et conclu en proposant de terminer la tour du Midi de la même manière. […] les faits cités n’ayant pas été trouvés d’une exactitude évidente, le conseil ajourna la délibération afin que ses membres pussent se livrer à des recherches pour éclairer les » C’est donc à la préfecture, et non au conseil, qu’il faut imputer la démarche consistant à procéder à des recherches, notamment en archives, pour reconstituer la chronologie du chantier. Les trois noms d’architectes concernés ressortent Servandoni, Oudot de Maclaurin ?-après 1772 et Chalgrin. Toutefois, le conseil jugea ces recherches insuffisantes, décision fondée dans la mesure où elles étaient incomplètes et recélaient différentes erreurs. Après s’être livrés à des recherches complémentaires, les membres du conseil considérèrent qu’ il y a lieu de préciser que Servandoni avait projeté les tours mais ne les avait élevées que jusqu’à la hauteur des premières arcades ; que son successeur Oudot de Mac Laurin [sic] les acheva sur des dessins différens [sic] ; et qu’enfin M. Chalgrin a enveloppé la tour du Nord d’une construction qui ne reproduit pas les formes adoptées par Servandoni, mais qui fut jugée plus en harmonie avec l’architecture du portail25 ». Ces informations supplémentaires permettent d’expliquer l’une des raisons des modifications introduites par Chalgrin, à savoir que les nouvelles tours projetées devaient permettre de monumentaliser davantage Saint-Sulpice en introduisant une nouvelle esthétique jugée adaptée aux proportions du reste de la façade26. Le conseil, à la vue de ces éléments nouveaux, trancha temporairement en faveur du projet de Chalgrin Convient-il de terminer la tour du Midi en l’enveloppant d’une construction semblable à celle de la tour du Nord. La question est résolue » Fig. 4 Giovanni Niccolò Servandoni, tour du Midi de l’église Saint-Sulpice, années 1730, Paris Le second rapport, en date du 26 mai 1838, gagne en précision, avec davantage de détails sur la conception de la façade et de ses deux tours. Achille Leclere 1785-1853, en sa qualité de rapporteur, revient plus en détails sur les projets et les réalisations des différents architectes, tout en soulignant une nouvelle fois les raisons de l’abandon du projet de Servandoni auquel fut substitué celui de Chalgrin Il est probable que lors de l’achèvement de ces tours, l’effet qu’elles produisaient n’ayant pas répondu à l’ensemble de cette façade, on demanda de nouveaux projets dont la décoration fut plus en harmonie avec les deux ordres inférieurs. M. Chalgrin en fut chargé en 1762 […]. La tour du Nord a seule été exécutée et elle en fut entièrement achevée en 1780, celle du midi n’a été que commencée […].28 » Le rapporteur conclut sa démonstration en expliquant qu’ en résumé, il me semble prouvé que les tours primitives sont celles du projet de Servandoni et que Maclorain [sic] n’a été chargé que de l’exécution, et quant à la décoration extérieure de la tour du Nord elle est de Chalgrin29». Ces explications, plus fournies que celles contenues dans le premier rapport, ne sont en revanche pas très détaillées. La façade a connu différentes évolutions et a été au cœur de nombreux projets qui, pour certains, sont restés lettre morte ou n’ont été que partiellement réalisés30. Toutefois, la concision que l’on trouve dans les conclusions formulées s’explique en partie par le fait qu’il s’agissait pour le rapporteur de se fonder sur l’existant. Le conseil changea d’opinion entre le premier et le second rapport. Dans le premier, il concluait qu’il fallait rendre les deux tours symétriques en faisant de la tour du Midi la copie conforme de la tour du Nord. À l’inverse, dans son second rapport il se rangea du côté de la préfecture en affirmant que l’asymétrie devait être conservée. Cela a de quoi surprendre lorsque l’on s’attache aux théories que le conseil entendait défendre, ses membres étant les fervents défenseurs des idées d’Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy 1755-1849 qui avait trouvé en Chalgrin une figure à même de mettre en application ses idées. Le théoricien, qui pouvait entrer à son gré au Conseil des Bâtiments civils »31 , avait notamment encensé son église de Saint-Philippe-du-Roule qui rompait avec l’architecture des églises jésuites héritées de la Contre-Réforme32. Il eut semblé naturel que le conseil défendisse le projet de Chalgrin, en cherchant par la même occasion à donner une symétrie parfaite à Saint-Sulpice. Or, il préféra laisser la préfecture libre de concrétiser les desseins de Servandoni. Ce revirement pourrait en partie s’expliquer au regard de l’évolution plus générale de la politique du conseil qu’il lui fallut redéfinir sous la monarchie de Juillet. Le conseil des bâtiments civils faisait l’objet de nombreuses attaques, en particulier de la part des défenseurs des monuments anciens. Parmi eux, le comte de Montalembert 1810-1870 décriait le vandalisme constructeur »33 des différentes instances officielles qui condamnaient régulièrement des monuments anciens en décidant de leur reconstruction, dans l’idée de leur substituer un nouvel édifice élevé à moindres frais. Le conseil décidait régulièrement de destructions complètes suivies de reconstructions, comme ce fut le cas pour de nombreuses églises. Si vers 1825 il rejetait régulièrement les projets d’agrandissements pour favoriser les reconstructions, il en alla différemment une décennie plus tard. Cette attitude démontre qu’il avait été sensibilisé, de gré ou de force, à la valeur nouvellement donnée à ces monuments34. Le revirement du conseil en faveur du projet de Servandoni peut lui aussi découler de cette sensibilisation, l’amenant à soutenir l’achèvement de la tour du Midi suivant une logique archéologique », d’où les recherches préalables en archives pour établir un historique. Il en allait de la survie du conseil, son action étant de plus en plus décriée. IV. L’intégration de la façade au patrimoine parisien On comprend à la lumière du dernier rapport que les différends opposant préfecture et conseil de fabrique dépassaient le seul cadre esthétique ; c’est leur perception du monument qui différait, ce qui dénote une compréhension différente de ce qui était susceptible d’intégrer le patrimoine. Le rapporteur prit soin de résumer leurs positions Deux opinions sont en présence, dont le conseil de la Seine se fondant sur les intérêts de l’art et le respect dû aux œuvres des maîtres et voudrait poursuivre les desseins originels de Servandoni en terminant la tour du Midi conformément à ce dessein, l’autre faisant passer avant tout l’ensemble du monument, et trouvant les formes de la tour du Nord exécutées sur le dessein de Chalgrin, plus en harmonie avec le style de la façade, préférerait qu’on exécutât celle du Midi sur le même modèle que celle du » La préfecture s’attachait à la conservation d’une composante de l’édifice, tandis que la fabrique songeait à l’harmonie globale du monument. Le conseil de fabrique, face au revirement opéré par le conseil des bâtiments civils, continua à plaider sa cause ; il espérait ce faisant qu’il soit procédé à un nouvel examen du projet suivant les dispositions d’une loi portant sur l’achèvement de différents monuments publics36. Selon lui, l’erreur du conseil des bâtiments civils reposait sur une mauvaise appréciation de l’ancienneté de l’église L’avis adopté a été qu’il fallait conserver au monument son caractère d’antiquité ! En vérité, la personne qui a émis cette opinion et qui l’a soutenue avec une persévérance remarquable, n’a sans doute pas voulu se rappeler qu’un monument qui n’a pas encore cent ans n’est pas ancien […].37 » Les fabriciens insistaient sur le fait que l’église n’était pas suffisamment ancienne pour que lui soit appliquée une décision davantage conforme à un monument médiéval, du moins antérieur au siècle précédent. […] il n’y a pas à faire application au monument moderne de l’église Saint-Sulpice, des règles qui doivent être religieusement observées nous le reconnaissons avec lui, pour la conservation des monumens [sic] antiques même avec leurs imperfections, parce qu’elles portent avec elles le cachet de l’époque, et sont souvent autant de documens [sic] » Ils ne faisaient pas la critique d’une méthode se généralisant en faveur de la conservation et de la restauration des édifices anciens ; ils ne contestaient pas non plus à Saint-Sulpice sa qualité de monument, tout au contraire la revendiquaient-ils. En revanche, ils désapprouvaient que l’église fût considérée comme un élément patrimonial. Les fabriciens s’appuyaient sur une vision rationaliste du monument en invoquant son harmonie générale. Ils souhaitaient que soit poursuivi le chantier de Chalgrin qui avait été interrompu par la Terreur, donc par un événement indépendant dudit chantier39. Ils allèrent jusqu’à menacer du risque d’un scandale induit par une dépense trop coûteuse qui aurait attiré les foudres de l’opinion publique sur la préfecture, mais également sur l’État Cette dépense bien certainement motiverait de toute part des plaintes dont la presse serait l’organe, et la Ville se verrait en quelque sorte forcée peu de tems [sic] après, par la force de l’opinion, de faire enfin procéder au seul moyen rationnel, celui de la construction de deux tours » Les fabriciens avaient par ailleurs compris l’importance que pouvait revêtir pareil chantier aux yeux de l’opinion. La presse fournissait de nombreux comptes-rendus des grand travaux parisiens et se faisait régulièrement le relais des attentes du public. Des regrets portaient depuis de nombreuses années sur des édifices qui datent d’un siècle et qui attendent encore la dernière main de l’architecte » parmi lesquels Saint-Sulpice, avec ses ornemens [sic] à peine dégrossis41 ». Malgré leurs efforts, les fabriciens n’obtinrent pas gain de cause, la préfecture ne revenant pas sur sa volonté de conserver l’œuvre des maîtres » disparus, ce qui traduit donc la volonté d’intégrer le monument Saint-Sulpice au patrimoine parisien qui continuait d’être inventé. Cette démarche peut sembler assez novatrice pour un édifice aussi récent l’érection de l’église avait été entamée à la fin du XVIIe siècle, sa consécration eut lieu en 1745, mais elle n’était toujours pas achevée lorsque la Révolution éclata, légitimant les propos du conseil de fabrique affirmant que Saint-Sulpice n’avait pas encore fêté son centenaire. Au même moment, la préfecture n’hésitait pas à faire détruire des monuments de la même période, voire plus anciens. Aussi, la protection du Vieux Paris faisait difficilement obstacle aux besoins de la ville nouvelle. L’ancien couvent des Petits-Pères en atteste son double cloître superposé édifié en 1740 fut détruit en 1843 par décision de la préfecture42. Des édifices plus anciens disparurent également, telles les églises Saint-Côme et Saint-Pierre-aux-Bœufs qui durent céder la place à de nouvelles percées. En 1840, la préfecture envisageât également la destruction d’une partie des ailes du Collège des Quatre nations afin d’élargir les quais de Seine et faciliter la circulation fluviale. La Commission des monuments historiques chercha à intervenir, son président confiant à ses autres membres que le préfet paraît très déterminé en faveur du projet de mutilation du palais de l’Institut »43, bien qu’il s’agisse selon lui du seul ouvrage resté intact de Le Vau, architecte célèbre de l’époque »44. Ces quelques exemples démontrent que la préfecture n’était pas une administration conservatrice défendant coûte que coûte une vision patrimoniale de la ville. La réputation d’un architecte et la renommée attachée à son nom pouvaient cependant constituer un atout décisif pour éviter la destruction ou l’altération d’un monument, la préfecture renonçant finalement à la destruction partielle du bâtiment de Louis Le Vau 1612-1670. Dans le cas de Saint-Sulpice, le nom de Servandoni semble avoir été précisément un argument qui, aux yeux de la préfecture, rendait légitimes ses desseins d’achèvement, davantage que la datation de la tour du Midi. V. L’échec du projet d’achèvement de la tour du Midi un ajournement devenu abandon Le projet d’achèvement de la façade resta finalement lettre morte ; seule la balustrade entre les deux tours fut réalisée tardivement, vers 1870. Un problème de financement de l’opération est probablement à l’origine de son report, puis l’ajournement se transforma en abandon. La priorité fut donnée à l’aménagement des abords, ainsi qu’à la réfection et à l’embellissement de l’intérieur du monument, les commandes continuant de se succéder tout au long des années 1840. Il est encore fait mention de l’achèvement de la tour en 1842 les fabriciens expliquèrent alors que les travaux de décoration devaient toucher à leur fin en 1846 et qu’ immédiatement après, on s’occupera des travaux extérieurs, notamment de l’achèvement de la tour […]. Ce grand travail […] est d’autant plus désirable, que l’aspect de la tour […] fait une fâcheuse disparate avec le développement imposant du grand portail45 ». Son achèvement eut certainement été une priorité plus pressante pour la préfecture s’il s’était agi d’un monument plus ancien, à une époque où l’on cherchait notamment à achever » les grandes cathédrales gothiques. Il est probable que les fabriciens comme les fonctionnaires de la préfecture et les membres du conseil des bâtiments civils restèrent finalement assez indifférents quant au fait de savoir si l’église Saint-Sulpice devait être considérée comme un monument antique » ou moderne ». La protection de ce qui devait former le Vieux Paris relevait généralement d’initiatives privées ou d’actions menées par la commission des monuments historiques qui, bien que rattachée au ministère de l’Intérieur, ne jouissait pas d’un grand pouvoir décisionnaire et était souvent dans l’obligation de se limiter à des actions de sensibilisation. Il est intéressant de considérer la présence de trois décisionnaires amenés à se prononcer sur une question patrimoniale », alors qu’ils n’avaient aucune appétence particulière pour la conservation des monuments historiques. Comme cela a déjà été évoqué, le conseil des bâtiments civils s’était saisi de ces questions pour assurer sa propre survie. Il semble également très probable que les ambitions des fabriciens n’allaient pas plus loin que la seule question esthétique, dans une volonté de voir achever un monument devenu rationnel et symétrique. Dans une logique similaire, la détermination de la préfecture a pu relever en premier lieu d’un argument financier achever la tour du Midi conformément au projet de Servandoni eut essentiellement consisté à en faire exécuter l’ornementation extérieure, le gros-œuvre étant déjà réalisé. Il eut fallu augmenter les fonds à consacrer à ce chantier pour suivre le dessein de Chalgrin. Le coût de financement était depuis longtemps un problème de taille ; sur les trois possibilités d’achèvement formulées avant 1836, deux devaient permettre de réduire la dépense, en particulier la dernière portant encore plus loin les raisons d’économie46 ». Si la préfecture pouvait trouver un intérêt dans la conservation des monuments anciens, elle pouvait également prendre l’initiative de leur destruction. Elle soumettait ses décisions de protection à deux critères majeurs, à savoir le coût et l’utilité. Ainsi, pour la préfecture comme pour le conseil de fabrique, leurs argumentaires découlaient du résultat escompté et non l’inverse. Les raisonnements que tous développaient restent cependant d’un grand intérêt, démontrant qu’ils étaient conscients des débats et enjeux nouveaux portant sur un patrimoine qui était en train d’être inventé par leurs contemporains dans un contexte d’évolution des mentalités. Il fallut attendre les dernières décennies du XIXe siècle pour que la protection des monuments du XVIIIe siècle réunisse des suffrages plus nombreux47. Or, le débat portant sur l’achèvement de Saint-Sulpice sous la monarchie de Juillet, s’il avait dû se poser à nouveau, n’aurait pas porté sur le fait de savoir s’il fallait achever la tour du Midi en suivant un projet plutôt qu’un autre, mais davantage s’il s’agissait d’achever ou de laisser en l’état ladite tour. C’est précisément dans cet état d’inachèvement que Saint-Sulpice est devenue une composante incontestée du patrimoine parisien. La réflexion menée sous la monarchie de Juillet quant à l’achèvement de cette façade aura cependant été un épisode, resté rare à Paris, permettant de jauger l’évolution progressive de ce patrimoine et, ce faisant, de comprendre où pouvait se situer la frontière qui permettait à un monument d’être considéré comme l’une de ses composantes. Baptiste Dumas-Piro Bibliographie ANONYME, 1834 [ANONYME], Paris et ses constructions », L’Artiste, 1ère série, t. VII, 1834, p. 225-228. ANONYME, 1843 [ANONYME], Actualités. Souvenirs », L’Artiste, 3e série, t. IV, 1843, p. 108-112. CHÂTEAU-DUTIER, 2016 CHÂTEAU-DUTIER Emmanuel, Le Conseil des bâtiments civils et l’administration de l’architecture publique en France, dans la première moitié du XIXe siècle, thèse de doctorat, sous la direction de LÉNIAUD Jean-Michel, 4 vol., EPHE, 2016. BERCÉ, 1979 BERCÉ Françoise, Les premiers travaux de la Commission des monuments historiques 1837-1848 procès-verbaux et relevés d’architecture, Paris, Editions A. et J. Picard, 1979. BOUDON, 2006 BOUDON Françoise, Les églises paroissiales et le Conseil des bâtiments civils, 1802-1840 », in FOUCART Bruno, HAMON Françoise éds, L’architecture religieuse au XIXe siècle, entre éclectisme et rationalisme, actes du colloque Paris, Centre André Chastel, 21 et 22 septembre 2000, Paris, PUPS, 2006, p. 195-210. DELPAL, 1987 DELPAL Bernard, La construction d’église un élément du détachement religieux au XIXe siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 73, n° 190, 1987, p. 67-74. FIORI, 2012 FIORI Ruth, L’invention du vieux Paris naissance d’une conscience patrimoniale dans la capitale, Wavre, Mardaga, 2012. GOURLIER, 1848 GOURLIER Charles, Notice historique sur le service des travaux des bâtiments civils à Paris et dans les départements, depuis la création de ce service en l’an IV 1795, Paris, L. Colas, 1848. LÉNIAUD, 1987 LÉNIAUD Jean-Michel, Les travaux paroissiaux au XIXe siècle pour une étude de la maîtrise d’ouvrage », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 73, n° 190, 1987, p. 53-59. LÉNIAUD, 2007 LÉNIAUD Jean-Michel, La Révolution des signes l’art à l’église 1830-1930, Paris, Les Éditions du Cerf, 2007. LOURS, 2014 LOURS Mathieu, Saint-Sulpice l’église du Grand Siècle, Paris, Picard, 2014. MONTALEMBERT, 1833 MONTALEMBERT Charles Forbes René comte de, Du vandalisme en France lettre à M. Victor Hugo », Revue des deux mondes, 2e série, t. II, 1833, p. 477-524. QUATREMÈRE DE QUINCY, 1816 QUATREMÈRE DE QUINCY Antoine Chrysostome, Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Chalgrin, architecte, membre de l’ancienne classe des beaux-arts de l’Institut … lue à la séance publique samedi 5 octobre 1816, Paris, Institut royal de France, 1816. QUENTIN-BAUCHARD, 1903 QUENTIN-BAUCHARD Maurice, Conseil municipal de Paris, 1903 rapport au nom de la 4e Commission sur la réorganisation du service des beaux-arts et des musées de la ville de Paris, Paris, Conseil municipal, 1903. SCHNEIDER, 1910 SCHNEIDER René, Quatremère de Quincy et son intervention dans les arts, 1788-1830, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1910. Table des illustrations Couverture Hippolyte Fizeau, L’église Saint-Sulpice à Paris, vers 1841, photogravure, New York, The Metropolitan Museum of Art, cl. Wikimedia Fig. 1 façade principale de l’église Saint-Sulpice, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 2 Jacques Ignace Hittorff, église Saint-Vincent-de-Paul, 1824-1844, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 3 Jean François Chalgrin, tour du Nord de l’église Saint-Sulpice, années 1780, Paris, cl. B. Dumas-Piro Fig. 4 Giovanni Niccolò Servandoni, tour du Midi de l’église Saint-Sulpice, années 1730, Paris, cl. B. Dumas-Piro FIORI, 2012, p. 51 et 56. [↩] Pour la période qui nous intéresse, le préfet de la Seine était Philibert Barthelot, comte de Rambuteau 1781-1869, nommé par Louis-Philippe en 1833 et qui conserva son poste jusqu’à la chute du régime. Ce dernier était donc compétent tout au long de la restauration de Saint-Sulpice. [↩] LÉNIAUD, 1987, p. 53. [↩] Décret du 30 décembre 1809. [↩] DELPAL, 1987, p. 69. [↩] LÉNIAUD, 2007, p. 33. [↩] La Ville de Paris, à partir de 1834, disposa d’un budget spécial des beaux-arts qui fut régulièrement augmenté au fil des années QUENTIN-BAUCHARD, 1903, p. 57. [↩] Archives historiques de l’archevêché de Paris désormais AHAP, 6e arrondissement, église Saint-Sulpice, VI/VII1 compte-rendu du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice au sujet de l’achèvement des tours et du portail de l’église, 20 avril 1838. [↩] ANONYME, 1843, p. 108. [↩] Ibid., p. 109. [↩] AHAP, 6e arrondissement, église Saint-Sulpice, VI/VII1 brouillon d’article rédigé par le conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice au sujet des travaux d’embellissements de l’église, [ [↩] Concernant les commandes passées sous l’administration de Rambuteau, il faut retenir la chapelle Saint-Paul décorée par Martin Drolling 1786-1851 et la chapelle des Âmes du Purgatoire par Joseph Heim 1787-1865. [↩] Desboeufs fut chargé de l’Ange de la prédication et Droz de l’Ange du Martyre. Elles furent achevées et installées en 1846. [↩] AHAP, 6e arrondissement, église Saint-Sulpice, VI/VII1 note du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice sur les travaux accessoires résultants du grattage général de l’église Saint-Sulpice, 12 juin 1838. [↩] Ibid. [↩] LOURS, 2014, p. 67. [↩] Nous remercions M. Vincent Thauziès AHAP pour son aide précieuse sans laquelle nous n’aurions pu localiser ces informations. [↩] AHAP, 6e arrondissement, église Saint-Sulpice, registres 117 à 121 inventaires du mobilier procès-verbal d’inventaire des objets mobiliers existant dans l’église paroissiale Saint-Sulpice de Paris au 19 juillet 1836, fol. 67. [↩] Ibid., fol. 66. [↩] Ibid., fol. 67. [↩] BOUDON, 2006, p. 195. [↩] GOURLIER, 1848, p. 7-8. [↩] Pour approfondir le rôle joué par le conseil des bâtiments civils dans le cadre de chantiers publics, nous renvoyons à la thèse d’Emmanuel Château-Dutier CHÂTEAU-DUTIER, 2016. [↩] Archives nationales désormais Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bâtiments civils par Hubert Rohault de Fleury, au sujet de l’achèvement de la tour du Midi de l’église Saint-Sulpice à Paris, dossier n° 21, 16 janvier 1838. [↩] Ibid. [↩] Le nouveau projet de Chalgrin pouvait également répondre à des besoins liturgiques formulés par le curé LOURS, 2014, p. 67. [↩] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bâtiments civils par Hubert Rohault de Fleury, au sujet de l’achèvement de la tour du Midi de l’église Saint-Sulpice à Paris, dossier n° 21, 16 janvier 1838. [↩] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bâtiments civils par Achille Leclere, au sujet de l’achèvement de la façade de l’église Saint-Sulpice, dossier n° 253, 26 mai 1838. [↩] Ibid. [↩] Pour approfondir la question des projets successifs de la façade LOURS, 2014. [↩] SCHNEIDER, 1910, p. 76. [↩] QUATREMÈRE DE QUINCY, 1816, p. 8 Enfin on vit un portique de colonnes doriques couronnées d’un fronton, remplacer ces insipides portails en placard, et à plusieurs ordres l’un sur l’autre, dont le moindre défaut est d’indiquer plusieurs étages, dans un édifice qui n’en comporte aucun. » [↩] MONTALEMBERT, 1833, p. 485. [↩] BOUDON, 2006, p. 197-198. [↩] Arch. nat., F21 2533 rapport du conseil des bâtiments civils par Achille Leclere, au sujet de l’achèvement de la façade de l’église Saint-Sulpice, dossier n° 253, 26 mai 1838. [↩] AHAP, 6e arrondissement, église Saint-Sulpice, VI/VII1 compte-rendu du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice au sujet de l’achèvement des tours et du portail de l’église, 12 juin 1838. [↩] Ibid. [↩] Ibid. [↩] Ibid. [↩] Ibid. [↩] ANONYME, 1834, p. 227. [↩] FIORI, 2012, p. 121. [↩] BERCÉ, 1979, p. 100. [↩] Ibid., p. 94. [↩] AHAP, 6e arrondissement, église Saint-Sulpice, VI/VII1 projet d’article de presse du conseil de fabrique de l’église Saint-Sulpice, 15 août 1842. [↩] AHAP, 6e arrondissement, église Saint-Sulpice, registres 117 à 121 inventaires du mobilier procès-verbal d’inventaire des objets mobiliers existant dans l’église paroissiale Saint-Sulpice de Paris au 19 juillet 1836, fol. 67. [↩] FIORI, 2012, p. 120. [↩] En cette période difficile, Sorbonne Université et sa fondation sont solidaires des étudiantes, étudiants, enseignants-chercheurs et personnels ainsi que toutes celles et ceux touchés directement ou indirectement par la guerre en Ukraine. Les actions de la Fondation Sorbonne Université en faveur des étudiants concernés Article écrit par Cécile Foussard Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le mardi 18 janvier 2022. Introduction Les ressources marines aux fondements des civilisations andines La région andine, conçue comme une aire culturelle s’étendant sur le quart nord-ouest de l’Amérique du Sud, est peuplée dès 11 000 av. comme l’avancent plusieurs chercheurs nord-américains1. D’après les mêmes auteurs, il semble que les premières populations arrivent d’abord sur la côte Pacifique, en se déplaçant sur la bande littorale, avant de pénétrer dans la Cordillère des Andes. Elles arrivent alors dans une région contrastée, constituée par quatre principaux types d’environnement fig. 1 la côte tropicale au nord côtes colombienne et équatorienne et extrême nord du littoral péruvien, les côtes désertiques péruvienne et chilienne, les régions montagneuses de la Cordillère des Andes recouvrant elles-mêmes une grande variété de réalités géographiques et le bassin amazonien à l’est. Les premiers sites d’occupation sédentaire apparaissent sur la côte vers 7000-6000 av. Les données archéologiques attestent d’une économie de subsistance fondée essentiellement sur l’exploitation des ressources marines. Ce processus de sédentarisation fondé sur une économie maritime et non pas agricole s’explique par l’énorme richesse biologique de l’écosystème du courant de Humboldt. Ce courant froid, qui longe les côtes chilienne et péruvienne du sud vers le nord fig. 1, produit l’un des environnements marins les plus riches du monde. Ses abondantes ressources poissons, mollusques, crustacés, oiseaux marins, mammifères marins, etc. auraient suffi pour assurer la subsistance des premières populations sédentaires et auraient permis le développement de sociétés complexes sans qu’elles aient besoin d’avoir recours à la production agricole. Cela a mené certains chercheurs comme Michael Moseley à mettre en évidence les fondements maritimes des civilisations andines. Même après la généralisation de l’agriculture sur la côte, qui intervient à partir d’environ 2000 av. la pêche et l’exploitation des ressources marines restent des pratiques très importantes au sein des sociétés côtières2. Fig. 1 Carte de la région andine avec les courants marins et les principaux milieux naturels. Foussard, 2021. Dans ce contexte, la navigation est un enjeu clé puisqu’il s’agit d’un ensemble de techniques élargissant drastiquement l’accès aux environnements aquatiques et à leurs ressources. L’étude de la navigation préhispanique et ses enjeux. Les sources coloniales et modernes, écrites à partir du XVIe siècle, contiennent déjà de nombreuses descriptions des techniques de navigation autochtones. Dans un premier temps, les chercheurs du XXe siècle s’appuient principalement sur ces données ethno-historiques, ainsi que sur des représentations iconographiques préhispaniques et sur des objets archéologiques bien souvent sortis de leur contexte, pour établir les premières typologies des différents modèles d’embarcation préhispaniques et formuler les premières théories sur la possibilité d’échanges maritimes tout au long de la côte3. Parallèlement, depuis la fin des années 1980 et jusqu’à aujourd’hui, le développement de l’archéologie côtière met en évidence l’importance des ressources marines dans l’économie et le mode de vie des populations préhispaniques4. Actuellement, le développement de l’archéologie littorale et maritime, de l’archéologie des îles et de l’archéologie subaquatique ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude de la navigation préhispanique. Pourtant, il y a encore peu d’études globales sur la navigation préhispanique, sans doute du fait de la complexité de ce phénomène dynamique, non fixé sur un site ou sur un contexte archéologique donné. La navigation renvoie au contraire à un ensemble de pratiques et de modes de circulation, qui met souvent en relation plusieurs environnements terrestres, littoraux et aquatiques et peut mettre en relation plusieurs populations, régions ou cultures. La navigation a une diversité d’implications à la fois techniques matières premières, savoir-faire techniques, conditions environnementales… et socio-économiques mode de déplacement donnant accès aux ressources aquatiques et ouvrant la possibilité à des échanges commerciaux et des contacts avec des populations lointaines. Pour aborder cette diversité de problématiques, il est nécessaire de recourir à des types de sources et de données très variés et de croiser différentes approches. I. Une archéologie “en négatif”. La difficulté principale pour l’étude archéologique de la navigation dans le monde andin est l’absence d’embarcation préhispanique conservée. Il faut alors se tourner vers des données indirectes et faire ainsi une sorte d’archéologie en négatif5 » de la navigation, que ce soit par l’étude des représentations qui en ont été faites, des objets associés à la navigation qui ont été conservés ou encore des traces qu’elle peut laisser dans le paysage. Les premières sources utilisées par les chercheurs sont les sources ethnohistoriques, c’est à-dire les témoignages écrits et visuels des Européens arrivés en Amérique du Sud à partir du XVIe siècle. Ces sources contiennent de nombreuses descriptions et illustrations, parfois très détaillées, des embarcations et de leur utilisation, qui permettent d’avoir une idée des pratiques de navigation employées dans la région andine à l’époque de la conquête espagnole. Elles documentent au moins trois types d’embarcation les grandes embarcations en bois de balsa dotées de voile extrême nord du Pérou et côte équatorienne fig. 2 permettant de naviguer en haute mer, elles servent au commerce maritime, à la pêche et au transport maritime et fluvial6 ; les embarcations en jonc dites en totora tout au long de la côte péruvienne elles servent principalement à la pêche et à la circulation le long de la côte ; ce type d’embarcation est aussi employé pour naviguer sur le lac Titicaca7 ; les embarcations en peaux d’otarie gonflées côte nord du Chili fig. 3 elles servent pour la pêche et la chasse aux otaries8. Fig. 2 Représentation d’embarcations de la région de Portoviejo côte équatorienne.Benzoni, 1572. Fig. 3 Embarcation en peau d’otarie de la côte chilienne. Frézier, 1982 [vers 1720]. Certaines de ces techniques de navigation ont survécu tout au long de la période coloniale et sont encore employées aujourd’hui dans certaines communautés. Ainsi, les embarcations en jonc traditionnelles sont encore utilisées par les populations vivant sur les rives du lac Titicaca, mais aussi par les pêcheurs de Huanchaco et des villages côtiers de la région de Lambayeque, sur la côte nord du Pérou. L’observation ethnographique de ces pratiques peut fournir des informations intéressantes sur les processus de fabrication et d’utilisation de ces embarcations d’origine préhispanique9. Mais quelle profondeur historique ont ces pratiques ? Depuis quand ont-elles existé ? Existait-il d’autres formes de navigation qui n’ont pas persisté jusqu’à l’arrivée des Espagnols ? L’iconographie préhispanique apporte des informations sur l’ancienneté de certaines pratiques de navigation et sur leur répartition géographique. Les cultures de la côte nord du Pérou, notamment les Mochicas début de notre ère-Xe siècle, ont produit une iconographie très abondante au sein de laquelle les thèmes maritimes et nautiques ont une place importante. Ces représentations apparaissent dans la céramique fig. 4, mais aussi sur une diversité de supports textiles, orfèvrerie, objets sculptés en bois, etc. Cette iconographie de la navigation est déjà présente sur la côte nord du Pérou bien avant la période Mochica, comme en témoigne une céramique datant de l’Horizon Cupisnique-Chavín environ 1200-200 av. qui représente deux personnages en train de ramer à califourchon sur une embarcation en jonc. Elle se poursuit au cours des époques postérieures sur la côte nord, notamment chez les cultures Chimú et Lambayeque env. 700-1400 ap. Il existe aussi quelques représentations d’embarcation en céramique provenant d’autres parties de la côte péruvienne, par exemple chez les cultures Nazca côte sud du Pérou, début de notre ère-650 ap. et Lima-Nievería côte centrale du Pérou, vers 600-1100 ap. fig. 5. Ces différentes représentations attestent de l’emploi d’embarcations en jonc dès l’Horizon Cupisnique-Chavín sur la côte nord du Pérou, et à partir des premiers siècles de notre ère sur le reste de la côte péruvienne. Fig. 4 Céramique Mochica côte nord du Pérou, début de n. siècle représentant un pêcheur sur son embarcation en totora. Musée Larco – Lima, Pérou. Fig. 5 Céramique Lima-Nievería côte centrale du Pérou, vers 600- 1100 ap. représentant des personnages sur des embarcations en totora, conservée au Musée Larco – Lima, Pérou. Foussard, 2018. Parmi les autres objets archéologiques renseignant sur la navigation, un ensemble d’embarcations miniatures découvertes dans des tombes témoigne de la diversité des techniques de navigation utilisées sur la côte nord du Chili et à l’extrême sud du littoral péruvien. Ces embarcations miniatures font partie du mobilier funéraire de tombes datant d’environ 1000 à 1450 ap. qui appartiennent à des groupes de population côtiers, dont le mode de vie est principalement tourné vers l’exploitation du milieu marin. Il s’agit de reproductions à petite échelle elles mesurent généralement entre une dizaine et une cinquantaine de centimètres de long d’embarcations en bois allant de modèles très simples à trois poutres à des assemblages plus complexes de poutres et de planches, et incluant quelques cas de canot monoxyle. Les miniatures sont souvent accompagnées de petites rames, harpons, filets et autres accessoires de pêche, qui nous renseignent sur les techniques de pêche11. Ces petites embarcations étaient probablement déposées dans les tombes de pêcheurs pour leur permettre de continuer à assurer leur subsistance dans l’au-delà. Ces dépôts funéraires dénotent l’importance économique et symbolique des activités maritimes pour ces sociétés côtières. C’est probablement cette même idée de poursuite des activités maritimes dans l’au-delà qui préside au dépôt de rames et dérives sculptées en bois dans des tombes de la culture Ica-Chincha côte sud du Pérou, vers 1100-1450 ap. De nombreuses rames, plus ou moins ornementées, ont en effet été découvertes dans plusieurs tombes Ica-Chincha. Malheureusement, étant issues de fouilles parfois peu rigoureuses des débuts du XXe siècle, on dispose de peu d’informations précises sur leur contexte de découverte. La fonction de ces rames pose question ont-elles vraiment servi à naviguer ou s’agit-il d’objets conçus spécialement pour le contexte funéraire ? Certains modèles très ornementés ont des décors sculptés jusque sur les poignées, ce qui aurait gêné leur manipulation. D’autres sont beaucoup plus simples et paraissent tout-à-fait fonctionnels12. Quoi qu’il en soit, même les moins fonctionnels sont assurément inspirés de vraies rames, qui devaient servir non seulement à ramer mais aussi probablement à gouverner les embarcations à la manière d’avirons. Malheureusement, nous ne savons pas à bord de quel type d’embarcation elles étaient utilisées. Les données archéologiques et ethno-historiques montrent qu’au cours de la période Ica-Chincha, les embarcations en jonc sont présentes sur toute la côte péruvienne. Cependant, les pêcheurs actuels qui les utilisent et les descriptions ethno-historiques montrent que c’est plutôt avec une canne fendue dans le sens de la longueur appelée canalete que l’on rame sur les embarcations en jonc13. Les rames en bois d’Ica-Chincha sont plus proches de celles associées aux grandes embarcations à voile de la côte équatoriale dépeintes dans les sources ethno-historiques fig. 2. Mais, à ce jour, aucune donnée archéologique ou ethno-historique ne démontre la présence de grandes embarcations en bois et à voile dans la région d’Ica-Chincha pour les périodes préhispaniques. Peut-être faut-il y voir le signe de liens culturels et/ou socio-économiques entre les peuples de la région de Chincha et ceux du littoral nord-andin, possiblement par voie maritime, comme l’avancent certains d’informations archéologiques et ethno-historiques seraient nécessaires pour le confirmer. De nombreux autres objets archéologiques apportent des informations sur les techniques de pêche et de navigation ancres, plombs de filet de pêche, hameçons, pointes de harpon, etc. Certains chercheurs ont aussi identifié sur des sites archéologiques côtiers des objets ayant servi à la fabrication des embarcations. Les copunas en sont un exemple. Il s’agit de petits tubes en os servant à gonfler au souffle les flotteurs en peau d’otarie des embarcations nord-chiliennes fig. 3. Ce processus de fabrication est décrit dans plusieurs sources ethnohistoriques. Il existe quelques exemples archéologiques de copuna, d’ailleurs souvent associés à des fragments de peau d’otarie, et généralement issus de tombes tardives vers 1000-1450 ap. de la côte nord du Chili15. Mais, parmi les restes de poissons de haute mer d’un amas coquillier très ancien de la côte chilienne le site d’Agua Dulce, datant d’environ 5000 av. un tube en os semblable a été identifié comme une possible copuna. Cela suggère donc que la pêche à bord d’embarcations en peaux d’otarie gonflées était déjà pratiquée à Agua Dulce vers 5000 av. Outre les objets et accessoires de navigation, certains contextes archéologiques apportent en eux-mêmes des informations sur les pratiques de navigation préhispanique. Ainsi, la présence en quantité significative de restes archéologiques sur les îles, que ce soit le long de la côte Pacifique ou sur le lac Titicaca, implique l’emploi d’embarcations pour s’y rendre et y transporter des biens et produits. Le long de la côte péruvienne, par exemple, se trouvent de nombreuses petites îles et îlots rocheux attractifs pour leurs ressources haute biodiversité marine autour des îles, colonies d’otaries et d’oiseaux marins très productifs en guano fertilisant produit par les excréments d’oiseaux marins. Ces petites îles ne sont pas habitées par les hommes de manière permanente à cause de l’absence de sources d’eau potable, mais les données archéologiques montrent qu’elles sont intensément fréquentées dans le cadre d’activités d’extraction de leurs ressources ainsi que pour des activités funéraires et des dépôts d’offrandes. La distribution des restes archéologiques sur les différentes îles suggère d’ailleurs que de longs trajets maritimes pouvaient avoir lieu, puisque des objets archéologiques identifiés comme étant de styles Mochica et Chimú statuettes en bois auraient été trouvés sur les îles Chincha, sur la côte sud du Pérou. Ceci indiquerait une circulation et/ou des échanges entre la côte nord et la côte sud du Pérou dès l’époque Mochica17. Enfin, le littoral, cette interface entre le milieu terrestre et le monde aquatique, est un contexte clé pour l’étude de la navigation. L’archéologie de la zone littorale peut permettre d’identifier des restes de structures portuaires ou d’autres aménagements de rives associés à des activités de navigation quais, embarcadères, rampes d’accès, etc.. Les travaux de Christophe Delaere et son équipe de l’Université Libre de Bruxelles sur et autour des îles du lac Titicaca ont ainsi permis de mettre au jour sur l’île du Soleil un renforcement de rive servant probablement d’embarcadère au cours de l’époque Tiahuanaco vers 800-1150 ap. Il y a encore peu de fouilles de ce type de contexte dans le monde andin. De plus, les sites littoraux sont particulièrement sujets à l’érosion à cause de l’action de l’eau et des activités humaines. L’archéologie littorale ouvre tout de même des perspectives très intéressantes pour la recherche sur la navigation préhispanique. II. Les apports d’une approche multidisciplinaire Outre les différentes approches archéologiques présentées précédemment, l’étude de la navigation gagne à avoir recours à l’apport d’autres sciences ou spécialités appliquées à l’archéologie. Par exemple, les sciences environnementales et le développement de la géoarchéologie apportent des données intéressantes, car l’étude de la navigation est indissociable de celle des milieux environnementaux dans lesquels elle est pratiquée. Pour étudier la navigation, il convient de connaître non seulement les milieux aquatiques maritimes, lacustres et fluviaux mais aussi le milieu terrestre, qui fournit les matières premières permettant de construire les embarcations, comme le bois de balsa, dans les forêts tropicales des côtes équatorienne et de l’extrême nord du Pérou, ou les différentes espèces de jonc, ou totora, tout au long des côtes péruvienne et chilienne et sur les rives du lac Titicaca. Concernant les milieux aquatiques sur lesquels on navigue, les principaux facteurs qui permettent ou non la navigation sont les vents et les courants marins. La région andine du Pacifique fig. 1 est dominée par le système du courant froid de Humboldt caractérisé par des vents et courants dominants du sud vers le nord. Leur influence diminue à certaines saisons, mais globalement ils rendent beaucoup plus difficile la navigation du nord vers le sud qu’en sens inverse. Plus au nord, à partir de la région de Tumbes, agit un système complexe de courants et de contre-courants chauds, avec leurs implications propres pour la navigation19. Ces milieux ont évolué au cours du temps. Si la configuration environnementale du littoral andin est restée à peu près stable des époques préhispaniques à aujourd’hui, il faut tout de même mentionner un changement important qui survient à la période de transition entre le Pléistocène et l’Holocène. Cette période est marquée par un réchauffement climatique généralisé à l’origine de la déglaciation, qui provoque à son tour une augmentation du niveau de la mer à partir d’environ 8000 av. qui atteint sa position actuelle vers 4000 av. Dans les zones où le plateau continental est large et en pente douce – ce qui est le cas pour une bonne partie de la côte péruvienne, cette augmentation du niveau de la mer a fait reculer la ligne de côte de plusieurs mètres voire kilomètres, submergeant les sites archéologiques les plus anciens qui étaient situés dans la proximité immédiate de la mer. La non-prise en compte de ce phénomène a causé d’importants biais dans l’étude archéologique des occupations les plus anciennes et mené plusieurs chercheurs à envisager l’absence de populations vivant dans la proximité immédiate de la mer et exploitant ses ressources dans la région andine avant environ 4000 av. Depuis, de nombreuses recherches, notamment dans les zones où le plateau continental est plus étroit et abrupt et donc où lignes de côte ont été préservées extrême nord et extrême sud du littoral andin, ont montré qu’il y a bien des occupations côtières dès 11 000 av. dont les populations s’adonnent d’ailleurs principalement à l’exploitation des ressources marines20. Les données les plus anciennes suggérant l’emploi de la navigation remontent quant à elles à environ 5000 av. sur la côte nord du Chili21. C’est cette même prise de conscience de la variabilité des lignes de côte qui a poussé l’équipe de Christophe Delaere à mener des fouilles subaquatiques dans le lac Titicaca. S’appuyant sur des données géoarchéologiques, les chercheurs se sont rendu compte que le lac avait connu une importante augmentation du niveau de l’eau vers la fin de l’époque Tiahuanaco après 1150 ap. Les rives d’époque Tiahuanaco sont donc aujourd’hui submergées. Grâce à des fouilles subaquatiques menées autour de l’Île du Soleil, les archéologues ont retrouvé les rives d’époque Tiahuanaco. Les restes archéologiques qui y ont été mis au jour témoignent d’intenses circulations sur le lac au cours de la période Tiahuanaco, dans le cadre d’activités principalement économiques, liées à l’exploitation des ressources du lac22. Malheureusement, les chercheurs n’ont pas encore découvert de données archéologiques indiquant quelles techniques de navigation étaient alors employées, mais il est probable qu’il s’agissait déjà d’embarcations en totora, comme celles encore utilisées sur le lac aujourd’hui. Ce type de recherche montre l’intérêt de l’archéologie subaquatique pour l’étude de la navigation préhispanique. Certes, il semble illusoire d’espérer retrouver une épave préhispanique, étant donnée la nature périssable des embarcations d’alors. En revanche, elle pourrait permettre de documenter des aménagements de rive et occupations côtières submergés ou encore des biens tombés à l’eau en cours de navigation ou de déchargement de produits à terre ancres, instruments de navigation, éléments de cargaison, etc.. Le développement de l’archéologie subaquatique dans la région andine est encore actuellement à ses débuts, mais il y a un intérêt croissant pour cette méthode. Nous pouvons ainsi mentionner les fouilles subaquatiques du lac Titicaca déjà évoquées ou encore le projet récent de recherches subaquatiques autour des îles de Pachacamac côte centrale du Pérou, dirigée par Rocío Villar archéologue travaillant pour le Musée Pachacamac et le Ministère de la Culture du Pérou23. Enfin, l’archéo-ichtyologie apporte elle aussi des données cruciales pour l’étude de la navigation préhispanique, en particulier dans les contextes les plus anciens pour lesquels on ne connaît pas de représentation iconographique d’embarcation. Cette branche de l’archéo-zoologie consiste à étudier les restes de poissons trouvés sur les sites archéologiques, principalement dans des contextes domestiques où sont mis au jour des déchets alimentaires issus de l’exploitation et la consommation de ressources marines. Parmi ces restes, certaines parties anatomiques des poissons, notamment les dents, les vertèbres ou encore les otolithes – petites concrétions calcaires situées dans les organes auditifs des poissons – permettent d’identifier les espèces pêchées et la taille moyenne des individus. La connaissance du comportement et de l’habitat de ces espèces donne des indices sur les techniques de pêche employées. Certains poissons ne peuvent a priori être capturés qu’à l’aide d’embarcations, comme les poissons vivant en pleine mer dits poissons pélagiques ou les gros poissons dangereux pour l’homme tels que les grands requins. Lorsqu’ils sont présents en quantité significative et tout au long de la stratigraphie d’un site, les restes de poissons pélagiques ou de grands requins suggèrent donc l’emploi de techniques de navigation ayant permis leur capture et non l’appropriation opportuniste d’individus échoués ou égarés près des côtes, ce qui est un événement statistiquement assez rare24. C’est l’identification de ce type de bio-indicateur » de navigation qui a permis à une équipe chilienne de documenter l’emploi d’embarcations sur la côte nord du Chili dès 5000 av. Sur le site d’Agua Dulce, les chercheurs ont en effet constaté de la présence récurrente de dents et vertèbres de différents poissons pélagiques espadon, marlins et certaines espèces de requin. C’est à ce jour la preuve la plus ancienne de l’emploi de la navigation dans le monde andin25. Sur la côte péruvienne, les preuves sont plus tardives. Les recherches de Gabriel Prieto à Gramalote côte nord du Pérou suggèrent qu’elles remontent à environ 1500-1200 av. Mais cela est peut-être lié à la submersion Holocène des sites côtiers pré-4000 av. mentionnées précédemment, qui fait que de nombreuses données sont manquantes pour les occupations côtières les plus anciennes. Conclusion La nécessité d’une approche multiple. Ce panorama des enjeux et méthodes possibles pour l’étude de la navigation préhispanique montre bien la nécessité de recourir à une approche multiple, que ce soit en termes thématiques, méthodologiques, ou en termes d’échelles. La navigation renvoie en effet à une diversité de pratiques ayant des implications à la fois techniques matières premières, techniques de fabrication, savoir-faire nautiques, possibilités environnementales, etc. et socio-économiques exploitation des ressources aquatiques, échanges et contacts maritimes, voire parfois symboliques – comme en témoignent les différents dépôts funéraires mentionnés dans ce travail. Il s’agit donc d’étudier non seulement la navigation en tant que telle mais surtout ses apports et son rôle dans le développement et le fonctionnement des sociétés préhispaniques. Pour apporter le plus d’informations possibles sur cet ensemble complexe de problématiques, il est nécessaire de recourir à une archéologie à la fois terrestre, littorale et maritime, et de croiser les différents types de sources et de données. La diversification des méthodes archéologiques produite par l’apport d’autres disciplines scientifiques géoarchéologie, archéologie subaquatique, archéo-zoologie offre alors des ressources précieuses. Enfin, pour cette étude transversale, il convient de faire une archéologie à plusieurs échelles. Il s’agit en effet de documenter d’abord les pratiques de navigation locales, pour pouvoir ensuite identifier des dynamiques régionales, puis plus globales à l’échelle du monde andin, voire de l’Amérique préhispanique en général pratiques communes de navigation, routes maritimes, etc.. Seule cette démarche méthodique et échelonnée permettra d’évaluer les théories qui traversent le monde académique sur l’existence de réseaux d’échanges et de contacts maritimes lointains dès les époques préhispaniques. Bibliographie ACOSTA, 1894 [1590] ACOSTA José de, Historia natural y moral de las Indias, Tome 1, Madrid Imprimeur Ramón Anglés, 1894 [1590]. 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Fig. 3 Embarcation en peau d’otarie de la côte chilienne. Frézier, 1982 [vers 1720] Planche XVI, p. 115. Source de l’image document numérisé relevant du domaine public. Fig. 4 Céramique Mochica côte nord du Pérou, début de n. siècle représentant un pêcheur sur son embarcation en totora. Musée Larco – Lima, Pérou Catalogue en ligne du Musée Larco Fig. 5 Céramique Lima-Nievería côte centrale du Pérou, vers 600-1100 ap. représentant des personnages sur des embarcations en totora, conservée au Musée Larco – Lima, Pérou. Foussard, 2018. RADEMAKER et al., 2013, p. 34-45 l’article présente les résultats d’une base de données rassemblant toutes les datations au carbone 14 connues pour les sites archéologiques péruviens datant du Pleistocène Final à l’Holocène Moyen. La base de données prend en compte les datations issues de publications scientifiques et pour lesquelles sont documentés le matériau et la provenance des échantillons datés, les méthodes de datation et de calibration employées et le laboratoire de datation. Nous ne pouvons restituer l’ensemble de ces informations ici mais renvoyons à la référence bibliographique. Certes, les connaissances ont dû évoluer depuis 2013, mais ce travail donne tout de même une vision d’ensemble qui nous semble encore pertinente sur les données archéologiques les plus anciennes au Pérou. [↩] BURGER, 1992, p. 11-57 ; LAVALLÉE, 1994, p. 271-273 ; MOSELEY, 1975 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [↩] BUSE DE LA GUERRA, 1977 ; EDWARDS, 1965. [↩] PRIETO, 2013, p. 39-54 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [↩] Formule de l’auteur. [↩] BENZONI, 1572, p. 164-165 ; JUAN & ULLOA, 1748, p. 261-266. [↩] ACOSTA, 1894 [1590], p. 235-236 ; ORBIGNY, 1839-1843, p. 396. [↩] FRÉZIER, 1982 [écrit vers 1720], p. 114-116 ; VIVAR, 1966 [1558], p. 10-12. [↩] PRIETO, 2016, p. 141-188 ; VILCA APAZA, 2019, p. 960-973. [↩] PRIETO, 2016, p. 172-181 dans les pages indiquées sont présentées plusieurs pièces en céramique appartenant aux cultures mentionnées dans ce travail, y compris la pièce datant de l’Horizon Cupisnique-Chavín décrite dans le paragraphe précédent. [↩] NÚÑEZ ATENCIO, 1986, p. 11-35 ; ORTIZ SOTELO, 2003, p. 123-135. [↩] BUSE DE LA GUERRA, 1977, Volume 2, p. 125-477 ; HEYERDAHL,1952, p. 550-553. [↩] GARCILASO DE LA VEGA, 1918 [1609], p. 206 ; PRIETO, 2016, p. 165. [↩] BARRAZA LESCANO, 2017, p. 416-443 ; ROSTWOROWSKI, 1970, p. 135-178. [↩] NÚÑEZ ATENCIO, 1986, p. 11-35. [↩] OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192. [↩] CORTÉZ BILLET & AUSEJO CASTILLO, 2012, p. 11-49 ; KUBLER, 1948, p. 29-50. [↩] DELAERE, 2017, p. 223-238. [↩] HOCQUENGHEM, 1993, p. 701-719 ; MONTECINO & LANGE, 2009, p. 65-79. [↩] LAVALLÉE, 1994, p. 263-265 ; SANDWEISS, 2008, p. 145-156. [↩] OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192. [↩] DELAERE, 2017, p. 223-238. [↩] Site Internet du Musée Pachacamac [↩] LLAGOSTERA, 1990, p. 37-51 ; OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192 ; PRIETO, 2014, p. 1-46. [↩] OLGUÍN et al., 2014, p. 177-192. [↩] PRIETO, 2014, p. 1-46. [↩] Article écrit par Tara Chapron Télécharger l’article au format pdf. Communication présentée le mercredi 16 janvier 2019 Résumé D’après les découvertes archéologiques, la laine semble être une fibre beaucoup appréciée en Europe et en Asie centrale. Toutefois est-ce qu’il existe une seule qualité de laine pour plusieurs tissus ou différentes qualités pour plusieurs types de tissu ? Peut-être que les critères de qualité varient d’une époque à une autre mais pour une même ère temporelle est-ce que les critères de qualités de la laine sont perçus de la même manière sur des aires géographiques différentes ? Pour répondre à notre sujet, nous avons choisi deux sites archéologiques un provenant du parc Lyon-Saint-Georges en France et le second de Gol Mod en Mongolie. Le premier site correspond à la découverte d’épaves contenant de nombreuses fibres de laine. Le second est une nécropole princière contenant, dans les chambres funéraires, des échantillons de textiles. Là aussi, plusieurs fibres de laine ont déjà été identifiées. Ces deux sites datent de la même période, Ier-IIIe siècle de notre ère et se trouvent tout de deux de part et d’autres de la route de la Soie. Si le deuxième site comprend probablement des laines de bonne qualité puisque jugées dignes d’être enterrées avec le défunt, le premier site comprend des laines d’usage courant puisqu’il s’agit de bateaux de commerce dont des morceaux de textiles ont été utilisés pour éviter à ceux-ci de couler. Aussi existe-t-il des aspects communs à l’utilisation de cette matière en Europe et en Asie centrale entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère ? Introduction L’Histoire des textiles est d’abord l’histoire d’un matériau. On peut aussi lire en lui l’histoire du monde, des civilisations, du commerce, des accords et des échanges. Le mot textile vient du latin texere signifiant tisser », tresser », ou construire »1 . Pour qu’un textile existe, il faut de quoi le construire et c’est là que les fibres entrent en jeu. Un textile n’existe pas sans des fibres. Ce sont des éléments d’aspect filamenteux susceptible d’être tissé ou filé qui vont former le textile à proprement parler. Les fibres deviennent parfois un sujet de convoitise, participant de cette manière à la grandeur d’une civilisation. Dans la période antique, le lin est associé à l’Égypte, au Proche et Moyen-Orient ; le coton à l’Inde ; la soie à la Chine et la laine aux peuples pastoraux de l’Asie centrale à l’Europe2 .Ce schéma reste une vision générale et il ne faut pas estimer qu’il fut vrai pour toute la période antique. Il peut y avoir des variantes qui dépendent d’un moment et d’une aire géographiques à une autre. Les fibres sont facilement transportables et peuvent être échangées sur des distances longues autant que courtes. C’est ainsi que des peuples vivant sous des climats tout à fait opposés à celui sous lesquels les fibres peuvent grandir, sont suceptibles de les découvrir. Parce qu’elles sont rares et/ou parce qu’elles ont une qualité particulière, elles sont précieusement gardées ou au contraire sont exportées sous forme de produits bruts ou de produits finis. Et c’est de cette manière que certaines cultures vont acquérir une renommée marchande en lien avec cette fibre. L’une des fibres qui nous intéresse tout particulièrement est la laine. D’après les découvertes archéologiques, on sait que cette fibre est beaucoup appréciée en Europe et en Asie centrale, ce qui est une très large limite géographique. Donc plusieurs interrogations découlent de cette observation. Existe-t-il une seule qualité de laine pour plusieurs tissus ou différentes qualités pour plusieurs types de tissu ? Peut-être que les critères de qualité varient d’une époque à une autre, mais pour une même ère temporelle est-ce que les critères de qualités de la laine sont perçus de la même manière sur des aires géographiques différentes ? Pour tenter de répondre à ces questions, on choisit deux sites archéologiques de régions différentes, mais contemporains, offrant un large échantillon de textiles en laine. Ensuite, nous comparons les fibres par ce qui permet généralement de définir les qualités de la laine afin d’observer les ressemblances et les différences. Les deux sites archéologiques que nous avons choisis sont d’une part le parc Lyon-Saint-Georges en France et d’autre part Gol Mod en Mongolie. Le premier site correspond à la découverte d’épaves contenant de nombreuses fibres de laine. Le second est une nécropole princière contenant dans les chambres funéraires des échantillons de laine. Certes, ces deux sites sont géographiquement opposés, mais datent tous deux de la même période, Ier-IIIe siècle de notre ère. À travers les deux corpus contemporains de laines, peut-on décocter l’existence d’aspects communs à l’utilisation de cette matière en Europe et en Asie centrale entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère ? I. De la laine au fil Sont appelés laine les poils épais, doux et frisés des animaux à toison aptes à être filés. La toison est l’ensemble des poils sécrétés par le bulbe pileux de la peau d’un animal. C’est donc une fibre d’origine animale. Grâce aux découvertes archéologiques, il est attesté que de nombreuses espèces domestiquées et non domestiquées ont servi à la fabrication de fibres animales en Europe protohistorique chameau, la vache, cheval, la chèvre et le mouton par exemple. La laine possède de nombreuses qualités elle protège du froid, de l’humidité et est élastique et solide. La domestication du mouton et plus largement des ovicaprinés remonte au néolithique. La domestication des animaux représente un intérêt multiple puisqu’elle produit viande, cuir, lait et toison. Avec le lin, la laine fournit la majorité de la production des fibres textiles de l’Europe jusqu’en Haute Asie pendant de nombreux siècles3 . La toison d’un animal développe des poils hétérogènes selon la partie du corps. En fonction des poils sélectionnés, les qualités de laine varient et certaines peuvent même valoir des prix d’or. Le mouton est un bon exemple pour expliquer ces différences de qualité. Sa toison se compose d’une double robe une composée de poils courts, fins et ondulés la laine et le crin et une autre de poils durs et grossiers les jarres. Les laines au niveau de la gorge, du dessous du ventre et des autres endroits susceptibles d’avoir des crottes attachées sont appelées crotons » ou crotins ». Elles sont généralement mises au rebut ou réservées au tissage d’étoffes plus grossières. Celles du niveau de la queue et des cuisses sont aussi considérées comme de mauvaises qualités. À l’inverse, les meilleures laines, appelées mère-laine », sont sur le dos du mouton, au niveau du cou et sur les épaules4. Les mammifères à poils et les moutons en particulier, développent leur toison en fonction de l’environnement dans lequel ils évoluent. Ainsi dans les pays au climat humide, la toison des moutons est constituée de longues mèches lisses afin que l’eau ruisselle. A l’inverse dans les pays au climat plus chaud, leur toison est plus dense et les fibres de laine sont très serrées. Mais le climat n’est pas un des seuls critères de modifications des toisons, l’action de l’homme y est aussi pour beaucoup, car celui-ci a cherché au cours du temps à obtenir des toisons uniformes, faciles à utiliser pour la fabrication de textile et efficaces contre le chaud et le froid5. Un chercheur, Micael Ryder a, depuis les années 1950, tenté de dresser un schéma de l’évolution des espèces de moutons dans l’Antiquité. Il a utilisé différentes sources les vestiges archéologiques sont les plus nombreux, mais il existe aussi des représentations de mouton dans l’Antiquité et quelques races primitives existent encore soit parce qu’elles ont fui la captivité pour rester sauvages soit parce qu’elles sont élevées dans des régions isolées6. L’espèce actuelle la plus proche de celle de la période néolithique est le mouflon sauvage qui survit encore en Corse et en Sardaigne. À cette période des premières sélections, la fourrure des moutons était de couleur marron foncé et était constituée à l’extérieur de jarres grossiers qui tombaient chaque année et une sous toison fine et laineuse que le mouton perdait également. Ces moutons sont appelés moutons primitifs ils ne développent pas encore de laine et leur toison est appelée toison crineuse. Si au Néolithique final, les fibres végétales restent la première matière textile utilisée dans certaines régions du nord de l’Europe, l’élevage du mouton s’est accru. C’est ainsi qu’à force de sélection, les jarres externes s’affinent et perdent de leur rudesse. À l’inverse, le duvet s’épaissit et devient plus laineux surement en raison d’une réaction biologique concomitante. Deux types de moutons primitifs apparaissent au début de l’âge du Bronze un au Moyen-Orient vers 3000 av. et un autre dans les pays du nord de l’Europe, vers 1600-1500 av. Leur toison est nommée moyennement crineuse. Un autre type de toison apparaît également, dû à une réduction supplémentaire du diamètre des jarres, la toison de finesse moyenne. La laine est en effet moyennement fine et se confond avec le duvet. Il existe encore un type de mouton semblable à ceux de l’âge du Bronze, apporté par les premiers occupants des îles de Saint-Kilda le mouton de Soay. Celui-ci est le descendant direct des espèces sauvages apportées sur l’île par les occupants d’où leur squelette est très proche comparativement. Les diamètres de leurs fibres correspondent à la fois aux toisons moyennement crineuses et aux toisons de finesse moyenne de l’âge du Bronze. Au premier âge du Fer, la laine se diffuse largement, en Europe notamment. Les deux types de toisons vues précédemment existent toujours, mais deux changements apparaissent. La palette de couleurs s’élargit vers le marron, le noir et le blanc. Par ailleurs, certaines races de moutons ont cessé de muer. L’introduction des forces ciseaux de tonte peut être une explication à ces phénomènes. A la fin de l’âge du Fer, l’élevage sélectionné afin d’obtenir une croissance continue du pelage entraine une nouvelle étape dans l’évolution des moutons à toison moyennement crineuse. Chez certaines espèces de cette catégorie, les jarres grossiers sont devenus de véritables poils. On parle alors de toison crineuse. Les dernières transformations de la toison des moutons sont observables sous l’Empire Romain. Après l’introduction de nouvelles espèces, la toison de finesse moyenne évolue en trois directions. Les fibres fines ont grossi et forment une toison de finesse moyenne. Les fibres moyennes des jarres s’affinent encore et donnent une toison fine. Enfin, les diamètres extrêmes des fibres de la toison de finesse moyenne ont convergé pour donner la toison semi-fine. C’est à cette période que s’effectuent les dernières transformations des moutons. Le mérinos correspond à cette dernière étape bien qu’il soit apparu en Espagne au Moyen-Age. Il est aujourd’hui le premier producteur de laine au monde. Il porte une toison de laine uniformément fine et blanche et ne mue pas. Les besoins textiles ont au cour du temps influé sur l’obtention de différentes qualités de toison des fibres fines et homogènes, grossières, une laine forte… Les exigences ont évolué en parallèle avec les moyens de perfectionnement technologiques influençant les toisons. Par cela, il faut entendre, par exemple, les techniques de récupération de la toison arrachage, tonte. Et aussi l’importation d’un savoir-faire » pour améliorer les troupeaux d’origine, ou l’importation de troupeaux d’autres régions, ou encore l’introduction de reproducteurs qui sont croisés avec le cheptel indigène7. II. Protocole expérimental Nous avons vu les espèces de moutons les plus présentes dans l’Antiquité, il s’agit maintenant de les reconnaître. L’observation des fibres n’est pas toujours très simple et la facilité à les identifier dépend de l’état de conservation de celles-ci. Plusieurs outils technologiques existent pour amoindrir cette difficulté. Loupe binoculaire Pour une première étude, la loupe binoculaire est idéale. Afin de nous rendre compte de l’état de conservation des échantillons et pour établir une première identification, nous souhaitons les observer en vue longitudinale. Les échantillons sont d’abord examinés dans leur ensemble avant de prélever quelques fibres qui sont ensuite déposées dans un liquide d’immersion baume du Canada ou de l’eau, entre une lame et une lamelle. Les lames prêtes sont ensuite placées sous la loupe et observées sous un grossissement qui est en moyenne à 200 et à l’aide d’une lumière polarisée. Nous alternons notre observation en lumière réfléchie fond clair pour déceler la forme de la fibre et en lumière diffusée fond noir pour mesurer le diamètre des fibres. Figure 1 Loupe binoculaire. Source photographie de Tara Chapron. Pour compléter cette première approche, nous avons réalisé des coupes transversales avec l’aide d’un microtome. La préparation scientifique est différente de celle vue précédemment. Le fil qui doit être étudié, est inséré dans une gaine de Téflon qui contient une solution translucide mélangeant une résine polyester, un catalyseur et un accélérateur de polymérisation. Il faut attendre 24 heures à température ambiante ou 30 minutes à l’intérieur d’une étuve portée à une température de 60° C pour que le fil soit solidifié8. Cette étape une fois accomplie, la gaine est retirée et le fil est glissé grâce à une pince dans une gouttière porte-échantillon du fibrotome qui le maintient dans un axe alors que la lame de rasoir épaisse et rigide coupe les fibres successivement. Les coupes sont finalement disposées sur une lame et maintenues à la lamelle par un liquide d’immersion baume du Canada. Les coupes transversales de 15 à 20 µm sont observées sous un grossissement de 500 à la loupe binoculaire et cette méthode nous permet de décider plus précisément l’espèce de fibre et même différencier les types de laines notamment par leur finesse. Figure 2 – Gaine de Téflon et lame, Source photographie par Tara Chapron Figure 3 – Une résine polyester, un catalyseur et un accélérateur de polymérisation, Source photographie par Tara Chapron Figure 4 – Insertion de la fibre dans la gaine de téflon, Source photographie de Tara Chapron Figure 5 – Les fibres sont prêtes à être solidifiées, Source photographie de Tara Chapron Figure 6 – Une flasque mobile tronconique assure le serrage, Source photographie de Tara Chapron Figure 7 – Les coupes sont déposées sur une lame et retenues par une lamelle grâce à une goutte de baume de Canada, Source photographie de Tara Chapron Figure 8 – Observation des coupes au microscope, Source Photographie de Tara Chapron Le microscope électronique à balayage La difficulté de reconnaissance des fibres est parfois trop importante pour se contenter de la seule utilisation de la loupe binoculaire. C’est pourquoi nous avons utilisé le microscope électronique à balayage. Certes, il ne permet pas de voir la couleur des fibres, mais dejouer sur la netteté des vues longitudinales grâce à une grande profondeur de champ et un grossissement beaucoup plus important que le microscope optique. Nous l’avons utilisé pour faire des images à x12 000 notamment, mais il peut atteindre jusque x300 000. La préparation des fibres consiste à d’abord prélever un échantillon pas plus grand de 5 mm. Ensuite, il est déposé sur un porte-objet plat recouvert d’un adhésif pour être sûr que l’échantillon reste immobile pendant l’observation. Pour rendre la surface conductrice, l’ensemble est recouvert d’une fine couche d’or avant d’être placé dans l’appareil9. Le microscope numérique 3D Un autre appareil que nous avons utilisé est l’Hirox. Ce microscope électronique 3D offre une grande profondeur de champ ce qui est idéal pour l’observation des fibres 50-800x. Sa tête rotative est composée de miroirs, ce qui permet de réaliser des vues en 3D et même des captures vidéo. Les captures sont de très bonnes qualités 1200×1600 pixels, ce qui n’est pas non plus négligeable. Cet outil nous a été de grande utilité également pour les mesures des fibres. La préparation de ces dernières est la même que pour la loupe binoculaire10. Protocole d’identification Les fibres animales soulèvent le même problème d’identification que les fibres végétales leurs ressemblances. Aussi nous avons cherché ce qui est propre aux fibres de laine de mouton les écailles des fibres dont la taille dépasse les 0,5 µm. Nous avons aussi mesuré les diamètres afin de définir la race11. III. Deux sites, deux aires géographiques, une période L’objectif, nous le rappelons, n’est pas de définir si les laines sont les mêmes en Europe et en Asie centrale, mais si les critères de qualité sont semblables d’une aire géographique à une autre. III. A. Les textiles du Parc Saint-Georges Le premier corpus sur lequel nous avons travaillé, provient du quartier Saint-George de la ville de Lyon en France. Le quartier se situe dans le Vieux-Lyon », surnom donné à l’association des quartiers Saint-Georges, Saint-Jean et Saint-Paul. Depuis 1965, ces anciens quartiers, qui devaient être détruits, font finalement l’objet de restauration visant à faire revivre l’économie et le commerce. C’est donc en construisant un parc de stationnement souterrain et un immeuble que plusieurs épaves ont été découvertes sur la rive droite de la Saône en bordure du quartier Saint-Georges et près de la cathédrale Saint-Jean. Plus précisément, le site archéologique couvre une superficie totale de 3750 m2 et atteint une altitude de surface de 165,50 m avec à l’ouest le plateau de Fourvière culminant à 300 m d’altitude, et à l’est la berge12. Ces épaves sont des chalands, c’est-à-dire, des bateaux à fond plat, réservés aux transports de marchandises. Ces embarcations sont idéales pour l’acheminement des charges de plusieurs tonnes dans des eaux parfois peu profondes. Elles sont munies d’une voile et peuvent être déplacées à la rame, par halage ou par simple dérive. Concernant la période antique, cinq embarcations ont été retrouvées sur la rive droite. La plus ancienne est l’épave n°8, puis les n°4, 3, 2 et 7. Leur présence est liée aux anciens ports situés à proximité des épaves. Notamment celui construit au début du IIe siècle, juste avant la confluence de l’ancien lit de la rivière et du nouveau qui correspond aussi au nord du site du parc Saint-Georges. En effet, à la fin du Ier siècle au début du IIe siècle, le Rhône se déplace sur sa rive orientale libérant ainsi la Saône qui se crée un nouveau lit plus à l’est dans la plaine alluviale Saône nouvelle tout continuant à occuper son ancien tracé au pied de la colline de Fourvière Ancienne Saône ou Saône primitive13. C’est ce milieu alluvial qui a permis la conservation des épaves et des textiles retrouvés entre les planches de ces bateaux. Les textiles sont tous imprégnés de poix et très tassés en raison de leur emplacement, aussi la lecture des échantillons n’a pas toujours été très simple. Les textiles ont été placés au moment de l’assemblage, il s’agit donc de lutage et non de calfatage qui suggérerait que les textiles aient été placés après l’assemblage. Les textiles utilisés pour ce genre de fonction sont souvent des textiles de réemploi qui ne sont pas assez usés pour être mis au rebut, mais trop abimés pour les réutiliser sur des vêtements ou sur des tentures14. L’épave qui nous a particulièrement intéressés est la n°4 puisqu’elle est la plus complète 4 m de largeur sur 18m de longueur. Celle-ci a plusieurs plaques de plomb et de nombreuses chevilles, ce qui indique qu’elles ont subi quelques réparations ou consolidations15. Cela suppose donc qu’elle a enduré une longue période d’utilisation, les textiles peuvent être donc plus anciens que les bois de l’épave. Ces tissus sont non seulement intéressants pour la quantité conservée sur un même site, parce qu’ils sont des tissus de réemploi non prévus pour le lutage et donc de contexte utilitaire, mais aussi parce qu’ils proviennent d’un lieu d’échanges intensifs dont l’épave garde le souvenir. Dès la fin du Ier siècle la Gaule est réorganisée par César puis par Auguste pour entrer dans le cadre de l’Empire Romain. De nouvelles provinces sont créées la Lyonnaise, l’Aquitaine, la Gaule Belgique et la Narbonnaise. Lyon ou Lugdunum fondée en 43 av. est le centre de culte de Rome et d’Auguste et la capitale des Trois Gaules Lyonnaise, Aquitaine, Gaule belge. Lyon a une position géographique stratégique qui en fait un centre commercial des plus actifs. Elle est depuis Agrippa, le point de départ de trois axes routiers principaux. L’un se dirige vers le sud en longeant le Rhône et rejoint la Via Domitia, un autre va vers le Rhin et le dernier continu jusqu’à Saintes dans l’ouest de la Gaule. Par ailleurs, elle est aussi située à un croisement de plusieurs cours d’eau comme la Saône et le Rhône. La Gaule a, en effet, cet avantage d’être traversée par de nombreux axes maritimes et leurs dispositions servent d’axes de circulation qui reviennent moins chers que les axes terrestres. Lyon sert donc à la fois de port fluvial pour les bateaux de haute mer remontant le Rhône, et se trouvant au centre d’un nœud routier et de routes maritimes, peut accueillir des marchandises de toutes parts dans ses entrepôts. Dans l’Antiquité, l’activité du commerce est plutôt réservée à la ville. On y échange des éléments décoratifs, du vin, de l’huile, des céréales, du bois, des minerais, des pierres, des matériaux de construction, des animaux, des esclaves et des produits La ville devait être une plateforme commerciale fort dynamique dans l’Antiquité ce qui explique, sans doute, la présence de ces épaves qui s’intègrent toute dans une échelle chronologique large Ier siècle au XVIe siècle. Il ne faut donc pas estimer que, puisque ces textiles sont retrouvés sur ce site, ils sont nécessairement en provenance et conçus à Lyon. La lecture des textiles a parfois été difficile en raison de la poix qui recouvrait les échantillons. Les restaurateurs ont été contraints de se débarrasser de cette résine afin de permettre la manipulation des échantillons et les fibres n’ont pas toujours supporté cette manipulation. Certaines écailles ont toutefois pu être conservées et permettre ainsi l’identification des textiles en laine. Les fibres sont très hétérogènes il n’y a en effet pas de trace de coloration, mais les fibres sont parfois de toison pigmentée brune, châtain et surtout les diamètres sont très variés. Il n’est pas évident de définir une fourchette de diamètres récurrents. Une régularité de diamètres autour de 20 à 40 μm est toutefois notable. Si les diamètres sont variés alors cela peut signifier que les laines proviennent de différentes toisons, peut-être même d’espèces de régions différentes. Si l’on compare les résultats des diamètres au grafique de Ryder alors, les fibres peuvent provenir de toisons des deux dernières générations. Figure 9 – Vue transversale de l’échantillon les fibres sont pigmentées, Source photographie de Tara Chapron Figure 10 – Vue transversale de l’échantillon les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron Figure 11 – Graphique des diamètres des fibres de laine des échantillons de l’épave 4 du parc Lyon-Saint-Geogres, Source Tara Chapron III-B. Les textiles de la nécropole de Gol Mod Le deuxième site de notre corpus se trouve en Mongolie et plus précisément à Gol Mod à quelques 400 km à vol d’oiseau à l’ouest d’Oulan-Bator, dans la province d’Arkhangai et à 30 km au nord-ouest de Khai-khan. La découverte de celui-ci dépend de la Mission Archéologique Française en Mongolie fondée en 1993. Elle est la première mission occidentale installée en Mongolie. À partir de 2000, la mission s’installe sur la nécropole aristocratique Xiongnu de Gol Mod n°1. Actuellement la nécropole s’étend sur environ 400 hectares, entre 1490 m et 1570 m d’altitude, adossée au nord, à l’est et au sud à un massif culminant à 1800 m. Elle est limitée à l’ouest par la vallée de la rivière Khunian Gol. La vallée est composée de dunes dont les forêts de mélèzes en amont atténuent les effets du vent. C’est probablement pour cette raison que ce site en étagement protégé par la végétation a plu aux constructeurs des tombes17. Le paysage de Gol Mod est constitué de plusieurs tertres et, au sud de chacun, d’alignements trapézoïdaux de pierres. La plus vaste de toutes les tombes est la T1, de 70 mètres de longueur. Elle date du début de notre ère, autrement dit, peu avant le déclin de la civilisation des Xiongnu. C’est en 2000 que les relevés de la superstructure de la tombe T1 sont pris, en 2001 la sépulture est fouillée et le 17 août la chambre funéraire est atteinte. Orientée nord-sud, à 10 degrés est, la tombe 1 est au cœur de la nécropole. La superstructure du monument 850 m2 est composée d’une terrasse trapézoïdale et d’une allée funéraire trapézoïdale. Au centre de la terrasse, une dépression profonde de 4,2 m indique un effondrement de la chambre funéraire. Cela n’est pas rare à Gol mod, tout comme dans les autres grandes nécropoles Xiongnu, qu’à la suite de pillages les structures des chambres s’effondrent. Toutefois, la profondeur est accentuée par le sondage au centre de la sépulture réalisé par les précédents archéologues18. À 17 mètres sous la terrasse se trouve la chambre funéraire. Son accès est protégé probablement pour décourager les éventuels pilleurs et renforcer l’assise du monument. Effectivement, après avoir creusé 4 mètres dans le sol, les archéologues se sont retrouvés face à de gros blocs de pierres et de sable disposés en plusieurs couches successives formant une protection au caisson de la chambre située en dessus. Cela n’a tout de fois pas suffi à protéger la tombe des voleurs puisqu’un bois de Maral laissé dans la tombe, a servi de pic pour ouvrir la chambre environ un siècle et demi après l’inhumation. Plusieurs objets ont été emportés par les pilleurs et le corps n’est plus dans la tombe. La chambre est de forme rectangulaire et se compose de deux coffres parallélépipédiques emboîtés l’un dans l’autre couvrant une surface totale de 20 m. Les quelques textiles conservés dans la tombe ont été gardés grâce à la profondeur de celle-ci qui les a protégés de la lumière et n’a pas laissé l’air arriver jusqu’à eux et donc empêcher les bactéries et insectes de décomposer les fibres19. La monumentalité de l’édifice et le contenu de la tombe laissent penser qu’elle devait contenir la dépouille d’un personnage de haut rang. Les premiers tests de radiocarbone indiquent que la tombe appartient à une période comprise entre 20 et 50 de notre ère. Étant donné la profondeur de la chambre et du char, la tombe peut appartenir à un des tout derniers shanyu dirigeant de l’empire Xiongnu. Des pièces métalliques de char et la présence de trois aiguilles de mors appartenant probablement à deux chevaux sont des éléments représentatifs du pouvoir. Ils sont associées à des pièces d’importations comme des turquoises venant de gisements d’Asie centrale et encore une alêne en jade datant de la période des Royaumes Combattants 475-221, donc des jades de réemploi de créations chinoises et adaptées ensuite par les orfèvres Xiongnu, prouvent le vaste réseau commercial mis en place par les Xiongnu. Mais ce qui nous intéresse tout particulièrement c’est les centaines de fragments de tissus retrouvés dans la tombe. Il y a de la laine, de la soie, des gazes, des taffetas et des fourrures. Certains de ces morceaux de tissus témoignent d’éventuels échanges avec la Chine20. Les Xiongnu sont majoritairement connus par les textes chinois, qui ne les dépeignent pas de manière tout à fait objective. De la fin du IVe siècle av. au milieu du IIe siècle, ils sont constamment mentionnés dans les Annales historiques chinoises comme des incultes nuisant à la Chine. Réputés également comme peuple barbare par les Chinois, les Xiongnu sont des cavaliers semi-nomades, maîtres du Premier Empire des steppes depuis 220 av. environ, s’étendant de l’Altaï à la Mandchourie, de la Transbaïkalie jusqu’au-delà de la muraille de Chine. Leur appellation “Xiongnu” désigne à la fois leur empire ainsi que leur qualité de nomades pastoraux. Ce sont eux qui pour la première fois ont unifié les peuples nomades septentrionaux de l’Asie centrale entre le IIIe siècle av. et le Ier siècle ap. La structure interne de l’Empire Xiongnu est encore inconnue, mais par les différentes tombes découvertes, il semble que les cultures non-Xiongnu ne seraient pas entièrement remplacées par la culture Xiongnu. Il faut donc les voir davantage comme une entité non chinoise vivant au nord des Hans et unie à eux par une même politique. Leurs rapports avec l’Empire de la dynastie des Han 206 av. notre ère – 220 ne cessent d’être conflictuels. Ils établissent tout de même un traité, le traité Heqin, à l’époque des Royaumes Combattants 475-221av stipulant que la Chine doit chaque année aux Xiongnus une certaine quantité de produits chinois denrées alimentaires et produits de luxe et d’otages. En contrepartie, les Xiongnus leur garantissent la paix à la frontière septentrionale de la Chine. Il n’est donc pas surprenant de trouver dans la tombe des objets d’inspiration ou d’importation chinoise et peut-être même que certains des échantillons de tissus retrouvés proviennent eux aussi de tissus d’importation chinoise. S’ils sont de création Xiongnu, cela veut dire que les fibres que nous pouvons identifier peuvent être variées. À l’inverse, la steppe est un royaume de troupeaux. Là où l’herbe est rase, il y a des moutons, des chèvres, des bovins, et là où l’herbe est haute se trouvent les chevaux et les chameaux. Toutefois, les textes chinois mentionnent qu’ils n’avaient pas de villes ou d’habitats fixes donc ils ne pouvaient semer et ne pratiquaient que la chasse21. Peu de découvertes textiles ont été faites concernant ce peuple aussi nous ne possédons pas beaucoup d’informations concernant leurs ressources en matière de fibres. C’est pourquoi Gol Mod est d’un si grand intérêt, car il peut probablement nous donner des pistes de réflexion sur les fibres qu’ils utilisaient et la valeur qu’elles avaient pour eux. Ce corpus est différent de celui de Lyon, car les fibres sont beaucoup plus homogènes. Les mesures réalisées pour le site de Gol Mod montrent que les fibres de laine ont été triées selon leur épaisseur. En moyenne elles se concentrent entre 20 et 35 μm. Ainsi un critère de qualité précis a peut-être été défini lors du choix des fibres de laine. Les toisons sont toutefois de plusieurs espèces, possiblement de différentes régions. On note toutefois une préférence pour les toisons non pigmentées, ou du moins faiblement, des espèces de dernière génération, c’est-à-dire des espèces à toison uniforme. Figure 12 – Vue transversale de l’échantillon I, les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron Figure 12 – Vue transversale de l’échantillon 12, les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron Figure 14 – Graphique des diamètres des fibres de laine des échantillons de la tombe 1 du site Gol Mod, Source Tara Chapron Conclusion La laine est donc une fibre complexe, car elle peut avoir de multiples origines animales. Elle apporte aussi des qualités différentes selon l’animal ou la race choisie. Après avoir détaillé les espèces de moutons de l’Antiquité, nous avons pu observer la diversité des toisons possibles. Et les observer plus concrètement sur notre corpus un contexte gallo-romain avec de nombreux échantillons d’usage quotidien et un site xiongnu, dont les échantillons répondent à un usage plus noble. Nous pouvons interpréter les résultats en terme de continuité et de rupture. Continuité, car nous pouvons déjà affirmer que parmi les espèces choisies le mouton est la principale source animale dans les deux sites. Les choix de race de mouton sont tout aussi variés pour ces deux contextes de découvertes. Les espèces qui ont cessé de muer sont préférées, il s’agit donc d’espèces de 2e et 3e génération. Rupture puisque sur un site qu’il soit riche ou pauvre, en Europe ou en Haute Asie, le soin apporté au choix des fibres n’est pas soumis à la même exigence. Le site de Gol mod compte davantage des fibres de dimensions égales et marque une préférence pour les fibres des toisons de dernière génération donc de qualité uniforme. Tandis que le site de Lyon présente des fibres de diamètres beaucoup plus variés, ce qui indique peut-être une sélection moins fine au début du tri des poils et une plus large sélection de moutons. Au terme de cette analyse, il est donc fort probable qu’il ait existé des critères de qualité diffèrent entre le 1er et le 3e siècle de notre ère non seulement selon les aires géographiques, mais aussi selon le contexte noble ou pauvre. Il faudrait cependant approfondir cette étude pour définir si cette différence de qualité a pu correspondre à une fonction précise. Tara Chapron Bibliographie Ouvrages ANQUETIL J., 2001 ANQUETIL J., Les routes de la Laine, Paris Jean-Claude Lattès, 2001, p 11-394. BECK F. et CHEW H., 1989 BECK F. et CHEW H., Quand les Gaulois étaient romains, Paris Gallimard, 1989, p 1-165. BRUN 2012 BRUN Techniques et économie de la Méditerranée antique, Paris Collège de France/Fayard, 2012, p 1-88. 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Consultation en ligne {en ligne} electronique-balayage-7783/ dernière consultation 7/09/2018 {en ligne} dernière consultation 7/09/2018 Table des illustrations – Figure 1- Loupe binoculaire, Source photographie de Tara Chapron – Figure 2 – Gaine de Téflon et lame, Source photographie par Tara Chapron – Figure 3 – Une résine polyester, un catalyseur et un accélérateur de polymérisation, Source photographie par Tara Chapron – Figure 4 – Insertion de la fibre dans la gaine de téflon, Source photographie de Tara Chapron – Figure 5 – Les fibres sont prêtes à être solidifiées, Source photographie de Tara Chapron – Figure 6 – Une flasque mobile tronconique assure le serrage, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 7 – Les coupes sont déposées sur une lame et retenues par une lamelle grâce à une goutte de baume de Canada, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 8 – Observation des coupes au microscope, Source Photographie de Tara Chapron. – Figure 9 – Vue transversale de l’échantillon les fibres sont pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 10 – Vue transversale de l’échantillon les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 11 – Graphique des diamètres des fibres de laine des échantillons de l’épave 4 du parc Lyon-Saint-Geogres, Source Tara Chapron. – Figure 12 – Vue transversale de l’échantillon I, les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 13 – Vue transversale de l’échantillon 12, les fibres ne sont pas pigmentées, Source photographie de Tara Chapron. – Figure 14 – Graphique des diamètres des fibres de laine des échantillons de la tombe 1 du site Gol Mod, Source Tara Chapron. GILLOW J. et SENTANCE B., 2000, p 10. [↩]FAUQUE C. et FLEURENT C., 1997, p 186. [↩]FERDIERE A. ET ROCHE-BERNARD G., 1993, p 54. [↩]FAU A., 2015, p 10. [↩]RYDER M., 1987. [↩]RYDER M., 1987, p 56. [↩]YERNAUX G. et UDRESCU M., 1994, p 55-67. [↩]KASSENBECK P., JACQUEMART J. et MONROCQ R., 1965, p 213. [↩] dernière consultation 7/09/2018 [↩] dernière consultation 7/09/2018 [↩]BUNSELL 2018, 1052p. [↩]AYALA G., 2007, p 154. [↩]AYALA G., 2007, p159. [↩]MEDARD F., 2010, p 136-146. [↩]AYALA G., 2007, p163. [↩]BECK F. et CHEW H., 1989, p 90-91. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., 2002, p 194. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., 2002, p 195. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., 2002, p 195. [↩]GUILHEM A. et DESROCHES J-P., , 2002, p 195. [↩]PSARRAS S-K., 1990, p 162. [↩] Télécharger l’article au format pdf. Article écrit par Liu Chiaomei, professeur d’art contemporain et d’historiographie de l’art à la National Taiwan University. Résumé Il s’agit d’abord de mettre en lumière la spécificité du point de vue moderniste de Marden, puis d’aborder la singularité des traductions des poèmes de Du Fu par Kenneth Rexroth. On remarquera l’utilisation de la calligraphie et de la poésie chinoises dans certaines œuvres de Marden. Analyser le point de vue de la critique américaine moderniste sur l’art chinois traditionnel permet de montrer les aspects hétérogènes de l’art de Marden qui s’opposent au discours puriste au sein du modernisme américain. Au fur et à mesure, on montrera comment la démarche de Brice Marden a pu reconstruire une expérience de vie qui dépasse les limites culturelles et les catégories artistiques de son temps. Abstract I will first highlight the specificity of Marden’s modernism and then discuss the uniqueness of Kenneth Rexroth’s translations of Du Fu’s poems. Note the use of Chinese calligraphy and poetry in some of Marden’s work. By analysing the American modernist critic’s view of traditional Chinese art, the heterogeneous aspects of Marden’s art that oppose the purist discourse within American modernism are shown. In the process, it will be shown how Brice Marden’s approach was able to reconstruct a life experience that transcended the cultural boundaries and artistic categories of his time. Connu pour ses premières œuvres minimalistes, Brice Marden s’est inspiré de la poésie et de la calligraphie chinoises, métamorphosant les caractères chinois en dessins de traits aux couleurs Sa première série d’œuvres chinoises », intitulée Etchings to Rexroth Eaux-fortes en réponse à Rexroth, 1986, explore l’univers poétique de Du Fu 712–770 ainsi que l’art calligraphique chinois Fig. 1, 2. Par la suite, il consacre plusieurs années à la série Cold Mountain 1988-1991 Fig. 3, intégrant de façon syncrétique poésie, calligraphie et peinture. Par l’entremise de la calligraphie et de la poésie chinoises, il s’est engagé dans une réflexion sur la nature du modernisme qui devait durer une trentaine d’années. Dans cet article, j’étudie le transfert s’opérant à deux niveaux au sein des œuvres chinoises – d’une langue à l’autre et de l’écrit au langage pictural. La première partie mettra en lumière la spécificité du point de vue moderniste de Marden tel que perçu à travers le thème de la quotidienneté dans ses premières œuvres. Dans la deuxième section, la singularité des traductions des poèmes de Du Fu par Kenneth Rexroth sera abordée. En troisième lieu, je traiterai de l’utilisation, chez Marden, de la calligraphie et de la poésie chinoises, principalement au sein de Etchings to Rexroth, et du rapport interactif qu’il établit entre elles. Enfin, je mettrai en parallèle quelques traits particuliers de la critique moderniste de l’art chinois afin de montrer la relation d’intertextualité existant entre cette critique et l’art chinois, afin de cerner les aspects hétérogènes de Marden contre le discours puriste au sein du modernisme. L’indubitabilité du plan pictural Les œuvres de Marden antérieures à 1985, d’un caractère plat et solide, se distinguent par leur recherche d’une sensibilité littéraire et spirituelle dans la quotidienneté. Les panneaux monochromes de Marden de la fin des années 1960 aux années 1970, dépourvus d’ornement, donnent l’impression de n’être qu’objets, ce qui facilite le libre déploiement de l’imaginaire du Jusqu’au milieu des années 1980, Marden affectionnait les plans aux couleurs sombres, et ses panneaux avaient souvent la taille d’un être humain. À ses peintures à l’huile, il ajoutait de la cire d’abeille afin de réduire la luminosité des couleurs, une technique héritée de Johns et qui, à l’origine, servait à accélérer la vitesse de séchage de la peinture à l’huile, permettant de ce fait l’ajout d’une nouvelle couche de peinture sans que la précédente ne soit À partir du milieu des années 1970, alors que Marden passe ses étés avec sa famille sur l’île d’Hydra, dans la mer Égée, il commence à s’inspirer de l’architecture et de la mythologie Dans The Grove Group I 1972-1973, Museum of Modern Art, New York, une toile gris-vert montée sur un cadre d’environ sept centimètres de profondeur, l’épaisse texture des couleurs évoque la terre, la mer et le ciel de la Méditerranée, ou l’amalgame de tons caractéristique d’une oliveraie située sur une terre aride. Une impression d’épaisseur est produite par les couches de fond apparaissant au bas de la peinture. L’opinion de Marden selon laquelle l’art a pour objet non pas la sociologie ou la critique, mais bien la vie elle-même, et qu’il devrait donc emprunter ses formes à la nature, s’apparente à l’esthétique essentialiste de Harold Osborne, dont les théories artistiques furent très influentes dans le domaine de l’éducation de l’art entre les années 1950 et Osborne scinde l’art occidental en trois catégories – les arts utilitaire, naturaliste et formaliste –, et présente les six principes de peinture développés par Xie He c. 479-502. Selon lui, la recherche de lois structurelles de Mondrian se rapproche conceptuellement de la peinture Osborne adhère aux théories formalistes de Clive Bell et de Roger Fry, qui s’attachent aux principes formels de la peinture et à l’expérience esthétique. Or, selon Fry, les arts chinois prêtent particulièrement attention à l’équilibre de la composition. Il identifie trois caractéristiques de l’art chinois la linéarité du rythme, la continuité du rythme et la rotondité des L’accent que Fry met sur le caractère primitif de l’art chinois s’inscrit dans la continuité de ses théories artistiques symbolistes. Régulièrement, Marden joignait plusieurs panneaux de bois dans le but de représenter des thèmes grecs, créant des espaces architecturaux réels ou imaginaires grâce aux transformations des tonalités. Une de ses peintures en forme de montants et linteau post and lintel paintings ayant suscité beaucoup d’intérêt, Thira 1979-1980, Musée national d’art moderne, Paris est composée de dix-huit panneaux de bois monochromes évoquant le mythe grec de la victoire de Thésée sur le Minotaure de Crète. Plusieurs aspects formels de cette œuvre proviennent du palais minoen de Cnossos et du style architectural dorique Fait intéressant, Thira est homonyme de thyra, qui signifie porte » en grec. Or, chaque panneau de bois coloré, une fois joint aux autres, provoque une altération de l’espace visuel au sein duquel l’intérieur et l’extérieur semblent interchangeables. Marden affirme que l’effet produit par les couleurs et les espaces de Thira est une réaction au dogme moderniste La peinture moderniste a trait à la façon dont les couleurs surgissent plus près de la surface et à la manière dont cette technique affecte l’observateur ».9 Dans les œuvres grecques » de Marden, l’architecture et l’espace forment les deux thèmes Dans ses peintures en forme de montants et linteau, Marden arrive à créer, grâce à des mélanges de tons, un sentiment d’espace et de corporalité de la muraille stimulant l’imagination du spectateur, ce qui met en évidence le caractère indubitable du plan pictural. La quotidienneté, l’expérience visuelle, les allusions littéraires, l’imaginaire, voire la quête spirituelle, sont des thèmes que Marden tente d’expliciter dans les œuvres décrites plus haut. Marden lui-même admet qu’il ne s’est jamais réellement intéressé au purisme. Ainsi son image plane » peut-elle être interprétée comme une relation à plusieurs niveaux entre le plan et l’image, incorporant à la fois temporalité et spatialité. Afin d’insuffler de la vie à l’art pictural, il transcende les frontières spatio-temporelles et cherche une solution au sein des cultures asiatiques, entamant une exploration de l’univers poétique et calligraphique chinois. La transposition empathique des poèmes classiques de la Chine Des premières œuvres chinoises » de Marden, inspirées de la poésie de Du Fu 杜甫710-770 et de Han Shan 寒山 627-649, se dégage une sensibilité littéraire L’album Etchings to Rexroth comporte les traductions anglaises de trente-six poèmes de Du Fu, et vingt-cinq gravures à l’eau-forte. Chaque gravure, mesurant 49,5 par 41 centimètres, peut être considérée une œuvre à part entière d’elle-même. Fig. 1, 2.12 Les aspects figuratifs de ces gravures abstraites se rapprochent aux toiles de Jackson Néanmoins, le rapport entre les gravures de cette série et les traductions des poèmes de Du Fu produisent un effet d’intertextualité aux degrés multiples. Rexroth, une des personnalités phares de la renaissance littéraire de San Francisco des années 1950, est aussi considéré comme l’un des pionniers de la beat generation. Ses œuvres évoquent un amalgame entre les poésies de Du Fu, de D. H. Lawrence et de Stéphane Au début des années 1920, il participe activement au mouvement littéraire d’avant-garde de Des années 1920 aux années 1930, il se lance activement dans les mouvements littéraires et politiques de gauche de San Francisco, formant un groupe bohème composé d’artistes À travers ses traductions, Rexroth s’efforçait d’offrir un abrégé des classiques littéraires provenant de langues diverses. À l’instar d’Ezra Pound, ce sont les haïkus japonais qui lui ouvrent une porte d’entrée dans l’univers poétique chinois, mais contrairement à Pound, Rexroth préfère Du Fu et Li Qingzhao 1084-1156 à Li Po 701-762. Par l’entremise de Witter Bynner, Rexroth fit la connaissance d’un étudiant chinois de l’université de Chicago qui l’assista dans ses projets de traduction pendant l’hiver de 1926. Les traductions de Rexroth n’avaient certes pas pour objectif de restituer fidèlement le style et le contenu du texte original, mais bien de transposer son essence, telle que ressentie par le traducteur, au sein du contexte de l’époque. Rexroth, pour qui les poèmes de Du Fu forment un modèle de vie et d’art, soutient que les œuvres poétiques de Du Fu sont à même de répondre à la question quel est la raison d’être de l’art »?17 Les traductions vernaculaires de Rexroth transposent un langage chinois apparaissant aux premiers abords obscur en un anglais dépouillé, accentue ainsi la vivacité de la langue chinoise plutôt que l’ornementation de sa forme. Afin d’opposer les valeurs dominantes de la société industrielle, les poètes san-franciscains du milieu des années 1950 mettent plutôt l’accent sur le côté performatif de la poésie ainsi que sur la participation du public. La lecture de poésie en public, florissante dans le San Francisco du milieu des années 1950, se veut un retour en direction d’une vision tribale de la poésie tentant de restituer la relation du poète et de son audience d’avant l’avènement de l’ Lors de ces récitations, les poètes utilisent diverses techniques de lecture, telles que l’emploi de la tonalité propre au prophète, d’une rhétorique intensifiée, d’un accompagnement musical ou d’une alternance entre pause et transition. Par comparaison, les lectures offertes par les poètes de la côte est sont très accomplies, mais leur style de récitation s’avère généralement plus conservateur. Le concept de distanciation » élaboré par le courant du New Criticism avait jadis poussé le poète à s’exiler hors du poème, alors qu’à travers la performance, le poète réapparaît de façon concrète au sein de Pour Rexroth, la traduction de poèmes chinois était, dans le contexte de l’époque, une question de vie ou de mort. Il apprécie l’ouvrage Science and Civilisation in China 1954, 1959 de Joseph Needham, selon qui la science chinoise aborde le naturel par empathie la nature y est perçue comme une non-intervention outrepassant le domaine des lois scientifiques, alors que l’univers se veut un réseau de corrélation au sein duquel l’homme et ses désirs ne représentent qu’un des nombreux Rexroth déplore que le système juridique de l’Occident moderne ne garantisse pas nécessairement une libre pensée politique. Rexroth faisait référence certainement à la situation des immigrants d’origine chinoise et japonaise de l’Amérique d’après-guerre. La Loi sur les origines nationales National Origins Act de 1924 définie toute personne de descendance asiatique à l’intérieur des frontières américaines comme un étranger. Le Conseil de contrôle d’État State Board of Control de la Californie évoque pour sa part la logique des différenciations raciales et l’impossibilité d’une assimilation réelle pour exclure les immigrants Le 19 février 1942, soit un peu plus de deux mois après l’attaque sur Pearl Harbor de décembre 1941, le président Franklin Roosevelt rend public le Décret présidentiel 9066 autorisant les commandants militaires locaux à désigner des zones d’exclusion », déportant ainsi toute personne d’origine japonaise de la côte pacifique – ce qui inclue l’État de Californie dans son entier et la majeure partie des États d’Oregon et de Washington – vers des camps de Participant activement dans le milieu politique, Rexroth fonde, avec quelques amis, le Comité américain pour la protection des droits civiques des citoyens américains d’origine orientale American Committee to Protect the Civil Rights of American Citizens of Oriental Ancestry. Or, c’est précisément à cette époque qu’il entreprend la traduction de poèmes japonais et À partir de 1943, avec l’abrogation de la Loi d’exclusion des Chinois Chinese Exclusion Act, 1882, les restrictions contre l’immigration asiatique appliquées par le gouvernement fédéral se relâchent sensiblement pour ce qui est des immigrants chinois, philippins et indiens, et ce jusqu’à ce que la Loi de McCarran-Walter McCarran-Walter Act de 1952 ouvre la porte, sous certaines conditions, à l’immigration asiatique, développant par le fait même une politique ayant pour but d’intégrer les nouveaux arrivants asiatiques et africains au sein de la vie politique et sociale des L’hostilité du gouvernement fédéral et du peuple américain envers les citoyens d’origine japonaise ne se dissipèrent que graduellement après la guerre. Certaines traductions de poèmes de Du Fu par Rexroth sont imprégnées du contexte socio-politque de l’époque. Travelling Northward, par exemple, est une traduction d’un court extrait du poème Expédition vers le nord 北征, ici traduit du chinois de façon plus littérale Otus criant dans le mûrier jaune, mulots creusant en désordre une cavité; passant par un champ de bataille au cœur de la nuit, une lune froide éclaire les os blanchis » Screech owls moan in the yellowing / Mulberry trees. Field mice scurry, / Preparing their holes for winter. / Midnight, we cross an old battlefield. / The moonlight shines cold on white bones ». À la lecture, la traduction semble plutôt faire référence au contexte de la guerre froide en Asie, évoquant chez le lecteur l’image d’os blanchis de soldats morts pendant la guerre de Corée 1950-1953, ou alors celle d’un massacre d’une population civile. Le nous » de la traduction anglais fait peut-être référence au poète-guerrier ou à tout autre voyageur brossant un tableau des images et sonorités fragmentées d’un champ de bataille septentrional. En résumé, les traductions de poèmes chinois et japonais par Rexroth se veulent une recherche de l’universalité des cultures de l’Asie de l’Est. À travers la diversité ethnique particulière à la côte ouest américaine, Rexroth parvient à explorer un peu plus en profondeur la vigueur de la littérature chinoise, et, faisant appel à la sensibilité du lecteur contemporain, il arrive à faire ressortir le côté foncièrement créatif du processus de traduction. L’écriture transculturelle glyphe, graffiti et lettres La plupart des gravures dans Etchings to Rexroth s’apparente à des formes abstraites d’écriture, de figures et de paysages. Or, la méthode employée par Marden pour représenter les poèmes traduits se rapproche des techniques de traduction développées par Rexroth c’est-à-dire que dans le processus créatif, l’interprète se doit de s’identifier à son sujet. L’origine de l’intérêt professé par Marden pour la calligraphie chinoise se situe au carrefour de la vie et de la création. Son épouse Helen étant éprise des cultures de l’Asie, Marden fait durant l’été 1984 un tour de l’Asie d’une durée de deux à trois mois avec elle et ses deux filles, et se découvre un intérêt marqué pour la calligraphie orientale. Vers la fin de 1984, il s’inspire plutôt de la calligraphie japonaise, après avoir vu l’exposition organisée par la Asia Society de New York et par la Japan House Le catalogue de cette exposition aborde également le sujet de l’art calligraphique chinois, notamment dans un texte de John Hay faisant remarquer que la vitalité d’une œuvre calligraphique prend corps par l’entremise du pinceau et des traces d’ Pour Marden, l’art calligraphique d’Asie se veut une pure expression de formes évoquant vitalité et N’ayant jamais étudié le mandarin, il s’en remet aux vues d’Ezra Pound, selon qui il est possible de saisir l’essence de la langue chinoise en gardant un esprit Suivant la tendance de l’art américain postérieure aux années 1960, Marden perçoit essentiellement la création artistique comme un acte Il est toutefois fasciné par les poèmes chinois traduits par Il apprécie également l’ouvrage de Georges Rowley sur la peinture chinoise, qui avance l’idée que les Chinois ont une attitude face à la vie plus artistique que religieuse, philosophique ou scientifique. Selon Rowley, l’écriture chinoise est une langue idéographique défiant toute définition précise; une écriture de l’imaginaire » plutôt qu’un outil Influencé par la mode des graffitis dans le métro new-yorkais, il commencer à partir de 1986 à fonder ses dessins au trait sur des glyphes, ajoutant graduellement différentes couches de couleur aux tons variés. Alors qu’entre 1985 et 1987, Marden perçoit essentiellement la calligraphie comme une forme de peinture plutôt que d’écriture, il s’efforce graduellement de saisir la composition des caractères chinois en suivant l’ordre de leurs traits, et acquiert une compréhension nouvelle de l’art calligraphique qui se rapproche beaucoup plus, selon lui, de l’énergie réelle de l’écriture Dans ses œuvres composées de glyphes de 1986, et tout particulièrement dans Etchings to Rexroth, Marden consolide ses liens avec l’expressionisme Selon lui, les traits de ces œuvres s’apparentent aux ossatures de ses premières Ce nouveau type de dessin au trait, qui laisse transparaitre à la fois ce qui était et ce qui n’était pas envisagé par l’artiste, ressemble à des idéogrammes car à mi-chemin entre spontanéité et contrôle. Comparé à ses toiles précédentes, peintures à huile plus massives, elles évoquent plutôt une anatomie de la peinture. Dans son album Etchings to Rexroth, Marden s’inspire à la fois de l’architecture grecque classique, de l’alchimie ainsi que de la poésie et de la calligraphie chinoises afin de relier symboliquement l’être humain à la nature, la personne à son destin et le monde laïque au spirituel. Les gravures des première et deuxième pages de l’album simulent une forme d’écriture ou de calligraphie dont chaque caractère se veut indépendant des autres au niveau spatial. Ces deux gravures, aspirant à reproduire l’acte d’écriture d’un poème chinois et le flot d’énergie qui lui est propre Fig. 1, 2, correspondent peut-être aux deux premiers poèmes de l’album ayant pour thème l’écriture. Dans sa traduction du premier poème, intitulé Banquet au manoir de la famille Zuo 夜宴左氏莊, Rexroth compare la création poétique à l’escrime, à une rivalité entre deux hommes de l’aristocratie, tout en associant le poème au style de vie d’un La traduction anglaise du poème fait référence à un concours poétique, ce qui fait écho à la récitation performatif de poèmes par Rexroth à San Francisco. La relation entre Etchings to Rexroth et les graffitis mérite d’être étudiée en profondeur. En effet, les dessins au trait de Marden possèdent une valeur rituelle pouvant s’apparenter à celle du graffiti. Marden admet lui-même s’identifier à l’art new-yorkais, ce qui démontre le lien étroit qu’il entretient avec le thème de l’espace urbain. Les graffitis du métro new-yorkais se veulent, depuis le début des années 1970, l’expression d’une sous-culture de jeunes artistes se qualifiant eux-mêmes d’ écrivains » writers. Dans un premier temps, leur art se concentre sur des dessins au trait, et ce n’est que plus tard que des tons de couleur y sont La forme des graffitis varie du tag cursif à la pièce piece multicolore. Mais différents styles de graffiti peuvent également se référer à des groupes ethniques distincts, ce qui reflète le caractère interculturel propre à une société d’immigration. À partir du milieu des années 1980, le débat ayant trait au graffiti dans la région de la baie de San Francisco s’est axé sur le droit d’usage de l’espace public par des groupes défavorisés, ainsi que sur le conflit entre propriétés publique et Dans le contexte new-yorkais, les traces simulant l’écriture chinoise que Marden abandonne sur les pages s’apparentent à un vestige d’une représentation théâtrale intime. Une marque est laissée par le corps en mouvance de l’artiste, tel un graffiti d’adolescent, en réponse à la mode des critiques d’art de l’époque s’opposant à la peinture. L’album Etchings to Rexroth semble faire référence également à l’histoire de l’écriture poétique en Californie. Marden avait lu les traductions des poèmes de Han Shan par Gary Son intérêt pour la calligraphie est-asiatique vient de Helen, qui a grandi en Californie. Dans sa carte 13 Helen’s Valentine 1986, Marden s’inspire de la calligraphie chinoise pour célébrer son union avec Helen, créant deux silhouettes dansantes à partir de formes d’écriture rudimentaires. Évoquant une gamme de sentiments complexes, ces traces calligraphiques indistinctes, telle une confession saccadée ou tel un ancien poème mural 題壁詩, ne se laissent interpréter aisément. Au sein de la poésie de la dynastie Tang, la tradition chinoise de poésie murale se veut principalement la trace d’une visite à un ermite. Le deuxième poème de l’album, intitulé Écrit sur le mur de l’ermitage de Zhang Written on the Wall at Chang’s Hermitage, 題張氏隱居, est précisément un poème mural comparant la retraite libre d’un ami au désenchantement du poète. Au dix-septième siècle, en Chine, la poésie murale devient un moyen d’exprimer la mélancolie du poète et d’offrir aux générations futures la possibilité de lui rendre hommage à travers le partage d’une peine transcendant les frontières En Californie, les vestiges de poèmes muraux découverts en 1970 témoignent de la mémoire de la communauté chinoise. Entre 1910 et 1940, suite à la mise en œuvre de la Loi d’exclusion des Chinois, environ 175 000 immigrants d’origine chinoise furent détenus pour interrogation à Angel Island dans la région de San Francisco. Bon nombre d’entre eux gravèrent des poèmes dans les casernes de bois afin d’exprimer leur affliction ou leur mécontentement envers le gouvernement américain. Cependant, ces poèmes muraux étaient perçus par les représentants gouvernementaux comme un dommage causé de façon illégale à la propriété publique. En 1983, sous la pression de groupes d’immigrants d’origine asiatique, la Station d’immigration d’Angel Island fut désignée Site historique national ».40 Suite à la publication des poèmes muraux du lieu, une série de débats publics reliés aux communautés d’origine asiatique L’écriture chinoise dans le contexte américain acquiert alors un sens de tragédie transculturelle, plus visuelle que verbale. À travers les œuvres d’une grande théâtralité de Rexroth et Marden, l’engagement du spectateur-lecteur est sollicité. Face à la neige Dui xue 對雪 dépeint une situation semblable à celle de l’impuissance du détenu mentionnée plus haut En provenance de nombreuses préfectures, les nouvelles ont cessé ; je m’assieds, soucieux, écrivant dans le vide » 數州消息斷,愁坐正書空Shu zhou xiaoxi duan, chou zuo zheng shu kong. La traduction de Rexroth semble faire référence à un lieu où la liberté d’expression serait absente Partout, les hommes parlent à voix basse; / Je rumine sur la futilité des lettres » Everywhere men speak in whispers / I brood on the uselessness of letters ». Confrontés à un même rapport au tragique transcendant les frontières spatio-temporelles, l’affinité empathique ressentie par le poète et le peintre met en valeur la liberté d’expression et suggère une réinterprétation du concept d’autonomie artistique. En partant d’une fascination singulière pour les caractères chinois, Marden s’inspire graduellement de l’écriture ossécaille, des inscriptions sur tablette, des gravures et des impressions chinoises. Or, sa tendance à mettre l’accent sur l’aspect visuel des caractères chinois se veut en continuité avec la tradition orientaliste de l’Europe du dix-neuvième siècle. Les sinologues de cette époque percevaient l’écriture alphabétique comme le produit d’une culture ayant atteint un niveau civilisationnel élevé, alors que la nature intrinsèquement visuelle des idéogrammes chinois démontrait, selon eux, comment ces derniers demeurent près de l’origine des choses. L’écrivain américain Ralph Waldo Emerson voyait par exemple dans l’écriture chinoise une langue naturelle aux prédispositions Mais la particularité de Marden se situe au niveau de son appréciation profonde de l’universalité des poèmes de Du Fu en tant que sujet parlant. Par conséquent, il tente de transposer visuellement les poèmes de Du Fu par l’entremise d’un art abstrait et contemporain, qui ne se limite guère à une description d’un exotisme et incorpore certains éléments distinctifs de la peinture figurative. Marden produit, entre 1987 et 1991, une série de six peintures à l’huile intitulée Han Shan, dont les caractères simulés s’apparentent à la calligraphie cursive dite sauvage » de l’Autobiographie du moine Chan Huaisu 懷素 725-785. Alors que les caractères des deux premières toiles évoquent des figures humaines dansantes, les quatre toiles suivantes tentent plutôt de révéler le rapport entre les traits sinueux et le fond pictural, et de mettre ainsi en lumière le processus de réflexion – de l’épuisement à l’ouverture – propre à la méditation de type Chan zen pratiquée de façon assise devant un mur Fig. 3.43 Il est possible que Marden ait utilisé le pouvoir émancipateur de l’écriture chinoise afin de communiquer la liberté de l’artiste. L’écriture chinoise et l’hétérogénéité du modernisme Pour la critique d’art américaine d’après-guerre, la sensibilité littéraire de la poésie et de la calligraphie chinoises, dans leur rapport à l’avant-garde, se trouvent en position d’altérité ou alors d’hétérogénéité. Ici, l’altérité se réfère à un autre inassimilable, alors que l’hétérogénéité est en lien avec la diversité culturelle propre au mode de vie moderne. En fait, certains critiques d’art contemporains perçoivent les œuvres de Marden comme une référence passagère à la poésie et à la calligraphie chinoises. Selon Yve-Alain Bois, la technique séquentielle de ses peintures comme basée sur une temporalité fragmentée plutôt qu’un processus d’écriture ou de croquis allant réellement de l’avant, et les effets picturaux produits par les symboles textuels de ces œuvres seront analogues à la structure interne du corps Ces arguments se veulent en continuité avec les vues de Clement Greenberg. Pour ce dernier, chez Franz Klein et Mark Tobey le rapport entre les dessins au trait purs et la calligraphie chinoise est dû à un concours de circonstances, car l’expressionisme abstrait se veut un produit interne à la tradition artistique Dans les années d’après-guerre, Greenberg élabore un formalisme accentuant le cloisonnement entre les genres artistiques et l’exclusivité de leurs moyens matériels En revanche, l’historien de l’art Meyer Schapiro estime que l’art moderne est né dans les années 1830 et que les œuvres relevant de cette catégorie se caractérisent par leur capacité à relever le défi d’accueillir toute nouvelle possibilité et à intégrer l’expérience, les connaissances et les concepts particuliers à leur Peter Bürger tient à distinguer entre modernité et avant-garde, affirmant que l’esthétisme de la fin du XIXe siècle a su développer une indépendance artistique, et qu’ainsi, il a suscité la réaction de l’avant-garde du début du vingtième siècle qui s’est efforcée de renouveler la recherche d’un rapport entre art et Depuis le milieu des années 1970, le postmodernisme américain, dans son maintien d’une sensibilité futuriste caractéristique de l’avant-garde, se rapproche des différents mouvements, des personnalités phares et des intentions de l’avant-garde européenne du début du vingtième Le postmodernisme américain des années 1970 se trouve en fait à représenter une sous-catégorie du modernisme, alors que jusqu’au milieu des années 1980, le postmodernisme devient, grâce à la participation d’intellectuels européens, la face la plus contestatrice de la En résumé, la structure ouverte de l’art d’avant-garde entraîne l’hétérogénéité de l’œuvre, que ce soit au niveau de sa forme ou de son contenu. Du fait, l’usage d’éléments artistiques provenant de cultures diverses, qu’il s’appuie sur la quête de l’hétérogène du modernisme ou non, laisse transparaître un examen de soi chez l’artiste. De la fin de la Seconde Guerre mondiale aux échecs subis par les troupes américaines lors de la Guerre du Vietnam en 1961, l’orientalisme devient un problème social et artistique majeur. Durant cette période, dans le but de promouvoir l’expansion américaine à travers le monde, les leaders américains d’une certaine idéologie propre à la guerre-froide supportent le multi-ethnisme et le multi-culturisme. Tout particulièrement durant l’époque post-McCarthy, la politique étrangère des États-Unis passe, de 1953 à 1959, d’un certain isolationnisme à une politique d’intégration culturelle mettant l’accent sur l’Asie et s’inspirant du Front populaire de l’Union soviétique afin d’établir une communauté La politique de la guerre-froide a pour mission d’exporter la culture populaire américaine plutôt que d’assimiler les cultures d’Asie au sein de la société américaine. Influencés par la poésie moderne, les artistes euro-américains commencent, après le milieu du vingtième siècle, à apprécier le caractère visuel des idéogrammes chinois et à s’inspirer de la poésie et de la calligraphie Franz Klein s’approprie le trait blanc volant, il passe d’une démonstration de la puissance de l’action unique à des plans picturaux noirs et à des espaces expansifs et ouverts. D’un côté, la diversité des médiums artistiques s’amplifie, alors que d’un autre côté, l’écart formel entre les traits et le plan pictural permet une variété encore plus grande d’interprétations des œuvres, ce qui les délivre des limites intrinsèques d’une perception unique et homogène. Pour Rexroth, les connotations humaines chez Tobey ont su absorber l’influence des traits calligraphiques chinois, mais le manque de profondeur de cette influence les empêche d’atteindre la sérénité des peintures de paysage de la dynastie Song et des œuvres zen En 1957, Rexroth recommande, dans le magazine The Nation, un ouvrage de Mai-mai Sze intitulé Le Tao de la peinture,54 qu’il voit comme un excellent ouvrage d’initiation. Cependant, il regrette que le second volume, Le manuel de peinture du jardin de graines de moutarde, ne propose que des formes de base Dans son ouvrage d’introduction à l’art, Osborne consacre un chapitre à la peinture chinoise qui d’emblée évoque le concept confucéen de ren la vertu d’humanité, et explique que le tao la voie fait référence à l’ordre quasi-moral de l’univers. Il cite également l’introduction du Tao de la peinture de Sze, qui fait remarquer que la peinture ne se veut pas une profession en Chine, mais bien un art de Les traductions de poèmes chinois ayant pour thématique la vie d’ermite par les poètes de San Francisco visent à s’opposer à l’idéologie dominante. Les poèmes de Han Shan traduits par Gary Snyder, qui ont pour thème la force de la nature et l’introspection, sont particulièrement populaires parmi les auteurs de la beat generation. Vers 1955, Rexroth et Snyder deviennent les principaux représentants de l’introduction de la poésie classique chinoise au sein de la population américaine. Leur méthode de traduction se fonde donc sur une intégration culturelle à double-sens. Quoique les poètes du San Francisco retiennent surtout l’intégration de l’individu au sein de son environnement, chacun d’entre eux aborde différents aspects de la relation entre humain et nature. Les poètes de paysages naturels tels que Rexroth et Snyder explorent les régions sauvages de diverses manières. Rexroth aime à intégrer certains éléments historiques à ses biographies, et excelle tout particulièrement dans son interprétation historique des paysages. Il joue ainsi le rôle du philosophe errant, percevant la façon avec laquelle le monde naturel reflète le monde Pour sa part, Snyder pense que la poésie doit être ancrée dans la vie culturelle d’une communauté et que cette vie culturelle encourage – et fait écho à – la prise de conscience, parmi la communauté, de sa propre assise au sein de l’environnement naturel. Pour cette raison, le poète doit observer la nature du point de vue de la politique et de la culture. Le traducteur-poète devient ainsi médiateur de l’altérité de la En d’autres termes, pour les poètes san-franciscains, la ville, la nature ainsi que les cultures de l’Asie sont toutes à l’origine d’une culture plurielle ainsi que d’une certaine hétérogénéité. Et l’artiste doit ajuster sa création à l’origine de son inspiration. Dans le contexte orientaliste des États-Unis d’après-guerre, les discours se voulant plus compréhensifs ont tendance à attirer davantage l’attention des admirateurs d’art chinois au sein du grand public américain. George Rowley s’oppose au développement artistique occidental qu’il perçoit comme à sens unique, ce qui le pousse à explorer les formes et les thématiques de l’art chinois. Selon lui, les deux plus grandes influences sur la peinture chinoise furent les pensées taoïstes et confucéennes. La première inspira le contenu dynamique de l’art visuel chinois, ce qui résulta dans une recherche, au sein des formes, d’une certaine abstraction rythmique. Pour lui, l’art chinois met l’emphase plutôt sur le qi le souffle ou le jingshen l’esprit, et sa beauté formelle se situe au niveau de l’intégrité de son En employant un vocabulaire faisant consensus dans le monde des arts visuels modernes, la peinture chinoise décrite d’un point de vue empathique par Rowley passe donc d’une altérité inassimilable à un modèle artistique universel et concret. Les expositions récentes témoignent d’un point de vue nouveau sur l’interculturalisme. En 2002, la galerie d’art de l’Université de Boston présentait l’exposition Looking East Brice Marden, Michael Mazur, Pat Steir. Cette exposition réunit trois peintres vivant dans la région du grand New York afin de souligner combien, en comparaison avec la génération d’expressionnistes abstraits d’après-guerre, l’hybridité de leurs méthodes laisse transparaître certains éléments de calligraphie chinoise tels qu’ils ont été intégrés au modernisme américain du début du vingtième En 2009, le Guggenheim organisait une rare exposition à grande échelle, The Third Mind American Artists Contemplate Asia, qui valorise l’esprit tiers né de l’interaction culturelle entre Orient et Occident, tout en portant une attention particulière à l’art japonais. Le peintre new-yorkais Ad Reinhardt, à titre d’exemple, s’efforce de réduire à l’extrême ses plans picturaux de façon à ce que le contenu se transforme d’une vision momentanée en une temporalité continue généralement associée à la phénoménologie. Il tâche de cette manière à rendre compte de la pérennité des cultures asiatiques, en se référant notamment aux vues du moine trappiste Thomas Pat Steir participe activement aux débats théoriques, d’abord en réaction contre le minimalisme dans les années 1970, et ensuite à travers une réflexion sur le Elle excelle dans la production d’images formées à partir d’une manipulation de l’écoulement naturel de la peinture qu’elle combine avec les gestes et mouvements propre à l’acte de peindre lui-même. Elle apprécie tout particulièrement les paysages mêlant eau et lumière. En 1985, ses œuvres commencent à mélanger le réalisme européen à l’imaginaire romantique de la Chine dans une œuvre intitulée Autumn The Wave after Courbet as though Painted by Turner with the Chinese in Mind Automne la vague d’après Courbet et comme si peinte par Turner avec un esprit chinois. Steir, s’approprie le thème des chutes d’eau chinoises, mais sans que la toile, dans son ensemble, ne sombre dans l’héroïsme De surcroît, Steir emprunte la méthode de Pollock et suspend fréquement de grandes toiles au mur, n’appliquant des coups de pinceau qu’après avoir éclaboussé la toile de peinture. Elle admet avoir été profondément inspirée par Derrida, et perçoit l’art visuel comme composé de deux aspects, l’un abstrait et l’autre narratif. Elle considère le titre de l’œuvre comme un des meilleurs moyens d’exprimer le côté littéraire de l’œuvre. Sa lecture des peintures de paysage chinois et japonais met l’accent sur l’expérience concrète de l’existence et du corps. Elle s’intéresse également à la poésie et perçoit la calligraphie comme étant à la fois écriture et forme, une théorie qui est en accord avec ses propres créations Pour sa part, Marden s’efforce plutôt de saisir le contenu figuratif et l’unicité de l’art chinois, tout en gardant un intérêt particulier pour les objets quotidiens. En développant la technique de transposition empathique déjà présente chez Rexroth, Marden intègre certains éléments de calligraphie chinoise à des formes situées à mi-chemin entre l’abstrait et le figuratif, et manifeste une acceptation de l’hétérogénéité propre au processus d’intégration culturelle. De cette manière, Marden a su s’affranchir du discours moderniste orthodoxe de la côte Est et, grâce à l’alternative que présentaient l’art et le style de vie de la côte Ouest, il s’est engagé dans une exploration de l’univers de la poésie et de la calligraphie chinoises dans Etchings to Rexroth. Par une fusion complexe de divers éléments, Marden invite le lecteur ou le spectateur de cette série d’œuvres à faire l’expérience de l’instantanéité. Faisant écho à Rexroth, Marden s’appuie sur les poèmes de Du Fu pour en faire son porte-parole » artistique. Marden ne cesse de puiser son inspiration dans les différentes facettes de l’art chinois, notamment dans sa série Han Shan, et s’inspire, dans les années 1990, des fresques de Dunhuang, des épitaphes de la dynastie Tang ainsi que des jardins de Suzhou, explorant de façon concrète les univers particuliers de différents poètes et diverses œuvres, y puisant certains éléments picturaux et les intégrant au thème grecque de The Muses 1991-1993, Collection Daros. De 2006 à 2007, il parcourt le monde, faisant sa première étape au Musée national du palais à Taipei, où il lui fut possible d’admirer, entre autres, les poèmes heptasyllabiques de Huang Tingjian 1045-1105. Dans sa série d’œuvres intitulée Letters, les traits établissent un rapport double entre forme et Dans la Second Letter Zen Spring, les traits entrelacés semblent former un cadre à maintes reprises, donnant ainsi une sensation de fuite et de résistance, en réponse au premier vers le parfum de fleur risque de bouleverser la contemplation du Chan » 花氣薰人欲破禪Fig. 4. Ainsi, Marden continue à rechercher une transformation de l’espace et des mouvements corporels à travers l’écriture et la calligraphie chinoises. Cette méthode a l’avantage de transcender les stéréotypes orientalistes présents au sein de la critique d’art américaine et de proposer une interprétation des cultures asiatiques beaucoup plus ouverte à la diversité. Dans l’album Etchings to Rexroth, Marden reproduit l’acte d’écriture et de lecture d’un poème et redécouvre ainsi les multiples connotations du modernisme. Une fois les symboles abstraits de l’album réunis, une multitude d’images imprécises se manifeste et interagit avec les poèmes, ce qui a pour effet de tisser des liens entre des poèmes originellement indépendants. Il semblerait qu’au sein de traductions de poèmes anciens dont le langage se veut limitrophe, ainsi qu’à l’intérieur d’une transposition d’images imitant l’écriture chinoise en marge du courant dominant de l’art euro-américain, se dégage un territoire au sein duquel le modernisme parvient à s’autocritiquer, notamment à travers une ouverture de son épistémè lui permettant de ne plus se limiter aux règles strictes des catégorisations artistiques. Marden met l’accent sur la relation d’entrelacs qui unie la lecture des poèmes à l’observation des œuvres d’art, et arrive à transformer le rapport entre les deux en une force créatrice hétérogène. Dans Cold Mountain V et Second Letter Zen Spring, le thème de la contemplation se présente comme une clôture imaginaire du champ pictural, alors que les traits calligraphiques composent des figures dansantes au rythme varié. Le transfert pictural de Marden acquiert ainsi une signification universelle en comblant le fossé entre histoire et contemporanéité. Ceci lui permet également de faire obstacle à toute domination d’une théorie artistique particulière, de dissiper le mythe de l’homogénéité culturelle présupposée par l’orientalisme, et enfin de reconstruire une expérience de vie qui puisse transcender les limites culturelles et les catégories artistiques. Liu Chiaomei Brice Marden, Cold Mountain V Open, 1989-91. Oil on linen, x cm. Robert and Jane Meyerhoff Collection, Phoenix, Maryland. Courtesy of the artist. Fig. 4 Brice Marden, Second Letter Zen Spring, 2006-2009. Oil on linen, 244 x 366 Marks Gallery, New York. Courtesy of the artist. Bibliographie Andre, Carl. 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[↩]Brenda Richardson, Brice Marden Cold Mountain, New York, 1992. [↩]Brice Marden et Kenneth Rexroth, Thirty-six Poems by Tu Fu Translated by Kenneth Rexroth, with Twenty-five Etchings by Brice Marden, New York, 1987 Thirty-six Poems by Tu Fu ci-après. Kenneth Rexroth, One Hundred Poems from the Chinese, New York, 1956, p. 3-38, 1-35; Love and the Turning Year One Hundred More Poems from the Chinese, New York, 1970, p. 62, 57. [↩]Jeremy Lewison, The Quest for Content Anselm Stalder, Helmut Federle, Terry Winters, and Brice Marden », dans Singular Multiples The Peter Blum Edition Archive, 1980-1994, éd. Barry Walker, Houston, 2006, p. 165-166. [↩]Donald Hall, Review », dans New York Times Book Section, 23 novembre 1980, p. 9. [↩]Kenneth Rexroth, An Autobiographical Novel, New York, 1964, p. 143-171; Leslie Fiedler, Review », in New York Herald Tribune Book Section, 6 mars 1966, p. 10; Modern American Literature, éd. 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[↩]Bradford Morrow, Introduction to the Poems », dans Brice Marden et Kenneth Rexroth, Thirty-six Poems by Tu Fu, [↩]Roger Daniels, Asian America Chinese and Japanese in the United States since 1850, Seattle, 1988. [↩]Brenda Richardson, Brice Marden Cold Mountain, p. 49, 51. [↩]John Hay, The Human Body as a Microcosmic Source of Macrocosmic Values in Calligraphy », in Theories of the Arts in China, éd. Susan Bush et Christian Murck, Princeton, 1983, p. 89; Yoshiaki Shimizu et John M. Rosenfield, Masters of Japanese Calligraphy 8th to 19th Century, New York, 1984, p. 33. [↩]Paul Gardner, Call It a Mid-Life Crisis », Art News, 934, avril 1994, p. 140-143. [↩]Lilly Wei, Talking Abstract », Art in America, 757, p. 83. [↩]Pat Steir, Brice Marden An Interview », in Brice Marden et Pat Steir, Brice Marden Recent Drawings and Etchings, New York, 1991; cité dans Richard Shiff, Force of Myself Looking », dans Plane Image A Brice Marden Retrospective, New York, 2006, p. 54. [↩]John Yau, An Interview with Brice Marden », dans Brice Marden, p. 54. [↩]George Rowley, Principles of Chinese Painting, Princeton, 1947; 1959, 2e éd., p. 3, 33. [↩]Jonathan Hay, An Interview with Brice Marden », dans Brice Marden Chinese Work, New York, 1998, p. 24-25. [↩]Klaus Kertess, Plane Image The Painting and Drawing of Brice Marden », dans Brice Marden Paintings and Drawings, p. 42-44. [↩]Paul Gardner, Call It a Mid-Life Crisis », Art News, 934, p. 142. [↩] As we write the candles burn short. / Our wits grow sharp as swords while / The wine goes round. When the poem / Contest is ended, someone / Sings a song of the South. And / I think of my little boat, / And long to be on my way ». Kenneth Rexroth, One Hundred Poems, p. 3, 1. Voici la traduction de Marquis dHervey-Saint-Denys Il craint que les flambeaux ne s’éteignent avant que le papier les ait reçus. / Chacun regarde sa large épée, et la verve s’accroît encore; / Les coupes se vident et se remplissent bien avant dans la nuit. / Enfin l’air du pays de Ou se fait entendre; on chante ce qu’on a composé; / Puis chacun regagne en bateau sa demeure, emportant un long souvenir ». Marquis d’Hervey-Saint-Denys, Poésies de l’époque des Thang, p. 118-119. [↩]Gregory J. Snyder, Graffiti Lives Beyond the Tag in New York’s Urban Underground, New York, 2009, p. 23-45; Jack Stewart et Regina Stewart, éd., Graffiti Kings New York City Mass Transit Art of the 1970s, New York, 2009. [↩]Nic Hill, Piece by Piece the History of San Francisco Graffiti, Documented [enregistrement vidéo], [États-Unis,] 2006. [↩]Gary Snyder, Cold Mountain Poems », Evergreen Review, août 1956; réimprimé dans Riprap and Cold Mountain Poems, Washington, 1958, p. 35-67. Ling Chung, Whose Mountain is This?—Gary Snyder’s Translation of Hanshan », Renditions VII, 1977, p. 93-102. [↩]Judith T. Zeitlin, Disappearing Verses. Writing on Walls and Anxieties of Loss », dans Writing and Materiality in China. Essays in Honor of Patrick Hanan, éd. Judith T. Zeitlin et Lydia H. Liu, Cambridge, Mass., 2003, p. 73-125. [↩]Gareth Hoskins, Poetic Landscapes of Exclusion Chinese Immigration at Angel Island, San Francisco », in Landscape and Race in the United States, éd. Richard H. Schein, New York, 2006, p. 95-111. [↩]Him Mark Lai, éditeur, Island Poetry and History of Chinese Immigrants on Angel Island, 1910-1940, Seattle, 1980. [↩]Robert Kern, Orientalism, Modernism, and the American Poem, New York, 1996, p. 62. [↩]Liu Chiao-mei, Writing on the Wall Brice Marden’s Chinese Work and Modernism », in Chinese Walls in Time and Space A Multidisciplinary Perspective, Ithaca, 2009, p. 413-420. [↩]Yve-Alain Bois, Marden’s Doubt », in Yve-Alain Bois et Ulrich Loock, Brice Marden Paintings 1985-1993, Berne, 1993, p. 19, 35, 37. [↩]Clement Greenberg, “American Type” Painting 1955», dans The Collected Essays and Criticism, vol. 3, Affirmations and Refusals, 1950-1956, éd. John O’Brien, Chicago, 1993, p. 227. [↩]Clement Greenberg, Towards a Newer Laocoon » 1940, in The Collected Essays and Criticism, vol. 1 Perceptions and Judgments, 1939-1944, edité par John O’Brian, Chicago, 1985, p. 23-38; Clement Greenberg, Modernist Painting » 1960, dans The Collected Essays and Criticism, vol. 4 Modernism with a Vengeance, 1957-1969, edité par John O’Brian, Chicago, 1993, p. 85-87. [↩]Meyer Schapiro, Recent Abstract Painting » 1957, in Modern Art 19th and 20th Centuries, New York, 1979, p. 213-232. [↩]Peter Bürger, The Significance of the Avant-Garde for Contemporary Aesthetics A Reply to Jürgen Habermas », tr. 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[↩]Harold Osborne, Aesthetics and Art Theory, p. 65. [↩]Michael Davidson, The San Francisco Renaissance, p. 14-17, p. 41-43. [↩]Robert Kern, Orientalism, Modernism, and the American Poem, p. 256-257. [↩]George Rowley, Principles of Chinese Painting, p. 4-8, 32. [↩]John Stomberg, Re-Orienting Modernism Brice Marden, Michael Mazur, Pat Steir », in Looking East Brice Marden, Michael Mazur, Pat Steir, Boston, 2002, p. 38-55, p. 71-74 [↩]Alexandra Munroe, Art of Perceptual Experience Pure Abstraction and Ecstatic Minimalism », in The Third Mind American Artists Contemplate Asia, 1860-1989, New York, 2009, p. 287-311. [↩]Thomas McEvilley, Pat Steir, New York, 1995, p. 16; Barbara Weidle, Interview with Pat Steir », in Pat Steir and John Yau, Dazzling Water, Dazzling Light, Seattle, 2000, p. 70-71. [↩]John Yau, Dazzling Water, Dazzling Light », dans Dazzling Water, Dazzling Light, p. 55-67. [↩]Doris von Drathen, Studio Conversations Pat Steir and Doris von Drathen; What do I see— What can I see? » dans Pat Steir Paintings, Milan, 2007, p. 29-44. [↩]Jeffrey Weiss, Correspondence », dans Brice Marden Letters, New York, 2010, p. 40-47. [↩] Télécharger l’article au format pdf. Article écrit par Ye Xin Maître de conférences à l’université Paris 8. Peintre, graveur et calligraphe Résumé Les jeux de texte-image pratiqués par les lettrés chinois tels Shitao, Ni Zan, Zhu Da et les artistes occidentaux moderne et contemporains comme Kandinsky, Matisse, Duchamp, Boltanski, Sophie Calle seront examinés ici en proposant de voir une concordance entre le jeu de texte-image de Matisse et la pratique picturale chinoise du lettré. Le caractère chinois porte à la fois la signification du texte et celle de l’image et que le trait de pinceau est essentiel autant dans la peinture que dans la calligraphie depuis le VIe siècle – ce qui n’est pas le cas en Occident. Entre l’écriture de l’image et l’image de l’écriture, nous envisagerons les différents rapports entre écriture et image conçus dans les deux mondes. Nous aborderons également le rapport image/texte à travers l’autobiographie, l’autofiction et le livre d’artiste et nous réfléchirons sur leurs différents statuts. Le livre d’artiste nous semble parfaitement représentatif d’une symbiose réussie entre image et écriture, voire entre Orient et Occident. Abstract The text-image games practiced by Chinese scholars such as Shitao, Ni Zan, Zhu Da and modern and contemporary Western artists such as Kandinsky, Matisse, Duchamp, Boltanski, Sophie Calle will be examined here by proposing to see a concordance between Matisse’s text-image game and the Chinese pictorial practice of the scholar. The Chinese character carries both the meaning of the text and that of the image, and the brushstroke has been essential in both painting and calligraphy since the 6th century – which is not the case in the West. Between the writing of the image and the image of the writing, we will consider the different relationships between writing and image conceived in the two worlds. We will also look at the relationship between image and text through autobiography, autofiction and the artist’s book and reflect on their different statuses. The artist’s book seems to us to be perfectly representative of a successful symbiosis between image and writing, or even between East and West. La langue du peintre Pourquoi après avoir écrit Qui veut se donner à la peinture doit commencer par se faire couper la langue ’, ai-je besoin d’employer d’autres moyens que ceux qui me sont propres ? »1 En 1947, Henri Matisse posait cette question dans l’introduction de son livre d’artiste Jazz fig. 1.2 Dans ce texte manuscrit d’environ quatre-vingts pages, qui accompagne les vingt images de ses papiers découpés, Matisse justifie le rôle d’image que l’écriture peut jouer en tant que fond sonore » de tableaux en couleur. Il livre dans le contenu de ce texte ses propres propos sur l’art mais aussi sur la vie d’un artiste. Fig. 1 Henri Matisse, Jazz, Paris, Édition Tériade, 1947. Cet excellent jeu de texte-image » conceptuel, à la fois intime et ouvert au public, peut être rapproché d’une ancienne pratique picturale chinoise, la peinture lettrée », caractérisée par l’association de la poésie, de la calligraphie et de la peinture dans une même œuvre réalisée par un même peintre. Cette tradition qui commence, selon les textes historiques, dès la dynastie des Tang vers le VIIIe siècle, s’épanouit sous les Song et se formalise comme langage courant sous les Yuan à partir du XIVe siècle. Dès lors, la peinture est figurative, elle représente des paysages et êtres vivants mais elle est fortement codifiée et allégorisée, tout comme des signes d’écriture. Ces codes, une fois appris par cœur par copie, permettent une peinture réalisée de manière spontanée. De plus, sur l’espace laissé vide dans la peinture, le peintre improvise son texte. Il note souvent les circonstances de la réalisation de l’œuvre, une poésie ou un commentaire technique ou esthétique personnel. La démarche du peintre lettré qui associe peinture et écriture peut être rapprochée de celle de Matisse lorsqu’il réalise Jazz. Selon une étymologie ancienne, le mot image devrait être rattaché à la racine de imitari. Nous voici tout de suite au cœur du problème le plus important qui puisse se poser à la sémiologie des images ». Dans Rhétorique de l’image, Roland Barthes pose la question La représentation analogique la copie peut-elle produire de véritables systèmes de signes et non plus seulement de simples agglutinations de symboles ? »3 Sa réponse est non. Le message linguistique est-il constant ? Y a-t-il toujours du texte dans, sous ou alentour l’image ? » Sa réponse est oui4 . Pour Barthes, toute image est polysémique », c’est le message linguistique qui sert d’ancrage et de relais ». Si la peinture, comme d’autres images, peut être un langage visuel », c’est la langue parlée ou écrite qui ancrerait ou relaierait un point de vue » à l’image vue, lui donnerait un sens5 Le mot idée » vient de chose visible », n’est-ce pas pour dire que sans vue on ne pense pas, mais que sans un cerveau avec une mémoire de l’expérience visuelle qui pense, les yeux regardent mais ne voient rien ? Comme les écrits sur la peinture ont besoin de la peinture pour exister, la peinture a besoin de l’écriture pour identifier son existence, ne serait-ce que la signature des artistes, le titre des œuvres, la technique, la dimension, la date de création, le lieu où elle se trouve, l’histoire, la critique, la légende. L’Unique Trait de Pinceau Matisse avait déjà avancé l’idée de se couper la langue » Vous voulez faire de la peinture ? Commencez alors par vous couper la langue, car désormais vous ne devez vous exprimer qu’avec vos pinceaux. »6 Si en Europe, ne s’exprimer qu’avec son pinceau » signifie uniquement peindre », ce n’est pas le cas en Chine, où depuis plus de trois mille ans, les Chinois peignent et écrivent avec un instrument unique le pinceau. Le caractère pinceau » en chinois vient d’un pictogramme composé de la main, qui tient une tige verticalement, la tige s’ouvre en trois poils qui symbolisent la tête de pinceau. Le caractère évoluera et s’écrira plus tard 聿 yu. C’est avec le même signe pinceau » qu’on compose le caractère 畫 hua trait de pinceau, tracé de la limite, dessiner, dessin, peindre, peinture et 書 shu écrire, écriture , lettre, livre, calligraphie. Des verbes aux noms, le signe pinceau » signifie en Chine à la fois le texte et l’image. Cet instrument unique a donné naissance à une esthétique commune à l’écriture et la peinture. Au début du IIe siècle, avec la calligraphie en style cursif apparaissent les premiers textes sur la beauté du trait de pinceau. Sur une image fixe de l’écriture, on admire un souffle vital » gestuel et Trois siècles plus tard, Xie He considère cette vitalité du tracé du pinceau, propre à la calligraphie, comme les deux premiers des six canons de la Depuis, le trait du pinceau, élément abstrait » de l’esthétique, est ancré dans la peinture comme dans la calligraphie. A la fin du XVIIe siècle, l’Encyclopédie de la peinture chinoise – Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un grain de moutarde de Wang Gai a réuni l’histoire, l’esthétique et les techniques d’expression propres au pinceau pour représenter le En même temps, Shitao a publié ses Propos sur la peinture de Moine Citrouille amère où il affirme sa théorie l’Unique Trait de Pinceau embrasse-t-il tout, jusqu’au lointain le plus inaccessible et sur dix mille millions de coups de pinceau, il n’en est pas un, dont le commencement et l’achèvement ne résident finalement dans cet Unique Trait de Pinceau dont le contrôle n’appartient qu’à l’homme »10. Le coup de pinceau fixe un geste de l’homme vivant, pour toujours. La facture du tracé La morale’ du dessin n’est pas celle de la photographie. » Dans Rhétorique de l’image, Roland Barthes distingue la représentation figurative du dessin et de la photographie. Il accorde beaucoup d’importance à la facture » du dessin qui selon lui, constitue déjà une connotation »11. Fang Erping, le traducteur de Barthes en chinois, utilise pour facture » le mot chinois bifa 筆法 littéralement manière méthode du pinceau ou crayon, plume ». Comme dans l’Unique Trait de Pinceau » de Shitao, Kandinsky s’intéresse aux différents éléments de la peinture », il les résume en Point et ligne sur plan. Selon lui, la ligne est la trace du point en mouvement, donc son produit »12 La peinture en Europe renonce peu à peu à son savoir-faire sur la perspective centrale, l’anatomie et l’effet clair-obscur. Après l’invention de la photographie, elle accentue de plus en plus le trait, la touche et la tache du pinceau. De l’impressionnisme au pointillisme, de Cézanne à Matisse, le coup pinceau l’emporte. S’exprimer avec le pinceau porte désormais aussi ce sens il ne s’agit plus d’une représentation exacte de la vision réelle illusoire en trompe-l’œil, mais d’une expression gestuelle où le coup de pinceau est en lui même signe plastique13. L’arrivée du stylo et du crayon au XXe siècle rompt en Chine cette culture de l’unique trait de pinceau », mais l’esprit graphologique » qui permet de sentir la personnalité, l’état d’esprit du calligraphe fonctionne toujours avec un stylo ou un crayon. Les mauvaises habitudes » ou les défauts » de l’écriture font le style d’un calligraphe, surtout quand il avance en âge. Certaines expressions anciennes reflètent cette idée, comme le texte c’est l’homme » wen ru qi ren 文如其人, l’écriture, c’est l’homme » zi ru qi ren字如其人, la peinture, c’est l’homme » hua ru qi ren畫如其人 et l’écriture vieillit avec l’homme » renshu julao 人書俱老. Si cet unique trait de pinceau » n’appartient qu’à l’homme », il représente aussi l’homme. Chaque tracé scriptural ou pictural a sa facture », c’est la facture » de chacun qui laisse son empreinte personnelle. Quand Ni Zan peint Les six Gentilshommes alors que l’empire subit la domination mongole en 1345, il utilise les arbres comme une allégorie pour exprimer sa dignité fig. 2. Trois cents ans plus tard, Zhu Da reprend le sujet sous la domination mandchoue en nommant son œuvre Les six Gentilshommes d’après Ni Zan en 1694, et grâce à une facture qui lui est propre, il réalise une une interprétation personnelle réussie fig. 314. Fig. 2 Ni Zan, Les six Gentilshommes, 1345. Musée de Shanghai. Fig. 3 Zhu Da, Les six Gentilshommes d’après Ni Zan, 1694. Musée Guimet. L’écriture de l’image Wang Genyan a dit On me demande qu’est ce qu’une peinture lettrée shifu hua? Ma réponse est un seul mot pour tout dire, c’est écrire xie. ’ Cette parole est très juste. Le caractère doit être écrit et non décrit, il en est de même pour la peinture. Une fois tombée dans la description, la peinture devient une manœuvre vulgaire. »15 Ainsi Wang Xuehao 王學浩 1754-1832 définit la peinture lettrée comme shifu hua 士夫畫», que l’on peut traduire par peinture réalisée par un mandarin ». Certains historiens ont compris ces propos sous l’angle social la peinture lettrée est celle réalisée par l’élite de la société, en opposition à la peinture des professionnels qui vivent de leur peinture. D’autres critiques les ont compris sous un angle plus technique il s’agit du style expressif xieyi 寫意, opposé au style minutieux gongbi工筆. Ces deux approches ne reflètent pas la réalité, car le style expressif n’est pas l’apanage du lettré et inversement les peintres dit lettrés » ont parfois préféré utiliser le style minutieux. De même, si on examine les chefs-d’œuvres de la peinture lettrée, on se rend compte que leurs auteurs ont souvent vécu de leur peinture, soit parce qu’ils n’ont jamais eu de fonction de mandarin, soit parce qu’ils l’ont perdue et doivent vivre de leur art16. Mais, à la différence des peintres officiels de la Cour ou des peintres artisans, ils cultivent une peinture personnelle, acquièrent une notoriété, même s’ils ne sont ni fonctionnaires, ni écrivains il en est ainsi de Zhu Da, Shitao ou Qi Baishi. Quand on parle de peinture écrite », quel est le rapport réel entre l’acte de peindre et celui d’écrire ? Peinture traditionnelle et calligraphie utilisent toutes les deux des signes appris par cœur, sans modèle, ni crayonné. Au début du VIIIe siècle, Wang Wei affirmait sur la voie de la peinture, la méthode de l’eau et de l’encre est suprême »17. Cette peinture monochrome permet aux hommes de lettres d’exploiter pleinement leur expérience de la calligraphie. Elle s’inspire de la codification de la calligraphie, du coup de pinceau et de la rapidité du tracé des fresques artisanales. Fortement liée à la pensée de la nature, cette peinture monochrome est fondée sur la représentation du paysage, mais aussi des fleurs, des oiseaux, des animaux et des personnages. À partir de l’observation de la nature, les peintres transforment leur vision réelle en signes picturaux » qui forment un langage codifié, mémorisé suite à un entraînement répétitif, comme pour l’apprentissage de l’écriture des caractères. Après la phase d’apprentissage de ce langage pictural codifié, la réalisation peut être instantanée et expressive. C’est le souffle vital » du tracé qui est alors apprécié a travers les figures. L’Encyclopédie de la peinture chinoise – Enseignements de la Peinture du Jardin grand comme un grain de moutarde de Wang Gai, traduit et commenté en français par Raphaël Petrucci, permet d’apprécier l’importance ce dictionnaire » de vocabulaire du langage de la peinture lettrée. Dans sa préface, Petrucci écrit L’abondance des renseignements qu’il apporte, philosophiques, historiques ou techniques en font un instrument de travail de premier ordre. » L’image de l’écriture Cette fois j’ai à présenter des planches de couleur dans des conditions qui leur soient les plus favorables. Pour cela, je dois les séparer par des intervalles d’un caractère différent. J’ai jugé que l’écriture manuscrite convenait le mieux à cet usage. La dimension exceptionnelle de l’écriture me semble obligatoire pour être en rapport décoratif avec le caractère des planches de couleur. … Ces pages ne servent donc que d’accompagnement à mes couleurs comme des asters aident dans la composition d’un bouquet de fleurs d’une plus grande importance. »18 Sur l’écriture qui accompagne l’image dans Jazz, Louis Aragon écrit dans Matisse, roman Peut-être jamais n’a-t-on mieux fait sentir la pauvreté de l’écriture, le caractère purement décoratif des mots… Et à chaque fois qu’éclatent les couleurs, j’éprouve, à les y comparer, la supériorité de la peinture comme langage sur toute autre expression de l’homme. »19 Aragon applaudit chez Matisse la supériorité de la peinture comme langage ». Cette bienveillance de l’écrivain envers son ami peintre, est touchante mais pas forcément convaincante si le texte de Jazz était écrit en couleur et si les papiers découpés étaient en noir et blanc, le rapport texte/image serait déjà différent. Il est vrai qu’avant d’être lue, l’écriture n’est qu’une image, une image abstraite ». En Chine, on considère que l’écriture est image de connaissance » ou reconnaissance » tushi 圖識, entre image de raison » tuli 圖理, comme les hexagrammes, signes symboliques du Yijing ou Livre des Mutations et image figurative » tuxing 圖形, comme peinture.20 Grâce a sa dimension linguistique, l’image de l’écriture est non seulement capable d’expliquer et donner un ancrage» au sens précis à l’image de raison » comme une formule de mathématiques par exemple et à l’image figurative » comme la peinture ou la photographie. De plus, l’écriture est capable de créer des images mentales » on dit en chinois image du cœur » xinhua心畫 , de décrire une scène, un sentiment… Mais si on ne connaît pas cette image de la langue, si on ne reconnaît pas cette écriture, on peut en rester au niveau visuel de l’image, se contenter d’en admirer l’allure du tracé, chercher la facture de tel ou tel écrivain comme pour la calligraphie ou beauté ou laideur pour la typographie. Matisse écrit dans la postface de Jazz J’ai fait ces pages d’écritures pour apaiser les réactions simultanées de mes improvisations chromatiques et rythmées, pages formant comme un fond sonore’ qui les porte, les entoure et protège ainsi leurs particularités. »21 Selon Aragon, il a bien réussi sur ce plan le texte manuscrit joue son rôle de fond sonore » entre les signes plastiques » allégoriques de Jazz. De même, les inscriptions sur les peintures figuratives des lettrés, si on les ne traduisait pas deviendraient un fond sonore, mais le sens échapperait au lecteur. Autobiographie Que puis-je écrire ? se demande Matisse pour Jazz. Je ne puis pourtant pas remplir ces pages avec des fables de La Fontaine, comme je le faisais, lorsque j’étais clerc d’avoué, pour les conclusions grossoyées’, que personne ne lit jamais, même pas le juge et qui ne se font que pour user quantité de papier timbré en rapport avec l’importance du procès. » Matisse renonce ici au rôle d’illustrateur et également au livre de peintre traditionnel » Il ne me reste donc qu’à rapporter des remarques des notes prises au cours de mon existence de peintre. Je demande pour elles, à ceux qui auront la patience de les lire, l’indulgence que l’on accorde en général aux écrits des peintres. »22 Si le livre d’artiste se distingue du livre de peintre », c’est parce que le livre d’artiste doit concevoir un texte/image original ». Au contraire, dans un livre de peintre » où le peintre illustre un texte déjà écrit avec sa langue coupée ! comme Matisse l’avait fait pour les Poésies de Stéphane Mallarmé 1932 ou les Poèmes de Charles d’Orléans 1950 avant et après Jazz. De Jazz de Matisse aux Mots pour Rire 1974 de Christian Boltanski23, en passant par le Journal intime 1979-1992 de Sophie Calle24 , le livre d’artiste en France est souvent un jeu à la première personne » – autobiographie ou autofiction, associant textes et dessins ou textes et photographies. Contrairement aux notes intimes des textes-images de Léonard de Vinci qui retracent ses idées sur la création, ses études artistiques ou scientifiques publiées seulement après sa mort, le livre d’artiste est conçu pour entendre la voix de l’artiste publiquement et raconter son histoire aux spectateurs, les toucher à travers une sorte de performance » intime ». C’est aussi ce qui caractérise les inscriptions des peintres lettrés chinois sur leurs peintures ils cultivaient, dès le XIVe siècle, des textes personnels », notaient le contexte de réalisation du tableau, des propos sur la peinture ou des poésies improvisées. Grâce à Jonathan Hay, nous disposons d’une intéressante biographie de Shitao, tirée notamment de l’analyse de près de deux cents textes de Shitao inscrits sur ses peintures. Sur chacune d’elles, Shitao a laissé des traces de sa vie et de sa vision du monde en textes et en images. Ces rouleaux et albums forment une sorte de livre d’artiste » dans lequel Shitao livre des fragments autobiographiques ». Hay les a rassemblés avec des repères historiques et des témoignages de ses contemporains pour reconstruire un Shitao en chair et en os », conscient que cet autoportrait comportait sans doute une part d’ autofiction » fig. 4. Il explique notamment comment un orphelin autodidacte, sans diplôme, ni salaire de fonctionnaire, a pu vivre de sa peinture lettrée. Hay dévoile à travers cette étude la modernité » de la peinture lettrée de la fin du XVIIe siècle25. Fig. 4 Shitao, Scruter les monts merveilleux pour trouver mon esquisse, 1691. Musée de la Cité Interdite, Pékin. D’après l’étude de Hay, Shitao avait demandé à des portraitistes anonymes de réaliser son portrait pour des peintures qu’il a qualifiées d’ autoportraits ». Dans ce cas, seuls les textes manuscrits de Shitao, où se retrouve sa facture graphologique, peuvent être considérés comme d’authentiques autoportraits ». Ce sont d’ailleurs ses calligraphies, considérées en Chine comme l’art suprême du pinceau car elles expriment l’intimité d’un artiste. Les plus grands chef-d’œuvres sont ainsi souvent des brouillons, comme la Préface du Lanting de Wang Xizhi, l’Éloge funèbre de Yan Zhenqing ou le Repas froid de Su Shi. Ils touchent par l’authenticité du premier jet et l’intimité du contenu souvent autobiographique. Les manuscrits de grandes personnalités peuvent aussi devenir des chef-d’œuvres tant par la calligraphie que par le contenu du texte. Ainsi pourrait-on considérer la Dernière lettre de Fu Lei, réalisée la nuit du 2 septembre 1966 avant son suicide avec son épouse, comme un des plus grands chef-d’œuvres calligraphique du XXe siècle fig. 5, 6, 726. Fig. 5, 6, 7 Fu Lei, Lettre ultime à Renxiu, manuscrit au pinceau, 1966. Collection privée. Du rouleau au livre Les œuvres calligraphiques et picturales en Chine se présentent et se transmettent sous forme de livre principalement en rouleau horizontal ou vertical ou album plié en accordéon », ce qui permet également de les rapprocher du livre d’artiste » tel qu’il est conçu en Occident. Comme les Égyptiens, les Grecs et les Romains utilisaient le papyrus pour leur premiers livres, les Chinois ont commencé par adopter des tablettes de bambou ou de bois tressé pour créer des livres en forme de rouleaux. Dès le début du IIe siècle, la découverte et le développement du papier permet l’apparition d’un nouveau support d’écriture et de peinture. La technique du montage sur rouleaux en papier et en soie apparaît au Ve siècle. Améliorée sous les Tang 618-907, cette technique atteint son apogée sous les Song 907-1279. En tant que rouleau plié, l’album en accordéon permet une transition vers les livres reliés. Grâce à cette forme mobile » d’œuvre d’art, de très anciennes traces picturales ont pu être préservées, à la différence des grandes fresques, qui ont disparu. Chaque rouleau ou album plié ancien est œuvre et archive historique de lui-même car il comporte le texte de son auteur, mais aussi des inscriptions et des sceaux des collectionneurs successifs, des critiques, des experts… Il peut également être remonté avec l’ajout d’une préface ou postface rédigées postérieurement. Contrairement à l’habitude prise aujourd’hui dans les musées d’exposer les rouleaux horizontaux entièrement déroulés, les rouleaux à main », étaient conçus pour une lecture de droite à gauche selon l’héritage de la lecture sur rouleau de tablettes à mesure qu’on déroule l’œuvre avec la main gauche, on la ferme avec la main droite. Lorsque le rouleau devient album plié, la lecture se fait en feuilletant les doubles pages. Une ouverture complète est également possible, l’album plié peut être exposé comme un paravent, forme adoptée aujourd’hui pour les créateurs du livre d’artiste. Bête comme un peintre » Je pensais qu’en tant que peintre, déclare Marcel Duchamp, il valait mieux que je sois influencé par un écrivain plutôt que par un autre peintre…, j’en ai assez de l’expression bête comme un peintre’. »27 Duchamp joue volontiers avec les mots. Dans L’aventure de l’art au XXe siècle, une page est consacrée au scandale de 1917 avec une photo de l’œuvre de Duchamp intitulée Fontaine. Cette œuvre ne peut être comprise que par l’écriture qui l’accompagne à la fois l’inscription notée sur l’œuvre R. Mutt » qui indique le nom du fabricant new-yorkais d’articles sanitaires, les légendes, le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, la date de création, le lieu de conservation mais aussi le texte de l’artiste Le cas Richard Mutt – Lettre ouverte aux Américains qui permettent de comprendre son art conceptuel. Matisse, lui, ne joue pas avec les mots, il est resté peintre, mais a gardé sa langue il a beaucoup parlé et écrit sur son travail. Même si l’écrivain André Breton estime en 1928 qu’il fait parties des vieux lions découragés et décourageants », il continue sa recherche de signes plastique » en peinture, sculpture, gravure ou papiers découpés, tout en s’exprimant par écrit et en parole tout au long de son carrière28 En Occident comme Chine, l’histoire et la théorie de la peinture ont commencé par être écrites par des peintres, puis les théoriciens, historiens et critiques d’art ont pris le pouvoir sur le discours. Delacroix s’est ainsi insurgé Le pauvre artiste, exposé tout nu avec son ouvrage, attend donc avec une vive anxiété les arrêts de ce peuple qui a la fureur de juger. »29. D’autres artistes, tel Picasso, pensent que le rôle du peintre est avant tout de se consacrer à sa peinture Il est vrai qu’on publie des anthologies de pensées d’Ingres et de Delacroix ; cela donne des frissons. Quelle pensée de Delacroix peut être mise en balance avec son Sardanapale ? »30 Les autres parlent, moi je travaille ! ».31 Pourtant Picasso a bien compris la valeur de l’écriture, un tableau n’existe que par sa légende et pas par autre chose », dira-t-il32. Au début du XXe siècle, la peinture lettrée est fortement critiquée en Chine par les artistes et éducateurs progressistes comme Xu Beihong. Ils remettent en cause le système d’une peinture trop codifiée, avec ses signes allégoriques et répétitifs, et surtout la méthode d’apprentissage par la copie, jugée trop éloignée de la réalité. Issu de cette tradition lettrée, Xu Beihong, après des études en Europe, notamment en France, est devenu un fervent défenseur en Chine du dessin réaliste occidental d’après nature. La peinture européenne avait déjà dépassé le défi de la représentation de la vision réelle quand Xu Beihong la découvrit en Europe. Matisse a été vivement critiqué par Xu Beihong en 1929 pour sa trahison » à la tradition picturale occidentale issue de la Paradoxalement, Xu Beihong n’a jamais abandonné lui-même sa pratique de la peinture lettrée. Il a gardé toute sa vie cet héritage traditionnel mais en l’adaptant à ses propres allégories, en créant ses propres signes picturaux issus du dessin d’après nature, en essayant d’introduire des notions d’anatomie, de perspective et des effets d’ombre et lumière dans ses encres comme dans ses huiles sur toile. Parmi les artistes choisis pour enseigner à l’École des beaux-arts qu’il a fondée à Pékin, on trouve les plus grands noms des peintres et dessinateurs qui ont expérimenté l’association du texte et de l’image, tel que Qi Baishi ou Ye Qianyu. Le retour à la maison À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, la Chine limite la liberté de parole individuelle pour privilégier la parole officielle et la pensée unique ». La Révolution culturelle a poussé cette idéologie totalitaire à l’extrême, laissant des séquelles jusqu’à aujourd’hui. Des examens de théorie politique sont ainsi encore obligatoires aujourd’hui à l’université et aux Beaux-Arts. Les étudiants ne croient pas aux bonnes réponses » qu’ils doivent apporter, mais ils jouent le jeu pour passer l’examen. Pourtant, la forme d’expression issue de la peinture lettrée reste présente. Ironiquement, dans un livre d’artiste, Liu Chunjie 劉春杰a inventé un jeu de mots en pensant individuellement » sixiangzhe 私想着 qui se prononce de la même manière que le mot penseur » sixiangzhe 思想者 pour s’élever contre la pensée unique et la langue du bois34 fig. 8. Fig. 8 Liu Chunjie, En pensant individuellement, livre d’artiste, Shanghai, Éditions Huadong shifandaxue, 2008. Un vieux proverbe chinois dit Quand on a un vieux balai utile à la maison, il vaut de l’or. » 敝帚千金 bi zhou qian jin Dans son essai Retour à la maison » Shuo hui jia说回家1947, Qian Zhongshu démontre comment cette métaphore du retour aux origines se trouve à la fois chez les taoïstes, les bouddhistes, chez Platon et Pascal Nos nouvelles découvertes, après des difficultés et des souffrances inouïes, nous donnent souvent une impression de déjà-vu, on croit rencontrer de nouveau une chose ancienne. Cela ne peut que nous émerveiller Ah c’est donc cela ! C’est ce que voulait dire la phrase sophiste de Pascal tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé’»35. Que l’on envisage la peinture lettrée comme un livre d’artiste avant l’heure » ou non, peu importe. Cet héritage est là, cette forme d’expression en texte-image est essentielle en Chine, elle peut sauver de la langue de bois de la pensée unique. Ye Xin Bibliographie Aragon, Louis, Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971. Barthes, Roland, Œuvres complètes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, 2002. Cahill, James, The Painter’s Practice How Artists Lived and Worked in Traditional China, New York, Columbia University Press, 1994. Calle, Bob, Christian Boltanski, Livres d’artiste 1969-2007, Paris, Éditions 591, 2008. Cauquelin, Anne, L’art contemporain, Paris, PUF, 2009. Damisch, Hubert, Traité du trait, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1995. Delacroix, Eugène, Œuvres littéraires, I. Etudes esthétique 1829-1863, Paris, G. Crès & Cie, Bibliothèque dionysienne, 1923. Flam, Jack, Conversations entre Matisse et Tériade », dans Matisse et Tériade, Arcueil, Anthèse, 2002, p. 19. Hay, Jonathan Painting and Modernity in Early Qing China, Press Syndicate of the University of Cambridge, Cambridge, UK, 2001. Kandinsky, Wassily, Point et ligne sur plan, Paris, Gallimard, 1991. Liu, Chunjie 劉春杰, 《私想着》En pensant individuellement , Shanghai, Huadong shifan daxue chubanshe华东师范大学出版社,2008. Matisse, Henri, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index établis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972. Matisse, Henri, Jazz, Paris, Édition Tériade, 1947. Picasso, Pablo, Propos sur l’art, édition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Paris, Gallimard, 1998. Ryckmans, Pierre, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille – Amère, Traduction et commentaire de Shitao, Paris, Plon, 2007. Sophie Calle, M’as-tu vue catalogue de l’exposition, Paris, Centre Pompidou, 2003. Zhang Yanyuan張彥遠, dans Lidai minghua ji 歷代名畫記 Mémoires sur les peintres célèbres au cours des dynasties successives, Chap. I., Beijing, Renmin meishu chubanshe, 1983. . Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index établis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 235. [↩]Album format 42 x 32,5 cm, grand in-folio, 152 pages, tiré en 270 exemplaires, 250 exemplaires sur vélin d’Arches numérotés de 1 à 250 ; 20 exemplaires non commercialisés numérotés de I à XX. Tous les exemplaires sont signés par l’artiste. [↩]Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, 2002, p. 573. [↩] Aujourd’hui, au niveau des communications de masse, il semble bien que le message linguistique soit présent dans toutes les images comme titre, comme légende, comme article de presse, comme dialogue de film, comme fumetto ; on voit par là qu’il n’est pas très juste de parler d’une civilisation de l’image nous sommes encore et plus que jamais une civilisation de l’écriture l’image sans parole se rencontre sans doute, mais à titre paradoxal, dans certains dessins humoristiques ; l’absence de parole recouvre toujours une intention énigmatique., parce que l’écriture et la parole sont toujours des termes pleins de la structure informationnelle. Ibid., p. 577-578. [↩] L’ancrage est la fonction la plus fréquente du message linguistique ; on la retrouve communément dans la photographie de presse et la publicité. La fonction de relais est plus rare du moins en ce qui concerne l’image fixe ; on la trouve surtout dans les dessins humoristiques et les bandes dessinées. » Ibid. p. 580. [↩]L’ancrage est la fonction la plus fréquente du message linguistique ; on la retrouve communément dans la photographie de presse et la publicité. La fonction de relais est plus rare du moins en ce qui concerne l’image fixe ; on la trouve surtout dans les dessins humoristiques et les bandes dessinées. » Ibid. p. 580. [↩]Deux textes sur l’écriture cursive sont considérés comme fondateurs pour la théorie et l’histoire de la calligraphie chinoise La force de l’écriture cursive Caoshu shi,《草书势》 de Cui Yuan 崔瑗 78-143 et Contre l’écriture cursive Fei caoshu 《非草書》 de Zhao Yi 赵壹, 122-196. [↩]L’histoire et l’esthétique de la peinture a commencé avec le Catalogue des peintres anciens classés par catégories Guhua pinlu, 《古画品录》, écrit par le peintre Xie He 谢赫 à la fin du Ve /début du VIe siècles. Il énonce les Six canons » de la peinture. Les deux premiers viennent de l’esthétique de la calligraphie dans l’harmonie du souffle, le mouvement de la vie » qiyun shengdong 气韵生动 et dans le mode de l’os, employer le pinceau » gufa yongbi 骨法用笔. Les quatre suivants sont plus techniques conformément aux objets, représenter les formes ; conformément à la nature des objets, appliquer les couleurs ; disposition dans l’aménagement de l’œuvre ; transmettre les modèles par la copie. » Traduction en français de Paul Pelliot [↩]《芥子園畫傳》L’ouvrage publié par Li Yu 李漁 et Shen Xinyou 沈心友, écrit et illustré par Wang Gai 王概, réunit vers la fin du XVIIe siècle ce système des signes picturaux » dans un manuel d’apprentissage. [↩]“此一画收尽鸿蒙之外,即亿万万笔墨,未有不始于此而终于此,惟听人之握取之耳。” Pierre Ryckmans, Traduction et commentaire de Shitao, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille – Amère, Paris, Plon, 2007, [↩] La nature codée du dessin apparaît à trois niveaux d’abord, reproduire un objet ou une scène par le dessin oblige à un ensemble de transpositions réglées ; il n’existe pas une nature de la copie picturale, et les codes de transposition sont historiques notamment en ce qui concerne la perspective ; ensuite, l’opération du dessin le codage oblige tout de suite à un certain partage entre le signifiant et l’insignifiant le dessin ne reproduit pas tout, et souvent même fort peu de choses, sans cesser cependant d’être un message fort, alors que la photographie, si elle peut choisir son sujet, son cadre et son angle, ne peut intervenir à l’intérieur de l’objet sauf trucage ; autrement dit, la dénotation du dessin est moins pure que la dénotation photographique, car il n’y a jamais de dessin sans style ; enfin, comme tous les codes, le dessin exige un apprentissage Saussure attribuait une grande importance à ce fait sémiologique. » Roland Barthes, Œuvres complètes, tome II, 1962-1967, Paris, Seuil, p. 582. [↩] Elle est née du mouvement – et cela par l’anéantissement de l’immobilité suprême du point. Ici se produit le bond du statique vers le dynamique. », Wassily Kandinsky, Point et ligne sur plan, Paris, Gallimard, 1991, p. 67. [↩] L’importance de l’artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu’il aura introduits dans le langage plastique. » Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, Texte, notes et index établis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 172. [↩]Une étude de Jacques Giès citée par Hubert Damisch dans Traité du trait, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1995, p. 191. [↩]Wang Xuehao 王學浩 1754-1832, Propos sur la peinture Au Sud de la Montagne 山南論畫 » 王耕煙云: 有人問如何是士大夫畫?曰:只一 寫 » 字盡之。此语最为中肯。字要写,不要描,画亦如之。一入描画,便为俗工矣。Wang Genyan est le surnom de Wang Hui 王翬 1632-1717, un des Quatre Wang » des Qing célèbres pour la peinture lettrée de paysage. [↩]Voir James Cahill, The Painter’s Practice How Artists Lived and Worked in Traditional China, New York, Columbia University Press, 1994, p. 35-74. [↩]Wang Wei, Méthode de la peinture de montagne et d’eau, 王維《山水訣》:夫畫道之中,水墨最為上。 [↩]Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index établis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 235. [↩]Louis Aragon, Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971, p. 795. [↩]顏光祿云:圖載之意有三,一曰圖理,卦象是也;二曰圖識,字學是也;三曰圖形,繪畫是也。 Yan Yanzhi 顏延之 384-456 cité de par Zhang Yanyuan張彥遠, dans Lidai minghua ji 歷代名畫記 Mémoires sur les peintres célèbres au cours des dynasties successives, Chap. I., Beijing, Renmin meishu chubanshe, 1983, p. 2. [↩]Henri Matisse, Écrits et propos sur l’art, texte, notes et index établis par Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, p. 240. [↩]Ibid. p. 235. [↩]Bob Calle, Christian Boltanski, Livres d’artiste 1969-2007, Paris, Éditions 591, 2008, p. 40-41. [↩]Sophie Calle, M’as-tu vue catalogue de l’exposition, Paris, Centre Pompidou, 2003, p. 41-54. [↩]Jonathan Hay, Painting and Modernity in Early Qing China, Press Syndicate of the University of Cambridge, Cambridge, UK, 2001. Édition chinoise 乔迅:《石涛:清初中国的绘画与现代性》,邱士华等译,三联书店,北京,2010. [↩]Fu Lei 傅雷, 1908-1966, écrivain, historien d’art, est l’un des plus grands traducteurs de littérature française. La nuit du 2 septembre 1966, après trois jours de torture et d’humiliation, il écrit cette lettre à son beau frère pour régler ses affaires de famille avant de mettre fin à ses jours. 《傅雷家書手稿選萃》,Hangzhou, Zhejiang guji chubanshe浙江古籍出版社,2008, p. 123-125. [↩]Cité par Anne Cauquelin, L’art contemporain, Paris, PUF, 2009, p. 76. [↩] Matisse utilise un subterfuge subtil et surprenant dans le contexte de l’époque il se sert de certaines personnes pour s’obliger à livrer le fond de sa pensée par des entretiens ; il replace ses idées dans un cadre de travail par rapport auquel il peut prendre du recul, à tel point que l’intervieweur apparaît parfois à nos yeux comme un intermédiaire à travers lequel Matisse consent à s’exprimer sans risquer de trop s’exposer. Parmi ces intermédiaires, l’un s’est révélé particulièrement éloquent ; il porte le nom de E. Tériade. », Jack Flam, Conversations entre Matisse et Tériade », dans Matisse et Tériade, Arcueil, Anthèse, 2002, p. 19. [↩]Eugène Delacroix, Œuvres littéraires, I. Etudes esthétique 1829-1863, Paris, G. Crès & Cie, Bibliothèque dionysienne, 1923. [↩]Picasso, Propos sur l’art, édition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Paris, Gallimard, 1998, [↩]Ibid., [↩]Ibid., p. 169. [↩]Dans une polémique avec le critique d’art Xu Zhimo en 1929, Xu Beihong a attaqué Cézanne et Matisse pour leur impudente » trahison à la tradition picturale de la Renaissance, qu’il considère comme le sommet de l’art et de l’humanisme. [↩]Liu Chunjie 劉春杰, 《私想着》En pensant individuellement , Shanghai, Huadong shifan daxue chubanshe华东师范大学出版社, 2008. [↩]Voir “说回家”,《钱锺书集:写在人生边上人生边上的边上石语》,北京,三联书店, 2002, p. 42-45. [↩] Télécharger l’article au format pdf. Article écrit par Li Shiyan, Chercheuse à Langarts Langages artistiques Asie-Occident Résumé Cet article traite essentiellement de la manière dont les artistes chinois, au lendemain de la Révolution culturelle, stimulés par l’art occidental dans ses formes les plus contemporaines, interrogent et renouvellent les formes traditionnelles de la peinture et de la calligraphie. On pourra y trouver une analyse d’un processus d’éclatement des pratiques scripturales et calligraphiques du lettré sous différents aspects le démembrement de l’écriture et ses inventions, la décomposition de la technique calligraphique et la dissociation de l’ensemble des quatre trésors du lettré. Ces pratiques sont accompagnées d’emprunts à des formes d’expressions occidentales apparaissant comme des catalyseurs que les artistes chinois utilisent comme des moyens de transformer les expressions traditionnelles sans reprendre forcement avec elles le fil d’une histoire de l’art occidental et le sens singulier de son développement dans son contexte propre. Abstract This article mainly deals with the way in which Chinese artists, in the aftermath of the Cultural Revolution, stimulated by Western art in its most contemporary forms, question and renew the traditional forms of painting and calligraphy. The book analyses the process of breaking up the scriptural and calligraphic practices of the scholar in various ways the dismemberment of writing and its inventions, the decomposition of calligraphic technique and the dissociation of the “four treasures of the scholar”. These practices are accompanied by borrowings from Western forms of expression, which appear as catalysts that Chinese artists use as a means of transforming traditional expressions without necessarily taking up with them the thread of a Western art history and the singular meaning of its development in its own context. Lorsque l’article de Li Xiaoshan 李小山intitulé Mon avis sur la peinture chinoise contemporaine » est publié dans le Zhongguo meishubao 中国美术报Journal des beaux-arts de Chine en 1985, l’ensemble des discussions autour de la phrase La peinture traditionnelle chinoise est à bout de ressources Zhongguohua yijing daole qiongtu molu de shihou中国画已经到了穷途末路的时候 soulève une tempête dans le milieu artistique et culturel. Le texte de Li Xiaoshan évoque non seulement un épuisement de la peinture traditionnelle chinoise face à l’arrivée massive de l’art moderne et contemporain de l’Occident, mais interroge ouvertement la culture chinoise lettrée qui semblait avoir su retrouver une renaissance » après la Révolution culturelle. Le propos de Li Xiaoshan, on le sait, n’est pas nouveau, puisque la culture lettrée a été radicalement mise en cause dès la seconde moitié du XIXe siècle lorsque la relation avec l’Occident devint conflictuelle. Rééquilibrer le rapport de force entre la Chine et l’Occident pour que la pensée chinoise millénaire puisse trouver un nouveau souffle a toujours été la principale préoccupation des élites intellectuelles. Lorsque la Révolution culturelle touche à sa fin, l’ambition de restaurer et de faire revivre cette pensée devient une nécessité nationale ardente répondant à son effacement forcé et sa condamnation désastreuse. Cependant, cette renaissance » de la pensée lettrée doit se confronter à nouveau au monde occidental. Ainsi, le problème le plus urgent à résoudre consiste à savoir comment construire une pensée nouvelle et efficace, capable de répondre à la force inéluctable de l’Occident qui, avec son système de pensée philosophique, son développement technique considérable, son projet d’une économie globale, etc. prétend désormais imposer son modèle au monde. En tout état de cause, l’art, en tant que pratique éclairée, ne peut échapper à ce problème lancinant. Après la Révolution culturelle, le style réaliste et la peinture traditionnelle chinoise dominent l’ensemble de la scène picturale académique. Mais plutôt que d’évoquer le style réaliste critiqué pour la première fois par le peintre Wu Guanzhong吴冠中 1919-2010 qui propose de rechercher une beauté abstraite » chouxiangmei抽象美 , je voudrais parler ici du problème de la peinture traditionnelle chinoise soulevé par Li Xiaoshan. Ce dernier, dans son article, esquisse à grand trait l’histoire de cette peinture en concluant qu’aujourd’hui, la mission des artistes ne consiste plus à reprendre l’héritage des peintres modernes comme Liu Haisu刘海粟 1896-1994ou Lin Fengmian林风眠 1900-1991, mais de mener un mouvement novateur, capable de faire époque » huashidai划时代. Il s’agit, en effet, d’un moment où les jeunes artistes font connaissance avec l’art contemporain occidental et certains aspects, jusque-là ignorés, de la modernité du XXe siècle. On imagine aisément le bouleversement, le choc éprouvés par ces artistes. Ce choc est un catalyseur pour ceux qui aspirent profondément à combler le vide dû à la rupture causée par la Révolution, à rattraper le temps perdu pour réduire l’écart avec l’Occident. Si l’histoire de l’art occidental moderne et contemporain a elle-même subi des changements radicaux à cause de sa logique propre, on pense alors inévitablement que la Chine va rejoindre cette logique occidentale, puisque depuis les années 1910 les artistes ne cessent de s’approprier les découvertes de l’art occidental, qu’il soit classique ou moderne Xu Beihong a pu concrétiser l’union de l’art et la science dans sa peinture, le fauvisme a pu être repris à travers la peinture de Liu Haisu, la nécessité intérieure » de Kandinsky a été analysée et comparée avec le souffle résonnance » qiyun shengdong气韵生动 par Feng Zikai… Un changement radical prolongeant cette longue histoire et n’ignorant cependant pas l’héritage de la peinture traditionnelle chinoise est devenu une nécessité qui pourrait, selon certains artistes, permettre de rejoindre l’art contemporain occidental pour fonder, en même temps, un art chinois inscrit dans l’âge contemporain. Je pense que c’est dans ce sens que l’on doit comprendre l’expression faire époque », qui manifeste une volonté d’être acteurs à part entière de la scène artistique, capables d’inventer de nouvelles formes, et de rivaliser avec l’art occidental. Les artistes chinois ont deux atouts en main, d’un côté la richesse de la culture traditionnelle lettrée, de l’autre côté l’étude de l’héritage avant tout formel peinture, sculpture de l’art occidental et ses dépassements sous toutes les formes collage, installation, performance, happening, photographie, vidéo… qui, aux yeux des artistes chinois, pourraient donner des moyens formidables pour interroger et renouveler les forme traditionnelles de la peinture et de la calligraphie. Mais avant d’aborder cette aventure, je dois rappeler l’un des traits essentiels de la modernité occidentale. On sait que dans l’évolution de l’histoire de l’art moderne occidental, il y a eu un éclatement » de la forme la couleur, le dessin, la surface, la matière, chacun de ces éléments a revendiqué la première place dans des démarches diverses. De même, l’âge contemporain a proposé un champ élargi de l’art aux frontières indécises. Toutes ces problématiques historiques sont bien vues, je pense, par les artistes chinois. Dans le développement des divers courants repris par ces derniers, l’art conceptuel guannian yishu 观念艺术, l’abstraction au lavis shuimo chouxiang水墨抽象, le Maximalisme jiduozhuyi极多主义, le Calligraphisme shufazhuyi书法主义1, on peut constater qu’il existe aussi un éclatement » notable de la pratique du lettré, dont certains aspects viennent nourrir des expressions diverses peinture, installation, performance, photographie, etc. on pourrait nommer ce phénomène le démembrement » de l’écriture, la décomposition » de la technique calligraphique et la dissociation » de l’ensemble des quatre trésors du lettré wenfangsibao文房四宝, qui peuvent être repris séparément dans certains gestes artistiques. Le démembrement de l’écriture et ses inventions Le démembrement Dans les années 1980 de nombreux artistes introduisent l’écriture chinoise dans leurs œuvres. Cette démarche nous fait penser au courant de l’art conceptuel américain dans lequel les artistes font intervenir des signes et des mots censés présenter un réel réduit à la seule réalité du langage. Or, dans les œuvres des artistes chinois que j’évoque ici, les écritures sont comme considérées comme des tromperies vouées à l’absurdité. Autrement dit ces artistes, classés aujourd’hui par certains critiques d’art chinois dans le courant de l’art conceptuel chinois zhongguo guannian yishu 中国观念艺术, n’ont pas, en fait, grand-chose à voir avec les artistes américains mettant l’accent sur la littéralité autoréférentielle. Très probablement, les artistes chinois ont interprété les œuvres conceptuelles américaines à leur manière, aucun d’entre eux n’a revendiqué une étude approfondie consacrée aux artistes conceptuels. Les artistes chinois empruntent juste la forme l’apparence de cet art en injectant » un contenu voué à une situation culturelle spécifiquement chinoise. L’un des premiers artistes ayant entrepris de démembrer l’écriture est Gu Wenda谷文达 né en 1955. Dans les années 1980, il poursuit des études de peinture traditionnelle chinoise à la China Academy of Art. Comme l’énonce la formule très connue shuhua tongyuan书画同源 la peinture et la calligraphie ont la même origine », on peut imaginer qu’il est également très habile à la calligraphie. En s’inspirant de la philosophie du langage de Wittgenstein, de l’étude de l’écriture sigillaire et des nombreuses fautes dans l’emploi des caractères sur lesDazibao大字报Journaux à grands caractères pendant la Révolution culturelle, l’artiste, dans une série d’œuvres intitulée Yishi de wangchao 遗失的王朝, Mythos Of Lost Dynasties Mythes des dynasties perdues, 1983-862, écrit volontairement des caractères erronés et fautifs3. Quelques œuvres de cette série peuvent être citées ici Wei zhuanshu linmo benshi伪篆书临摹本式, Pseudo-seal Scripture in Calligraphic Copybook Format Pseudo-écriture sigillaire dans le format du cahier d’écriture dans laquelle l’artiste introduit des caractères fautifs du style sigillaire en les juxtaposant à des vrais caractères du même style ; Jingguan de shijie静观的世界, Tranquillity Comes From Meditation Un monde de contemplation silencieuse, selon le titre en chinois dans laquelle l’artiste introduit des caractères fautifs cuobiezi 错别字en renversant l’orientation de tout ou partie des sinogrammes, en retournant l’écriture en miroir ou bien en faisant des erreurs dans l’écriture ; Wopiyue sannansannü shuxiede jingzi我批阅三男三女书写的静字, Fake Characters Written By Three Men And Three Women Le caractère silence » écrit respectivement par trois femmes et trois homme, corrigé par moi dans laquelle l’artiste se comporte en maître de calligraphie il corrige en mettant une croix ou un cercle rouges sur les caractères 静 écrits de diverses manières fautives par les spectateurs à qui il avait demandé d’écrire ces mots. Toutes les écritures altérées dans ces œuvres sont magnifiquement calligraphiées sur des papiers de Xuan xuanzhi宣纸 de très grandes dimensions. Il existe une sorte d’incohérence entre les caractères erronés et fautifs et la pratique raffinée et érudite du lettré. Cependant, le caractère fautif du style sigillaire reste beaucoup plus problématique parce que très peu de Chinois parviennent à lire l’écriture sigillaire. Le fait de mélanger les caractères fautifs à de vrais caractères peut tromper le spectateur. Une défiance envers l’écriture et la culture est ainsi exprimée. Quant aux caractères fautifs du style régulier, ils sont souvent inscrits sur des fonds réalisés par l’utilisation en alternance des techniques des encres superposées jimofa积墨法, de l’encre brisée pomofa破墨法 ou de l’encre éclaboussée pomofa泼墨法, qui donnent l’aspect d’une nappe. Ces fonds peuvent revêtir des qualités répondant aux six couleurs » liucai六彩 de la tradition, allant du blanc bai白 jusqu’au noir hei 黑 en passant par le sec gan干, le mouillé ou fluide shi 湿, l’épais nong浓, le pâle dan淡. Aux yeux de l’artiste, les écritures erronées superposées à un fond réalisé au lavis offrent la possibilité de conduire la calligraphie traditionnelle vers la peinture abstraite au lavis shuimo chouxianghua水墨抽象画4 puisqu’on peut considérer que le caractère erroné n’est plus un caractère mais simplement une image abstraite5 . Ce glissement de la calligraphie vers la peinture abstraite chouxiang huihua抽象绘画 – terme occidental introduit en Chine dans les années 1910 – tend à dépasser notre façon habituelle de concevoir [dans le sens de goûter » pin品] une œuvre calligraphique. Notre perception est ainsi conduite à la frontière entre une œuvre calligraphique au sens traditionnel et une peinture moderne » dite abstraite » au sens occidental. La peinture abstraite » de Gu Wenda nous donne ainsi à voir une des possibilités de fonder un art abstrait »6 proprement chinois avec les sources traditionnelles. Le caractère erroné est aussi employé par Wu Shanzhuan吴山专 né en 1960. Dans les années 1980 cet artiste réalise une série intitulée Hongse youmo红色幽默 Humour rouge, 1987-88 contenant quatre parties Dazibao大字报 Journaux à grands caractères, Hongyin 红印 Sceau rouge, Hongqipiaopiao 红旗飘飘Drapeau rouge flottant et Dashengyi大生意 Grand business. Dans la partie Drapeau rouge flottant », on trouve des caractères erronés écrits en gros traits noirs cadrés par des papiers blancs en forme de losange collés régulièrement sur un drapeau rouge. Devant ce drapeau affiché sur un mur, l’artiste fait le geste de prêter serment avec son bras gauche. Enregistrée sous forme de photographie, l’œuvre est aussi nommée Cuobiezi qizhi de xuanyan错别字旗帜前的宣誓 Prêter serment devant un drapeau avec des caractères erronés, 1988. Elle nous offre une scène à la fois familière et ridicule. Familière, parce que la majorité des spectateurs reconnaît cette expérience solennelle de prêter serment » ; ridicule, parce que jamais on ne prête serment en levant le bras gauche devant des caractères erronés. Mais c’est bien cette expérience ridicule que l’on a vécue pendant la Révolution culturelle les caractères erronés apparaissaient souvent dans les Journaux à grands caractères, considérés cependant comme des mots d’ordre que l’on devait respecter scrupuleusement. L’œuvre rend dérisoire la politique dictatoriale de la Révolution. On peut aussi évoquer les installations réalisées dans la même série imitant tout à fait l’atmosphère de la Révolution, mais au lieu d’y trouver les mots d’ordres attendus, on lit Cet après-midi il y a une coupure d’eau », Trois centimes pour un demi-kilo de chou blanc », Je suis rentré à la maison »… Ces phrases renvoyant au quotidien placées dans un contexte visuellement imposant offrent tout à coup une légèreté rendant le credo d’une décennie invalide. Les caractères fautifs cuobiezi 错别字 de Gu Wenda et de Wu Shanzhuan restent encore lisibles et prononçables, tandis que ceux de Xu Bing 徐冰 né en 1955 sont entièrement illisibles. Ils se trouvent dans l’œuvre intitulée 天书tianshu, Book From the Sky Livre du ciel, 1987-19917. L’œuvre comporte trois éléments rouleaux, codex et panneaux muraux. Les trois éléments imitant respectivement le rouleau des Han, le codex des Tang et le rouleau suspendu de la calligraphie, sont soigneusement fabriqués de la main de l’artiste8. L’ensemble des livres a été imprimé à l’aide d’un répertoire de 4000 caractères, réalisés également par l’artiste lui-même à l’aide de la technique des caractères mobiles de l’imprimerie, faits de bois, célèbre invention chinoise. Jusqu’ici, on peut constater un travail minutieux et laborieux qui prétend revisiter une culture millénaire. Si l’on s’approche des textes pour les lire, on s’aperçoit que tous les caractères ayant l’apparence de l’écriture chinoise sont illisibles, y compris pour les Chinois eux-mêmes9. En effet, pour réussir à tromper le spectateur, l’artiste décompose les radicaux pianpangbushou偏旁部首 de sinogrammes existants afin de démanteler les deux systèmes fondamentaux de la composition du caractère celui de la réunion sémantique huiyi会意 et celui de l’association de la forme et du son xingsheng形声. C’est ainsi que chaque caractère inventé, malgré ses traits élégants, malgré sa structure respectant strictement la règle de la composition graphique, est illisible en raison de l’incohérence de la combinaison des divers éléments. La stratégie de l’artiste est de faire basculer la culture savante dans l’absurdité. Cette absurdité se manifeste à travers une installation, très probablement inspirée de celles de l’Occident. On peut très bien la considérer comme un environnement » puisque durant la visite, le corps du spectateur peut entrer dans l’espace de l’œuvre et il est totalement entouré par l’œuvre. En ce sens le spectateur est entièrement immergé dans l’absurdité lorsqu’il tente de déchiffrer le contenu des livres et sa participation devient aussi partie prenante de l’œuvre. Celle-ci pourrait, en quelque sorte, refroidir l’enthousiasme de certains intellectuels qui, au sortir de la Révolution culturelle, voulaient tout au contraire réhabiliter la culture savante. Le message de l’artiste est clair, son but n’est pas de démembrer seulement l’écriture mais aussi la pensée millénaire, représentée ici sous la forme de livres classiques réalisés par la technique de l’imprimerie dont le peuple chinois est si fier. Wang Nanming王南溟 né en 1962, quant à lui, démembre ses écritures d’une manière totalement différente. Il calligraphie d’abord ses écritures sur du papier de Xuan, ensuite il froisse chaque feuille en boule, puis il rassemble toutes les boules pour former tantôt un cube, tantôt un parallélépipède rectangle, un ballon, un canapé, une toile accrochée au mur avec une grande fantaisie. Enfin, l’artiste dispose toutes ces formes en papier dans une pièce vide pour que le visiteur puisse les contempler. L’œuvre est intitulée Ziqiu xilie字球系列 La série des écritures en boule, 1993. Les écritures calligraphiques ne sont plus bidimensionnelles mais s’inscrivent dans un espace à trois dimensions. On ne peut plus contempler les traits de chaque caractère puisqu’ils sont corrompus par le froissement des boules. Les traits calligraphiques sont devenus une sorte de motif abstrait qui domine l’ensemble de l’installation. L’invention Après avoir démembré l’écriture commune, certains artistes inventent de nouvelles règles pour créer de nouvelles écritures. La démarche de Xu Bing et celle de Gu Wenda en sont deux exemples. L’œuvre Xin yingwen shufa新英文书法, New English Calligraphy Nouvelle calligraphie anglaise, 1994-1998 de Xu Bing présente un nouveau système d’écriture où chaque lettre de l’alphabet anglais ou latin a sa contrepartie formelle d’esprit chinois ; les lettres anglaises sont arrangées dans une matrice carrée pour ressembler aux caractères chinois, cependant elles restent lisibles en anglais. Par une schématisation des traits, Xu Bing transforme d’abord les traits de l’alphabet en reprenant les huit traits fondamentaux chinois trait horizontal ; trait vertical ; point ; crochet ; trait relevé ; trait jeté ; trait jeté court et trait appuyé. Par exemple la lettre I » se compose de deux traits horizontaux et un trait vertical, et équivaut au caractère chinois 工 » ; O » est devenue une forme carrée 口 » ; T » est devenue le caractère chinois 丁 ». Ici on peut parler de pictogrammes. Les lettres sont transformées en traits de caractères chinois mais restent toujours des figurations de lettres. Ensuite, l’artiste construit chaque mot anglais en suivant les structures de combinaison dans une forme carrée afin de ressembler encore à l’écriture chinoise. Par exemple, le mot ART est rangé en shangxia jiegou上下结构 structure de haut en bas » et tracé en suivant l’ordre des lettres et l’ordre des traits du caractère chinois. Un autre exemple simple est celui du mot THE dont l’ordre des lettres donne d’abord T, ensuite H et E. Dans la nouvelle calligraphie de Xu Bing, il est écrit HTE. Mais le T attire beaucoup plus notre regard que H et E. Et on commence notre saisie par le T du milieu qui sert de pivot sur lequel s’équilibrent le H à gauche, puis le E à droite – le même ordre que celui de l’anglais, et on garde en même temps une des règles de composition des traits du caractère chinois xian zhongjian hou liangbian先中间后两边 d’abord le milieu, puis les deux côtés ». La New English Calligraphy est ainsi véritablement enracinée dans la calligraphie chinoise. Xu Bing a préparé une paire de livres. L’un est intitulé Introduction to Square Word Calligraphy Introduction à la calligraphie cadrée, l’autre est nommé Square Word Calligraphy Red Line Tracing Book Le cahier de la calligraphie cadrée pré-tracée de ligne rouge. Ces deux livres sont des manuels d’enseignement de la calligraphie anglaise mais à la façon de la calligraphie chinoise. Dans le premier, les lettres anglaises sont arrangées dans une matrice carrée. Sa mise en forme des calligraphies blanches sur noir est inspirée de la reproduction de l’estampage prélevé d’après des originaux du style régulier10 des anciens grands maîtres de calligraphie11. Dans le même manuel, l’artiste introduit également les principes traditionnels pour l’apprentissage12 et l’étude des huit traits fondamentaux en prenant le mot anglais Lag au lieu du sinogramme 永 yong constant, dans lequel les jeunes élèves chinois rencontrent tous les traits fondamentaux éxigés. Pour l’élève, savoir exécuter les traits ne suffit pas, il faut aussi apprendre à centrer le caractère. C’est pour cette raison que l’artiste a préparé ce deuxième manuel Square Word Calligraphy Red Line Tracing Book pour que les lecteurs puissent apprendre d’une manière orthodoxe ». Dans l’œuvre participative intitulée Classroom Calligraphy Salle de classe de calligraphie, 1995, l’artiste transforme une salle d’exposition de l’Institut of Contemporary Art à Londres en salle de classe des bureaux sont disposés dont chacun possède les quatre trésors du lettré et les deux manuels mentionnés ci-dessus. Une vidéo nommée Elementary Square Word Calligraphy Instruction Instruction de la calligraphie cadrée élémentaire est également projetée pendant l’exposition. L’ensemble de l’installation invite les spectateurs à apprendre ce nouveau système d’écriture anglaise. L’ambiance de cette exposition ressemble à celle d’une classe d’école primaire chinoise qui propose aux élèves de reproduire des écritures calligraphiques dans leur cahier en se servant des modèles d’un maître. Les spectateurs occidentaux peuvent ainsi faire connaissance avec la calligraphie chinoise restant cependant dans des mots anglais lisibles. Mais ils trouvent immanquablement que c’est un défi quand ils essayent d’identifier chaque mot présenté dans le manuel de l’artiste. En effet, l’écriture anglaise comme système linéaire est déjà enracinée dans leur pensée et brusquement ils doivent apprendre un autre système, celui du sinogramme vu de face » pour déchiffrer les mots. La démarche de Gu Wenda intitulée Gushi jianci 谷氏简词ou Zhongguojianci 中国简词, Gu’s Phrase Stone Stèles Expressions simplifiées de Gu ou Expressions chinoises simplifiées, 2004 – traduction fidèle au chinois et différente, comme on le voit, de l’anglais consiste également à inventer un nouveau système d’écriture. L’artiste combine deux caractères dans un seul ou simplifie les proverbes ayant quatre caractères en deux. Le binôme yin yang阴阳par exemple, ayant la même clé, l’ oreille gauche », est disposé dans un seul caractère dont la partie gauche garde l’ oreille gauche » et la partie droite est composée de la lune et du soleil. La même méthode est aussi utilisée pour les binômes comme jianghu江湖 rivières et lacs, chenfu沉浮sombrant et flottant, etc. L’intention de l’artiste cette fois-ci n’est pas de démembrer l’écriture mais de créer un système d’écriture plus facile à reconnaître, comprendre, mémoriser et utiliser13. Les mots sont présentés soit sous forme d’estampage réellement prélevé sur pierre soit sous forme de papier de Xuan au lavis. Les deux artistes ont connu un grand succès aux États-Unis, car selon les critiques et les historiens, leurs œuvres sont comparables à celles des artistes conceptuels, pour qui seul le texte peut nous faire réellement prendre connaissance du contenu d’une œuvre. L’art est ainsi une énonciation dont le prédicat ne dit rien de plus que le sujet et qui reste vrai en vertu de sa forme seule, quelle que soit la valeur de vérité des énoncés qui la composent14 … » En ce sens, le spectateur se trouve non seulement privé de tout recours à l’imagination, mais aussi de toute possibilité de se référer à une approche esthétisante. Pourtant, à la différence de cette lecture réductrice légitime inspirée par l’art conceptuel, les écritures de Xu Bing et de Gu Wenda peuvent être vues comme transgressant la frontière entre lisible et illisible, perturbant notre logique habituelle et stimulant notre esprit. De plus, on peut apprécier la délicatesse de la reliure et l’élégance de la mise en page des livres anciens Book From the Sky, savourer le rythme de la calligraphie chinoise dû à la pression exercée sur le pinceau et à la vitesse de réalisation du tracé émanant du souffle de l’auteur New English Calligraphy, Gu’s Phrase Stone Stèles. La pratique traditionnelle du lettré est ainsi subtilement corrompue. Cependant, il ne faut pas oublier que le spectateur est obligé d’entrer dans les systèmes dialoguants proposés par les artistes et cela demande beaucoup de concentration de sa part. En ce sens aussi, on peut dire que les œuvres des deux artistes font seulement partiellement référence à l’art conceptuel occidental. Parmi les nombreuses œuvres de ces deux artistes présentant l’écriture comme matériau, on peut aussi évoquer une série des peintures intitulée Wenzi shanshui文字山水Landscript Écriture de montagne-eau, 2001 de Xu Bing. Pour cette œuvre, l’artiste entreprend de xie fengjing写风景écrire d’après nature en introduisant les sinogrammes草 cao herbe, 木 mu bois, 山 shan montagne, 石 shi pierre, 土tu terre, 水shui eau, 鸟 niao oiseau, etc. dans son œuvre. Sur le papier, l’image de la montagne est ainsi saturée du caractère山 d’une manière répétitive, celle de l’arbre est remplacée par le caractère木, tandis que celle de l’oiseau est remplacée par le caractère鸟 envolé… De loin, la peinture reste plus au moins une peinture de paysage au sens traditionnel ; de près, elle apparaît comme une transcription des sinogrammes. Cette démarche qui renvoie à l’écriture pictographique xiangxingwenzi象形文字 voudrait démanteler la notion de calligraphie shufa 书法 qui se traduit littéralement par la règle d’écrire »15. Car le fait d’écrire rapidement les sinogrammes dans une volonté de représentation d’après nature permet à l’artiste d’oublier toutes les règles fa法fa établies par les lettrés à l’époque Tang16. Devant une telle œuvre, le spectateur ne peut ni contempler la cohérence d’une peinture de montagne-eau ni scruter le souffle de l’écriture. La peinture et la calligraphie du lettré sont transgressées et deviennent des expressions reprenant un aspect de l’art conceptuel occidental, celui de la littéralité autoréférentielle. La décomposition de la technique de la calligraphie Qiu Zhijie邱志杰 né en 1969 dans son œuvre intitulée Zuoye yihao chongfu shuxie lantingxu yiqianbian 作业一号 重复书写兰亭序’’一千遍 Devoir n° 1 copier 1000 fois la Préface du recueil du Pavillon des Orchidées17 non seulement dissout l’écriture mais décompose la technique de la calligraphie. Entre 1990 et 1995, tous les jours, l’artiste copie le texte classique du fameux calligraphe Wang Xizhi王羲之 env. 303-361 sur le même papier de Xuan. À la fin de la réalisation, on ne distingue plus l’écriture car le papier est saturé d’une masse textuelle écrite à l’encre de Chine de forme rectangulaire. Le geste quotidien inlassable de l’artiste, reprenant celui de l’élève copiant son maître, rend hommage au texte du maître. Mais le fait d’écrire sans relâche sur un seul papier dissout la pensée orthodoxe selon laquelle il faut d’abord s’être rempli la vue des chefs-d’œuvre anciens avant de prendre soi-même le pinceau » mubao qiandai qiji fangke xiabi目饱前代奇迹方可下笔 18. L’artiste conserve l’ensemble de la connaissance traditionnelle de la calligraphie dans le processus de sa réalisation, mais le résultat ultime de l’œuvre efface cette connaissance. Car on ne peut ni apprécier les traits émanant du souffle de l’artiste, ni contempler le rapport du vide/plein né de l’union de l’encre et du papier du Xuan immaculé, ni apprécier la technique du maniement du pinceau yongbi 用笔 de l’artiste. L’astuce de l’artiste consiste à utiliser cette connaissance et à la faire se dissoudre elle-même. Ainsi, toutes les techniques ont disparu dans une masse noire à l’encre de Chine. Une fois ce but atteint, il naît ainsi une nouvelle forme d’art susceptible de dépasser l’héritage traditionnel. Dès lors, on n’est plus orienté vers le jugement lettré traditionnel, mais conduit vers un nouvel épisode dans lequel l’artiste dialogue volontiers avec l’histoire de l’art occidental moderne et contemporain. L’aspect de l’œuvre nous ferait sans doute penser à celle de Malevitch intitulée Carré noir sur fond blanc. La technique du maniement du pinceau se dilue dans l’œuvre de Qiu Zhijie, tandis que chez Li Huasheng李华生 né en 1944, elle se décompose. Dans les années 1980, Li Huasheng était reconnu dans le milieu artistique grâce à ses peintures à l’encre de Chine. Ensuite il part aux États-Unis et éprouve un grand choc face à l’art occidental. Pendant dix ans, il s’isole et réfléchit sur sa propre démarche. Il pense que la peinture traditionnelle chinoise a atteint son sommet aux époques Tang 618-907 et Song 960-1279 et a poursuivi ensuite son chemin jusqu’à l’époque de Huang Binhong 黄宾虹 1865-1955 à partir de qui elle ne pouvait plus évoluer. En tant qu’artiste, devant cette impasse, il ne peut rien proposer d’autre que de commencer à éliminer les sujets principaux de la peinture traditionnelle chinoise19. L’œuvre intitulée – est le résultat de cette démarche ultime. Le papier de Xuan est entièrement couvert par une sorte de grille très fine. En regardant de près, on constate que l’artiste a dû tracer et retracer plusieurs fois le dessin des veines particulières au papier de Xuan qui absorbe délicatement et graduellement l’encre. Ici l’artiste emploie la technique nommée wulouhen屋漏痕 ce qui signifie comme de l’eau qui coule sur un mur » pour que chaque ligne s’élançant du début à la fin soit d’une seule venue sans reprise, sans souffle interrompu. Li Huasheng est désormais classé dans le courant du Maximalisme jiduozhuyi极多主义20, concept proposé en 2001 par le critique d’art Gao Minglu高名潞 né en 1949. Le terme Maximalisme » fait implicitement référence, par antiphrase, au Minimalisme occidental et souligne ainsi une différence malgré, parfois, une affinité visuelle avec le Minimalisme. Selon Gao Minglu, la démarche de Li Huasheng, Qiu Zhijie ainsi que Xu Bing rejoignent l’école bouddhiste du Nord dite du gradualisme jianwu渐悟 dont le fondateur fut Shenxiu神秀 606-70621. Au contraire de Huineng 慧能 638-713, maître du subitisme dunwu 顿悟, Shenxiu propose une ascèse répétitive et méditative et nous invite à essuyer sans cesse le miroir de notre esprit pour qu’il soit sans poussière et pour que nous puissions atteindre le vide spirituel. Aux yeux de Gao Minglu, ces trois artistes peuvent justement trouver cette dimension du vide bouddhique par leurs gestes répétitifs et inlassables22. En suivant cette logique, on constate que montrer la trace du pinceau pour elle-même ou montrer l’usage du support dans ses possibilités ne sont pas les premières préoccupations des artistes, comme cela fut le cas pour ceux de l’Occident. Autrement dit, le but recherché des artistes chinois n’est pas celui d’une analyse critique des conditions de l’art, mais un pur hommage à la forme dans un travail effectif qui porte lui-même une signification d’ascèse et de méditation. En effet, le processus méditatif répété qui peut aller jusqu’à l’infini s’oppose aux déchaînements des forces de production nouvelles dès la fin des années 1980 en Chine. Le geste répétitif qui pourrait atteindre le vide bouddhique suscite finalement un regard critique sur l’exigence de productivité imposée à la société chinoise. La dissociation des matériaux des quatre trésors Auparavant, les quatre trésors étaient indispensables à la pratique lettrée. Avec l’introduction de l’art contemporain occidental, les artistes ne se contentent plus d’exploiter encre, pinceau, papier, pierre à encre, ces quatre trésors de toujours. Ils s’approprient en particulier la performance, l’installation, la calligraphie comme des modes d’expressions majeurs, où ils trouvent une autre liberté. L’artiste Song Dong 宋冬 né en 1966, à partir de 1995, commence à écrire son journal à l’aide d’un pinceau sur une pierre qu’il a trouvée dans la nature. Au lieu d’utiliser l’encre et le papier de Xuan, il écrit avec de l’eau sur la pierre. La trace du pinceau ne reste visible que quelques minutes, les écritures s’évaporent dans l’air. Seule la pierre connaît l’intimité de l’auteur. L’artiste écrit son journal de cette manière pendant trois ans et il l’a nommé Shuixie riji水写日记 Journal écrit avec de l’eau, 1995-98. Journal éphémère, geste hic et nunc. Le processus de la réalisation et le moment d’inscription sont devenus le cœur de cette œuvre qui est enregistrée sous forme de photographie. La dissociation des quatre trésors du lettré donne ainsi à voir la possibilité de réaliser une œuvre qui s’inscrit dans l’écoulement du temps. C’est grâce à la photographie et ses usages multiples dans le champ artistique occidental depuis les années 1960, qu’il est désormais possible d’enregistrer une performance d’ici et maintenant ou une œuvre éphémère du Land Art. Je pense que Song Dong a très bien saisi cette manière d’appréhender son œuvre. Le fait de ne pas laisser la trace de l’encre est désormais possible grâce à l’enregistrement instantané photographique. Le Jiapu家谱, Family Tree Arbre généalogique, 2000 de Zhang Huan张洹 né en 1965 est également une œuvre qui se présente sous forme de photographie d’une performance. Elle offre une série de neuf photos-autoportraits dans lesquelles le visage de l’artiste se couvre progressivement de caractères de calligraphie, jusqu’à ce qu’à la fin le visage devienne entièrement noir. Il s’agit ici d’une performance dans laquelle l’artiste a invité trois calligraphes à écrire des textes sur son visage depuis le matin très tôt jusqu’à la nuit. L’artiste voudra évoquer une histoire de famille. Au milieu du front sont inscrits les quatre mots Yugong yi shan愚公移山 Le vieux sot Yu déplaça la montagne » qui expriment l’esprit de la persévérance et de la conviction ferme qui pourraient vaincre les difficultés au cours de notre existence. D’autres mots, au contraire, expriment la prédestination bonne ou mauvaise fortune ; haute position et riche émolument ; présager plus de mal que de bien ; etc., choisis par l’artiste dans des livres de divination. Ici, l’artiste abandonne l’usage du papier de Xuan et exploite pleinement le visage en tant que matériau et support. Le fait d’écrire sur le visage renforce le message de prédestination car selon la divination chinoise les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, les pommettes, les grains de beauté indiquent notre avenir, notre santé, notre bonheur et notre malheur. Lorsque la nuit tombe, les écritures juxtaposées couvrent massivement le visage de l’artiste. Le visage devenu noir se fond dans l’obscurité ; impossible de le voir. La vie d’un être, l’histoire d’une famille ne sont-elles pas des illusions malgré l’effort de vivre et la soumission volontaire au destin ? Cette lamentation commune, qui se trouvait auparavant dans une peinture lettrée, un poème ou bien encore un roman, est maintenant manifestée à même la peau du visage dans sa propre temporalité charnelle et son espace vécu. Le fait que cette œuvre ait été réalisée aux États-Unis lui donne une signification supplémentaire. L’artiste se confronte sans cesse à une autre culture et à une autre société dès son arrivée dans ce pays en 1998 et la discrimination raciale devient l’une de ses préoccupations23. Le geste de cacher la couleur de sa peau et de la faire se confondre fondre avec la nuit des États-Unis tend à effacer son identité et son faciès chinois. Les quatre trésors du lettré trouvent sans doute leur limite dans ce genre de confrontation culturelle mais le fait d’employer la peau du visage comme matériau paraît être d’une évidente efficacité. La dissociation de l’ensemble formé par les quatre trésors peut aussi conduire à l’utilisation d’un seul d’entre eux. L’œuvre Quan泉Source, 2013 de l’artiste féministe Li Xinmo李心沫 née en 1976 en est un bon exemple en privilégiant l’usage de l’encre au détriment des autres. L’œuvre a été réalisée lors de la manifestation Corps hétérogène 2013. Le titre Source fait référence à celui de l’œuvre d’Ingres dans laquelle une jeune fille verse une eau limpide à côté de son corps. À la différence de l’eau claire d’Ingres, la source » de Li Xinmo est un mélange d’eau et d’encre de Chine. Assise devant un service à thé, l’artiste boit d’abord la source » dans les tasses. Par la suite, elle prend un seau rempli du liquide et à l’aide d’une bosse, elle nettoie son vêtement blanc. À la fin, l’artiste verse la source » noire sur son corps entier. Le corps de l’artiste est ainsi inondé par l’eau mélangée à l’encre de Chine. Ici, l’encre représente non seulement la culture du lettré, mais aussi une culture patriarcale l’œuvre est censée critiquer cette culture dominante qui opprime les femmes depuis plus de deux mille ans24. Cai Guo-Qiang蔡国强 né en 1957, quand il réalise en 2014 son œuvre Jingmo静墨, Silent Ink L’encre silencieuse, emploie aussi l’encre comme matériau principal. L’artiste creuse une immense fosse dans la Power Station of Art de Shanghai et y verse 30 tonnes d’encre de Chine. Au-dessus de la fosse est installée une cascade faite également d’encre. Le spectateur circulant entre la fosse, la cascade et des déchets industriels trouvés sous le sol du musée respire l’odeur forte de l’encre de Chine. L’artiste crée ainsi une image du paysage urbain contemporain qui évoquerait une destruction aveuglante Cela ressemble beaucoup au processus de la modernité chinoise, explique l’artiste, on creuse d’abord une grande fosse, puis on réfléchit à ce qu’on va y faire25 » L’emploie de l’encre de Chine nous offre un nouveau regard sur l’image du shanshui山水 paysage/montage-eau contemporaine. Du démembrement » à l’ invention » scripturale, les démarches de Gu Wenda, Wu Shanzhuan et Xu Bing nous font penser aux transformations de l’écriture chinoise dans sa longue histoire et plus près de nous, à la réforme des caractères complexes fantizi 繁体字 en caractères simplifiés jiantizi简体字 et à l’utilisation abusive des caractères fautifs pendant la Révolution culturelle. Les trois artistes altèrent l’écriture pour manifester la fragilité de ses formes dans le courant de l’histoire. Du fait de cette fragilité, la technique calligraphique, auparavant indispensable, peut être également décomposée pour que chacune des techniques se libère du contexte lettré et puisse désormais exister pour elle-même. Dans cette logique, la dissociation de l’ensemble des quatre trésors du lettré se produit également. Ces pratiques consistant à démembrer », décomposer », dissocier » s’accompagnent d’emprunts aux expressions occidentales comme l’installation, l’environnement, la performance, la photographie, etc. Ces dernières apparaissant comme des catalyseurs que les artistes chinois auraient utilisés comme des moyens de transformer hua化 les expressions traditionnelles, que ce soit la peinture ou la calligraphie, ou encore la sculpture au sens classique. J’utilise le mot catalyseur » pour suggérer que, pour une grande part, en employant ces formes d’expressions, les artistes ne reprennent pas avec elles le fil d’une histoire de l’art et de la pensée qui en Occident leur donne leur pertinence et leur signification. Entre leurs créations-transformations contemporaines et les héritages lettrés, les formes d’expressions occidentales apparaissent comme un métal favorisant une réaction chimique sans en être altéré. Cette métaphore est certes approximative. Elle me paraît cependant plus pertinente ici que celles de métissage ou d’hybridation tant de fois reprises. Il serait temps de travailler à se donner les moyens de désigner la complexité des échanges entre les cultures à l’aide d’un vocabulaire propre et de concepts neufs échappant aux connotations gênantes qui s’attachent à des mots repris d’une biologie marquée par les idées de race et de fusion organique. Li Shiyan Fig. 1 Xu Bing, Book from the Sky, 1987–91Installation of hand-printed books and ceiling and wall scrolls printed from wood letterpress type, ink on paper, each book, 18 1/8 × 20 in., three ceiling scrolls, each 38 in. × 114 ft. 9 7/8 in., each wall scroll 9 ft. 2 1/4 in. × 39 3/8 in. Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 2 Xu Bing, Square Word Calligraphy Classroom, 1994-6classroom installation with instructional video, model books Introduction to Square Word Calligraphy,copybooks, ink, brushes, brush stands, blackboard, framed student work, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig . 3 Xu Bing, Text pages from An Introduction to Square Word Calligraphy, 1994-6woodblock hand printed book and ink rubbing with wood cover, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 4 Xu Bing, New English Calligraphy – Art for the PeopleMedium ink on paper, Size161 x cm. x in.Courtesy of Xu Bing Studio Fig. 5 Xu Bing, Square Word Calligraphy Classroom, 1994-6Ink on paper, Courtesy of Xu Bing Studio. Fig. 6 Zhang Huan, Family Tree, 2000, New York, USACourtesy Zhang Huan Studio. Bibliographie Cheng, Anne, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997. Erickson, Britta, Words without Meaning, Meaning without Words, The Art of Xu Bing, Seattle et Londres, Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution, University of Washington Press, 2001. Gao, Minglu 高名潞, Qiang, Zhongguo dangdai yishu de lishi yu bianjie墻,中國當代藝術的歷史與邊界 Le Mur, l’histoire et la frontière de l’art contemporain chinois, Beijing, Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2005. Gao, Minglu, Chinese Maximalism 中國極多主義, catalogue d’exposition du 14 au 30 mars 2003 au Millennium Art Museum à Pékin, et ensuite aux États-Unis du 5 décembre 2003 au 1 février 2004, University Buffalo Art Galleries and Museum Studies, State University of New York at Buffalo, USA, Chongqing, Chongqing chubanshe, 2003. Golinski, Hans-Günter, The Body as Intercultural Medium of Communication on the Spiritual Background to the Art of Zhang Huan », Dziewior, Yilmaz, dir., Zhang Huan, Hatje Cantz, Hamburg, 2003, p. 40-47. Gu, Wenda, The Concept of Gu’s Phrase » 《中國簡詞典》的註釋, Sequence 轉序, Hangzhou, fospel, 2014. Li, Xiaozhan 李小山, Dangdai Zhongguohua zhi wo jian當代中國畫之我見Mon point de vue sur la peinture chinoise contemporaine”, Jiangsu Pictorial 江蘇畫刊, n° 7, 1985, p. 13-14. Mollet-Vieville, Ghislain, Art minimal & conceptuel, Genève, Skira, 1996. Shitao 石濤1642-1708, Les Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère 苦瓜和尚話語錄, traduction de Ryckmans, Pierre, Paris, Hermann, 1984. Wang, Yin王寅, Tanbai cong kuan, haohao huibao坦白從寬,好好匯報 Clémence pour qui avoue, bien faire un compte rendu », Southern Weekend 南方周末, 22 août 2014. Wu, Hung 巫鴻, Transcending The East/West Dichotomy A Short History of Contemporaray Chinese Ink Painting », catalogue d’exposition Ink Art Past as Present in Contemporary China, 11 déc. 2013 – 6 avril, 2014, The Metropolitan Museum of Art New York – United States, 2013. Zhang, Yu張渝 et Shen, Min沈瑉, Shufa zhuyi 書法主義Le Calligraphisme, Changsha, Hunan meishu chubanshe, 2003. Ce courant est très peu évoqué dans l’histoire de l’art contemporain chinoise. Lancé par l’artiste Luo Qi 洛齐 en 1992, le courant du Calligraphisme a duré à peu près neuf ans. Pendant ces années, cinq manifestations ont été organisées, dont trois en Chine et deux en Italie. Ces deux dernières réunissaient des artistes chinois, japonais, coréens et moyen-orientaux. Luo Qi aurait voulu que ce courant s’inscrivît dans un contexte à la fois postmoderniste et mondial. Mais les artistes adhérant à ce courant n’ont pas eu un impact aussi fort que Gu Wenda, Wu Shanzhuan et Xu Bing. Il serait intéressant de faire une étude comparatiste pour voir pourquoi ce courant n’a pas été reconnu nationalement et mondialement. À propos de ce courant, voir Zhang Yu张渝 et Shen Min沈珉, Shufazhuyi书法主义 Le Calligraphisme, Changsha, Hunan meishu chubanshe, 2003. [↩]L’inspiration de cette œuvre provient aussi de ses sceaux intitulés Weihanzi tuzhang伪汉字图章Fake Characters Seal Sceaux à caractères erronés, 1983 sur lesquels l’artiste a gravé des écritures erronées de style sigillaire pour interroger la lisibilité et l’illisibilité des écritures anciennes. [↩]Le caractère fautif cuobiezi错别字est altéré de sorte que l’on puisse encore le prononcer et connaître son origine, tandis que le caractère erroné, malgré sa structure graphique, est entièrement illisible et imprononçable. On peut dire que les écritures de style régulier kaishu 楷书 de Gu Wenda sont des écritures fautives et le caractère erroné peut désigner ses écritures de style sigillaire zhuanshu 篆书, très peu utilisé dans la vie quotidienne. [↩]À propos des termes comme shuimo chouxiang ou bien shiyan shuimo yishu 实验水墨艺术 art au lavis expérimental, voir Wu Hung, Transcending The East/West Dichotomy A Short History of Contemporaray Chinese Ink Painting », catalogue d’exposition Ink Art Past as Present in Contemporary China, 11 déc. 2013 – 6 avril, 2014, The Metropolitan Museum of Art New York – United States, 2013. [↩]高名潞Gao Minglu, Qiang, zhongguo dangdaiyishu de lishi yu bianjie墙,中国当代艺术的历史与边界 Le mur, l’histoire et la frontière de l’art contemporain chinois, Beijing, Zhongguo renmin daxue chubanshe, 2005, p. 133. Sa version en anglais est intitulée The Wall Reshaping Contemporary Chinese Art 2005, Beijing, Millennium Art Museum/Buffalo, University at Buffalo, 2005. [↩]L’expression art abstrait » s’applique en Occident à des œuvres très diverses inspirées de philosophies radicalement différentes. Voir Roque Georges, Qu’est-ce que l’art abstrait ?, Paris, Gallimard, 2003. Lorsque l’expression art abstrait » occidentale est introduite en Chine en 1910, on emploie les deux binômes chouxiang抽象abstrait et yishu 艺术 art pour désigner l’ art abstrait ». On peut littéralement traduire chouxiang par abstraire à partir du phénomène/image ». Une expression qui semble malheureusement incomplète et ne pas répondre tout à fait aux sens multiples de la notion d’abstraction de l’Occident. En outre, elle ne saurait concerner l’image de la tradition picturale extrême-orientale, en particulier, en raison du fait que l’on n’a pas la même notion de l’image xiang象 en Occident et en Chine. Le néologisme chouxiang reste ainsi problématique pour certains critiques d’art, comme Gao Minglu par exemple. Voir Gao Minglu, Yipailun, yige dianfu zaixian de lilun 一派论,一个颠覆现代的理论 Théorie du courant du yi, une théorie qui subvertit la représentation Guilin, Guangxi shifan daxue chubanshe, 2009. [↩]Le titre original de cette œuvre est 析世鑒 世紀末卷Xishijian – shijimojuan Analyse d’une réflexion sur le monde – le dernier volume du siècle. Sa traduction en anglais en est An Analyzed Reflection of the World – The Final Volume of the Century. Une partie de cette œuvre fut exposée pour la première fois à la galerie China Art à Pékin en 1988, puis pour la deuxième fois au China National Museum of Fine Arts également à Pékin en 1989. Cette exposition s’intitulait 89现代艺术大展Bajiu xiandai yishu dazhan Exposition d’art moderne chinois 89. En France elle fut reprise sous le nom de Chine Avant-Garde, 1989. Par la suite Xu Bing poursuivit ce travail jusqu’en 1991. L’œuvre complète fut exposée pour la première fois à Tokyo. [↩]L’artiste emprunte le style scriptural des premiers livres en papier apparus à l’époque Han IIe siècle av. IIIe siècle après C. pour réaliser ses rouleaux géants, suspendus librement au plafond pendant l’exposition. Les livres sous forme de codex sont alignés délicatement sur un tapis, par terre. Pour faire ces codex, l’artiste s’inspire d’une forme de livre constitué de feuilles pliées en deux et reliées à la main avec du fil. Cette technique remonte à l’époque Tang VIIe – Xe siècles. Pour la mise en page des codex, Xu Bing se sert d’un modèle de l’époque Qing, de la période Kangxi XVIIe siècle. Ce modèle offre un exemple établissant une distinction raffinée entre le texte et son commentaire. [↩]Les caractères inventés par l’artiste ressemblent beaucoup aux vrais sinogrammes et certains spectateurs passent des jours à essayer de découvrir au moins un caractère lisible. D’autres expriment une réaction confuse mêlant des sentiments de tristesse, d’oppression, et de doute. Voir Erickson Britta, Words without Meaning, Meaning without Words, The Art of Xu Bing, Seattle et Londres, Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution, University of Washington Press, 2001, p. 38. [↩]On commence toujours l’apprentissage de l’écriture chinoise par ce style, où apparaît de façon absolument claire, sans aucune ambiguïté, la structure des caractères. [↩]Comme ceux de Ou Yangxun欧阳修557-641, de Yan Zhenqing颜真卿 709-785, de Liu Gongquan柳公权 778-865, etc. La calligraphie de ces grands maîtres des époques anciennes n’est souvent connue que par des estampages prélevés sur des pierres sur lesquelles ont été gravés les caractères originaux. [↩]Comment maintenir la posture du corps, comment tenir le pinceau et le maîtriser, comment préparer l’encre chinoise, etc. [↩]Gu Wenda, Youguan wode shiyan shuimo de yixie chanshu有关我的实验水墨艺术的一些阐述 Quelques explications à propos de mon art du lavis expérimental », consulté le 9 déc. 2015. [↩]Mollet-Vieville Ghislain, Art minimal & conceptuel, Genève, Skira, 1996, p. 70. [↩]La calligraphie chinoise n’a pas grand-chose à voir avec ce que l’on appelle calligraphie » en Europe. Car la calligraphie chinoise n’est pas une écriture répondant à la notion du beau » au sens occidental. [↩]On dit晋人尚韵jinren shangyun les gens de l’époque Jin 265-420 vénèrent le souffle-résonance, 唐人尚法tangren shangfu les gens de l’époque Tang vénèrent la règle ou la loi. [↩]Étant le plus célèbre chef-d’œuvre de Wang Xizhi, elle est le modèle incontournable et le plus souvent copiée dans le domaine de la calligraphie de l’époque ancienne à nos jours. Malgré la mystérieuse disparition de l’œuvre originale, il existe cependant, à partir de l’époque Tang, plusieurs versions imitées avec des techniques différentes dites moben摹本 fac-similés et keben 刻本version xylographique. Le moben 摹本 est divisé en deux sortes dont le linben 临本 copie et le shuanggou motuoben双钩摹拓本 version des doubles contours, tandis que le 刻本 est également divisé de son côté en deux sortes dont le jizi 集字 modèle d’estampes d’inscription des caractères collectés et le 刻帖 ketie modèle de la gravure sur bois. Autrement dit, il est impossible que Qiu Zhijie linmo 临摹imite directement la reproduction de l’œuvre de Wang Xizhi. Il imite en effet la reproduction du moben 摹本 ou du keben 刻本. Très probablement, Qiu Zhijie est conscient du fait de recopier la reproduction de la copie du zhenji 真迹 écriture authentique de Wang Xizhi. Le geste de Qiu Zhijie semble rendre non seulement hommage à Wang Xizhi mais aussi aux autres grands calligraphes qui, jadis, imitèrent l’œuvre de Wang Xizhi. Dans l’histoire de la calligraphie, il y a deux grands mystères autour de la Préface au recueil du Pavillon des Orchidées. Le premier consiste à savoir où l’œuvre authentique est encore cachée, le deuxième tient à l’attribution de l’œuvre à Wang Xizhi. Cette dernière problématique a été soulevée en 1965 par Guo Moruo郭沫若 1892-1978 qui a émis l’hypothèse de l’impossibilité de l’existence du xingshu 行书 style courant au IXe siècle. Cette hypothèse a suscité ensuite un grand débat connu sous le nom du Lanting lunbian兰亭论辩 Débat du Lanting. Actuellement, on considère que la Préface a été réellement réalisée par Wang Xizhi grâce aux nombreuses découvertes archéologiques dans les années 1990 et 2000 qui témoigneraient de l’existence du xingshu行书au IXe siècle. L’œuvre de Qiu Zhijie semble se moquer de ce débat érudit et sans fin. [↩]Propos de Zhao Xigu 赵希鹄 actif vers 1190-1230 recueillis par Pierre Ryckmans dans sa traduction de l’ouvrage de Shitao 石涛1642-1708, Kugua heshang huayulü 苦瓜和尚话语录Les propos sur la peinture du moine Citrouille-amère, Paris, Hermann, 1984, p. 37. [↩]Montagne et eau shanshui山水, fleurs et oiseaux huaniao花鸟, personnages renwu人物 et animaux dongwu 动物. [↩]Voir Gao Minglu, Zhongguo jiduozhuyi中国极多主义Chinese Maximalism, catalogue d’exposition, du 14 au 30 mars 2003, au Millennium Art Museum à Pékin, et ensuite aux États-Unis du 5 décembre 2003 au 1 février 2004 dans le cadre des University Buffalo Art Galleries and Museum Studies, State University of New York at Buffalo, USA, Chongqing, Chongqing chubanshe, 2003. Voir aussi Li Xianting, Nianzhu yu bichu念珠与笔触, Prayer beads and Brush Strokes, catalogue d’exposition, du 26 juillet au 10 octobre 2003, au Beijing Tokyo Art Projects [Projets artistiques Pékin-Tokyo], et une autre partie se déroula du 26 juillet au 15 août 2003 au Dashanzi Art West District [Dashanzi Art, zone ouest], Beijing, Sanlian, 2003. [↩]Gao Minglu, Ibid., Selon Shen Xiu, Le corps est l’arbre de l’éveil, l’esprit est comme un miroir clair. Appliquez-vous sans cesse à l’essuyer, à le frotter afin qu’il soit sans poussière. » – Propos cités et traduit par Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 407. Selon Li Xianting, la démarche du minimal au maximal » peut se comprendre dans la pratique quotidienne de la méditation bouddhique fondée sur la répétition. Les disciples bouddhistes répètent maintes fois les mots an ma ne ba mi mou唵嘛呢叭咪吽de l’incantation au Bouddha Amitâbha en égrenant leurs chapelets Li Xianting, Ibid., p. 5. [↩]Gao Minglu, Ibid. [↩]Propos recueillis par Hans-Günter Golinski, The Body as Intercultural Medium of Communication On the Spiritual Background to the Art of Zhang Huang, Dziewior Yilmaz dir., Zhang Huan, Hambourg, Hatje Cantz, 2003, p. 40-47, cit. p. 46. [↩]Pendant le déroulement de cette performance, le geste de l’artiste a suscité le mécontentement d’un homme dans le public. Ce dernier est intervenu sans y avoir été invité par l’artiste. Il a voulu boire avec elle en lui reprochant de ne pas avoir fini de boire le thé » de sa tasse. L’artiste fut obligée de renverser le service à thé pour manifester sa colère enfin de continuer sa performance. [↩]Propos recueillis par王寅Wang Yin, Tanbaicongkuan, haohaohuibao坦白从宽,好好汇报 Clémence pour qui avoue, bien faire un compte rendu, Nanfang zhoumo南方周末 Southern Weekend, le 22 août 2014. [↩] Télécharger l’article au format pdf. Article écrit par Pascale Elbaz, Enseignante-chercheure à l’ISIT et chercheuse associée à l’IFRAE Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est. Résumé Pan Tianshou 潘天壽 1897-1971 était un peintre et pédagogue d’art traditionnel chinois. Proche des recherches de Wu Changshuo, il construisit les bases de l’éducation en peinture traditionnelle de la Chine moderne. Selon lui, art chinois et art occidental avaient des racines différentes et toute tentative de mixité ne pouvait que les corrompre l’un et l’autre. Sa peinture était le reflet des critères et des techniques de la calligraphie et de la gravure de sceaux. Pourtant, homme engagé dans la modernisation de la Chine, il s’interrogea sur le moyen de moderniser l’art traditionnel chinois. Liu Haisu 劉海粟 1896-1994 est réputé pour sa peinture à l’huile qu’il apprit dès l’âge de quatorze ans. Il voyagea et séjourna au Japon et en Occident et fonda la première école des beaux-arts de la Chine moderne, l’Académie de peinture chinoise de Shanghai, où il prôna l’apprentissage des deux types de peinture. Mais quelle place doit-on donner à la calligraphie sur un tableau à l’huile, alors même qu’en Occident la pratique du colophon n’existe pas ? Que garder de la ligne issue d’un usage calligraphique du pinceau dans ce nouveau medium qu’est la peinture à l’huile ? À partir de ces deux parcours et à travers le prisme de l’éducation reçue par les artistes et de leur positionnement par rapport à l’Occident, nous réfléchirons à la relation du texte et de l’image dans la Chine moderne. Deux axes retiendront notre attention les partis pris esthétiques des artistes et leur positionnement par rapport à la tradition chinoise ainsi que les recherches plastiques qui en découlent usages de l’encre et de l’huile, qualité du tracé, place du texte et de la signature. Abstract Pan Tianshou 潘天壽 1897-1971 was a painter and a teacher of traditional Chinese Art. Close to the art of Wu Changshuo, he established the foundations of education in traditional painting in modern China. He regarded Chinese and Western art forms as having different roots and that any attempt to conflate the two expressions would only corrupt both of them. His painting is a reflection of the criteria and techniques of calligraphy and seal engraving. Yet, engaged in the modernization of China, he questioned the way to modernize traditional Chinese art. Liu Haisu 劉海粟 1896-1994 is known for his oil painting that he learned from the age of fourteen. He traveled and stayed in Japan and the West and founded the Chinese Painting Academy of Shanghai, the first school of fine arts in modern China, where he advocated the learning of both types of painting. But what space can be given to calligraphy on an oil painting, as colophon does not exist in the West? How does one keep the calligraphic line in this new medium of oil painting? From the creative process of these two artists and through the prism of the education they received and their position toward the West, we will discuss the relationship between text and image in modern China. Two fields will hold our attention first, the general aesthetic principles of the artists and their contribution to blending the Western modernity with the Chinese tradition or keeping them apart and second, the resulting visual research the use of ink or oil, the quality of the line and the space of inscription and signature. Pour les peintres chinois de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, l’art revêt une dimension politique il s’agit de construire la Chine nouvelle, une Chine forte qui regarde vers l’avenir. Que faire, dès lors, de la peinture traditionnelle chinoise, de cette peinture lettrée qui depuis les Song jusqu’aux Qing fut considérée comme le symbole de l’homme cultivé et comme le fleuron des arts mais qui, pour cette même raison, reste porteuse des valeurs d’une tradition que certains voudraient éradiquer ou pour le moins réformer ? Les peintres de cette époque se tournent massivement vers l’Occident, vers une peinture descriptive, objective, réaliste. Les autorités appuient ce choix. La peinture traditionnelle est rejetée comme passéiste, art pratiqué en dilettante et faisant trop de part à l’imaginaire et à la rêverie. Pour les peintres attachés à cet art millénaire, il n’est pas aisé de surmonter la suspicion, voire le rejet de la tradition chinoise par les autorités et, en général, par l’ensemble de l’élite intellectuelle. L’encre garde néanmoins sa place au cœur de la création. À partir des années 1920, certains lettrés calligraphes, ne pouvant plus se présenter aux examens d’État1, deviennent des artistes de métier et vivent de leur pinceau. Il existe alors un marché de l’art sur le territoire chinois et de nombreux échanges avec le Japon. Dans les années 1950, l’État recrute les artistes comme professeurs dans les écoles d’art. La dimension idéologique de l’art s’accentue. Les artistes doivent exprimer des sujets contemporains, refléter les préoccupations du peuple. Les exigences révolutionnaires se surimposent aux exigences de réforme et de modernité. Le souci de réalisme fait place à celui de réalisme socialiste ». Les méthodes de peinture académique française très en vogue au début du XXe siècle sont remplacées par celles de l’Union soviétique, la peinture à l’huile est encouragée, la peinture lettrée et les styles occidentaux impressionnistes et abstraits sont très contrôlés. En ce qui concerne les sujets, les fleurs et oiseaux sont négligés au profit de sujets historiques et le peuple des campagnes devient un sujet privilégié. Puis, de nouveau, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, l’encre regagne la confiance du gouvernement. Nous verrons comment deux peintres chinois nés à la même époque, ayant connu les mêmes élans, les mêmes pressions, vont les traduire dans leur pratique artistique et comment cette traduction va influencer les liens tissés dans leurs œuvres entre la ligne écrite et la ligne peinte. Les œuvres reproduites appartiennent au musée Liu Haisu Liu Haisu Meishuguan et au Pan Tianshou Memorial Museum2. Liu Haisu, peintre moderne tourné vers l’Occident Se nourrir et se former en prenant modèle sur l’Occident est le credo majoritaire des artistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Le curriculum des beaux-arts européens, influencé par le classicisme français, fait son entrée dans l’éducation supérieure. Il comprend l’étude de la composition et de la perspective, le clair-obscur, l’apprentissage tel qu’il est pratiqué à Paris, Berlin ou Londres les études au crayon, la reproduction de la statuaire antique, dont émane un certain idéal du beau, les croquis du corps humain d’après des modèles nus, les dessins d’après nature. Ce modèle occidental s’appuie sur des matériaux jusqu’alors pas ou peu connus – huile sur toile, aquarelle – et sur un support et un format nouveaux – la toile. Liu Haisu 劉海粟 1896-19943 , attiré très jeune par la peinture occidentale xihua, fait partie de ces peintres. Originaire de Qingyunfang dans la province du Jiangsu, il entre à quatorze ans à l’École de peinture chinoise et occidentale dirigée par Zhou Xiang 周湘 1871-1933 à Shanghai. Cette école propose notamment un cours de gouache adapté aux décors photographiques. Elle comprend une vingtaine d’élèves parmi lesquels Liu Haisu et Wu Shiguang 烏始光 1885 -?, qui allaient à leur tour fonder l’Institut des beaux-arts et de peinture de Shanghai4. Créée en 19125, il s’agit de la première académie d’art moderne proposant dans son cursus l’esquisse au fusain, l’aquarelle et la peinture à l’huile et de la première école d’art à introduire les modèles nus en Chine6 ainsi que la peinture de plein air. Liu Haisu y enseigne la peinture occidentale moderne impressionniste et post-impressionniste. Cette peinture, il la connaît pour l’avoir appréciée et pratiquée en Chine dans une des toutes premières écoles d’art inspirées de l’Occident mais également lors de deux séjours en Europe, de 1929 à 1931 et de 1933 à 1935. Dans les capitales occidentales, à Paris, Berlin et Genève7 , il peint et vend ses œuvres, participe à des expositions et en organise. À Paris, il visite de nombreux musées, dont le Louvre, où il copie les chef-d’œuvres qui serviront à ses étudiants à s’approprier les codes de la peinture à l’huile8 et visite toutes les expositions qu’offre la capitale de l’art. Il se sent proche des grands peintres contemporains, Claude Monet 1840-1926, Maurice de Vlaminck 1876-1958, André Derain 1880-1954 mais il s’intéresse aussi aux grands maîtres du XIXe et publiera notamment une Biographie de Jean-François Millet et une Biographie de Paul Cézanne. Pourtant, Liu Haisu ne délaissa qu’un temps la peinture traditionnelle et, mis à part ses périodes de séjour en Occident, il sut toujours rester proche de l’encre, des couleurs éclaboussées et des lignes puissantes héritées de la tradition calligraphique. Il composa ainsi plusieurs essais consacrés à la peinture traditionnelle chinoise, dont Huangshan tanyi lu黃山談藝錄 [Recueil de propos sur l’art] et consacra la dernière décennie de sa vie à peindre des vues du Huangshan, passant d’une technique à l’autre et cherchant, à travers ces médiums, à capter l’infinie variété des monts et nuages9. Liu Haisu forma quantité de peintres pendant les quarante années de sa carrière qui précédèrent la révolution de 1949 et partage, avec Xu Beihong徐悲鴻 1895-1953, la paternité de la peinture moderne chinoise. Néanmoins, ses prises de position en faveur des avant-gardes occidentales et son opposition à Xu Beihong sur ce sujet ainsi que son manque de connaissance tactique en matière de politique ne lui permirent pas d’accéder à un poste à la hauteur de son talent pendant les trente premières années de la République populaire. Malgré une exposition personnelle à Shanghai en 1956, ce n’est qu’après 1978 qu’il bénéficia d’une reconnaissance de la part des autorités avec une grande exposition au Musée National de Pékin et des expositions à Hong Kong et au Japon en 1980 et 198110. Parallèlement à ce courant dominant, il existe des peintres qui pensent que l’intégration de l’art traditionnel au présent de la Chine est essentielle à la formation de l’identité chinoise du XXe et que volonté de réforme » peut rimer avec tradition »11. Pan Tianshou, peintre moderne tourné vers la tradition Pan Tianshou12 潘天壽 , né dans un village des montagnes du district de Ninghai寧海 au Zhejiang 浙江, reçut d’abord une éducation traditionnelle individuelle. Il entra à quatorze ans dans une école primaire gouvernementale, où il reçut un enseignement de type moderne inspiré de l’enseignement occidental. Après l’école, il pratiquait la calligraphie, la peinture traditionnelle et la gravure de sceaux. Il travaillait seul à partir de l’album de peinture appelé Jieziyuan huapu 芥子園畫譜 [Manuel de peinture du jardin des graines de moutarde] et à partir de livres reproduisant les modèles de calligraphies célèbres. Diplômé de la Première École normale du Zhejiang à Hangzhou, il partagea les aspirations de la jeunesse autour du Mouvement du 4 mai 1919. Il enseigna les arts traditionnels d’abord à l’École des ouvrières chinoises à Shanghai en 1923 puis dans le département de peinture traditionnelle du Collège des arts de Shanghai13. En 1926, il publia une Histoire de la peinture traditionnelle chinoise14 et la même année fonda l’École des beaux-arts de la Chine nouvelle de Shanghai15 où il occupa le poste de direction du département de l’éducation artistique. En 1928, à la fondation de l’Institut national des beaux-arts du lac de l’Ouest16, il s’installa à Hangzhou et devint le doyen de la section de peinture traditionnelle. Après 1937, il enseigna dans différentes provinces chinoises et notamment à l’École nationale professionnelle des arts17. En 1944, il fut nommé président de l’Académie nationale des arts, qu’il présida jusqu’en 1947. En 1959, il devint président de l’Académie des arts du Zhejiang18 aujourd’hui l’Académie chinoise des arts, et le restera jusqu’en 1967. La pression politique s’accentuant, il fut accusé, persécuté et torturé pendant la Révolution culturelle et mourut en 1971. Il chercha toute sa vie à encourager la renaissance d’une peinture de style traditionnel. Il faisait partie des artistes qui pensaient que l’art chinois et l’art occidental avaient des racines complètement différentes qu’il ne fallait pas chercher à combiner, que les deux peintures devaient rester séparées et que la peinture chinoise pouvait développer ses propres réalisations et utiliser ses propres caractéristiques pour exceller. Cela ne signifiait pas qu’il ne devait y avoir aucune communication entre les deux arts, mais cette communication devait conduire à leur mise à distance. L’art chinois ne devait pas chercher à s’aligner sur l’art occidental, qu’il s’agisse du contenu manifesté par une œuvre ou du langage formel dans lequel elle était construite19. Il prit position pour un art national gardant sa spécificité tout en s’intégrant au contexte mondial Les peintures chinoise et occidentale doivent garder leurs distances, chaque artiste doit développer un style original, et même si à une époque donnée correspond un certain mode de pensée partagé de par le monde, la façon dont les œuvres d’art manifestent cet esprit du temps, leur style formel, doivent être les plus variés possible. »20. Ainsi s’exprime Pan Tianshou en s’adressant à son fils Pan Gongkai潘公凱 né en 1947 attiré par la peinture moderne occidentale. Cette explication d’un père à son fils est à replacer dans le contexte de l’influence de l’art européen, mais aussi du réalisme soviétique sur les jeunes générations. Or Pan Tianshou voulait préserver l’indépendance de l’art chinois, un art qui, selon lui, se fondait sur la philosophie plus que sur la science, mettait en valeur l’émotion et le sentiment de l’artiste plus que la fidélité à la nature. Là où la peinture occidentale utilisait la perspective et la proportion, la peinture chinoise se servait de la ligne, du trait de pinceau, et, sur une surface plane, les jeux du pinceau et de l’encre suggéraient le relief et donnaient forme à l’émotion du peintre. Pour redonner de la vigueur à la peinture traditionnelle chinoise, Pan Tianshou proposa d’établir des cours de poésie, de calligraphie et de gravure de sceaux dans le cursus des études d’art. C’est ainsi que les artistes formés à l’école du Zhejiang, versés dans les arts traditionnels chinois, avaient peu de points communs avec les artistes sortant de l’Académie centrale des beaux-arts de Pékin fondée par Xu Beihong et sous influence du réalisme soviétique. On parle de la nouvelle école Zhe » pour désigner de style de Pan Tianshou et de ses élèves. Malgré une visite au Japon en 1924 avec Lin Fengmian林風眠 1900-1991 et une autre visite en 1929 comme membre de la Délégation chinoise de l’art au cours de laquelle il découvrit les musées et collèges d’art, il eut peu de relations avec des étrangers. Toutefois, on ne peut dire que les prises de position de Pan Tianshou viennent d’une méconnaissance de l’art occidental. Il eut en effet comme professeur Li Shutong李叔同 1880-1942, qui avait été formé au Japon à l’École des beaux-arts d’Ueno, où il avait étudié entre 1905 et 1910 le dessin, l’aquarelle et la peinture à l’huile. A son retour en Chine, Li Shutong, plus connu sous son nom de moine bouddhiste Hongyi Dashi弘一大師, rejoignit l’École normale du Zhejiang de Hangzhou. Il fut le premier pédagogue chinois à enseigner le dessin au fusain d’après modèle en plâtre ainsi que la peinture de plein air. Pan Tianshou était également au courant des recherches japonaises sur l’histoire de l’art chinois et notamment du livre de Nakamura Fusetsu et de Kojika Seiun intitulé Shina kaiga shi [Histoire de la peinture chinoise]21. Ce livre retrace la trajectoire de la peinture chinoise depuis les Sages rois de la Chine antique jusqu’aux Qing et adopte le schéma tripartite hérité de l’époque des Lumières histoire ancienne, médiévale et moderne. Cette vision de l’art chinois comme doté d’une forte cohérence à travers le temps inspira Pan Tianshou pour l’écriture de son ouvrage Zhongguo huihua shi 中國繪畫史 [Histoire de la peinture chinoise] 1926. Des chemins divergents En 1919, les deux peintres participent au Mouvement du 4 mai à Hangzhou. En 1925, ils œuvrent à la rédaction d’une déclaration commune dans la revue Shenbao 申報 avec Zhu Wenyun et d’autres professeurs. Durant l’été 1933, les peintres produisent ensemble un rouleau suspendu, Shuyin xiaoqi 樹蔭小憩 [Repos à l’ombre d’un arbre], où Liu Haisu peint le cheval et Pan Tianshou le paysage alentour. L’ensemble est signé et porte trois sceaux de Liu Haisu qui viennent parachever cette œuvre de jeunesse. La même année, en mai et juin, des œuvres des deux peintres sont présentées à Paris au Musée du Jeu de Paume, lors d’une grande exposition de peintures chinoises anciennes et contemporaines organisée sous l’impulsion et la direction de Xu Beihong. Pan Tianshou enseigna la peinture traditionnelle chinoise au sein de l’École des beaux-arts de Shanghai et, à sa mort, Liu Haisu lui rendit un vibrant hommage22 Les deux peintres, dans un même élan vers la modernité, choisirent pourtant des voies d’expression divergentes. L’œuvre de Pan Tianshou Les sources visitées et réinterprétées Pan Tianshou fait partie de ces peintres qui recherchent l’innovation dans le contexte de leur héritage culturel. Dans la même lignée, citons Wu Changshuo吳昌碩 1844- 1927, Qi Baishi齊白石 1864-1957, Huang Binhong黃賓虹 1855- 1965. Pan Tianshou cherche inspiration chez les maîtres anciens avec pour visée de régénérer la dimension réaliste de la peinture traditionnelle. Il a fait siennes ces formules de Shitao石濤 1642-1707 Balayer passé et présent pour qu’advienne la grande joie » et Rechercher les sommets les plus extraordinaires et les croquer sur le champ »23. La liberté et la joie de la création sont au prix du balayage » de la tradition et des règles édictées par la modernité. La véritable source est la nature, tantôt étrange, tantôt superbe, que le peintre doit saisir en un instant. Comme nombre de ses contemporains, Pan Tianshou est à la fois calligraphe, peintre et poète. Il s’inscrit dans la tradition en incluant dans ses peintures poésie et empreintes de sceaux. Il inscrit également des éléments d’épigraphie jinshi 金石,c’est-à-dire des éléments copiés d’après d’anciennes inscriptions sur bronze et sur pierre. Il est proche de Wu Changshuo qu’il a rencontré à Shanghai et avec qui il s’est lié d’amitié. Comme lui, il juxtapose la copie d’anciennes inscriptions sur pierre avec des fleurs, rochers et bambous peints, mais il donne à ses peintures une dimension monumentale, brouille les repères entre les genres en créant des peintures de fleurs et d’oiseaux de type xieyi et du format d’une peinture de paysages et développe un style personnel. S’il s’inspire des maîtres anciens ou de ses contemporains, jamais il ne produit une copie à l’identique. Il peint au pinceau mais également aux doigts, s’inspirant du peintre Gao Qipei 高其佩 1660-1734 de la dynastie des Qing. Une disposition originale des inscriptions Dans le rouleau horizontal reproduit ci-dessous et intitulé Le moine chauve 秃头僧, on peut deviner le texte écrit en volutes de fumées Yi shen fannao zhong xie ci tutou 一身煩惱中寫此禿頭,Ren xu壬戌, A shou阿壽 [Complètement frustré, je fais le portrait du moine chauve. L’année Renxu 1922. A Shou.] » Le sceau, inscrit en creux, précise Ninghai nongmin Pan Tianshou zhi zhan寧海農民潘天授之章 Sceau du fermier de Ninghai Pan Tianshou » [ Le tracé volontairement indécis et mouvant des caractères fait directement écho aux lignes éphémères de la fumée d’encens et au contour grossier et énergique de la robe. Manifestement, l’artiste s’amuse ici. Il gardera de ses années de jeunesse le sens de l’humour et le goût des sujets empruntés à la vie quotidienne, insignifiantes figures des poussins qui picorent ou buffle d’eau aux dimensions colossales. À des sujets anodins, il donne une dimension d’étrangeté. Le temps de l’insouciance ne dura pas et il lui fallut quitter durant deux décennies les personnages, les fleurs et les oiseaux pour se tourner vers une dimension plus sociale. Sur le plan formel, les jeux d’encre et de pinceaux firent place à des recherches de simplification et de structuration de la ligne. Fig. 1 Pan Tianshou, Tutou seng [Le moine chauve], rouleau horizontal, 1922. Pan Tianshou chercha à s’acclimater à l’exigence de modernité et à introduire dans ses œuvres des éléments de socialisme traduisant ses élans révolutionnaires. Autour des années 1950-1952, sa peinture prit pour sujet des scènes retraçant la vie des campagnes, notamment le retour à la campagne des élites. Dans la peinture reproduite ci-dessous, on peut voir un slogan inscrit en caractères rouges sur une bannière Planter des courges pour la fête du Printemps zhonggua du chunjie種瓜肚春節 » et une inscription en haut et à gauche du tableau en deux lignes superposées. Ce texte se lit de haut en bas et de droite à gauche Jiefanghou dizhu ye canjia shengchan laodong 解放後地主也參加生產勞動et signifie Après la Libération, les propriétaires terriens participent également à l’effort de production ». [Fig. 2] Fig. 2 Pan Tianshou, Jiefanghou dizhu ye canjia shengchan laodong [Après la Libération, les propriétaires terriens participent également à l’effort de production], 1950. Dans la peinture ci-dessous extraite de Jiangshan ruci duoqiao江山如此多嬌 [Le Jiangshan est une région si merveilleuse] datant de 1959, Pan Tianshou revisite la technique du paysage traditionnel bleu et vert sans ride ni travail sur la texture mais avec un trait de contour très appuyé. L’image sort du cadre, comme s’il était impossible au peintre de rendre toute la magnificence du lieu. Le contexte de ce tableau est la collectivisation et l’industrialisation des campagnes pendant le Grand Bond en avant. Il s’agissait d’exalter la Chine nouvelle et de trouver le trait et la composition correspondant à cette modernité un contour appuyé, pas de détails superflus, un texte réduit au minimum et présenté sur deux lignes superposées, un style d’écriture simple et sans fioriture [Fig. 3]. Fig. 3 Pan Tianshou, Jiangshan ruci duoqiao [Le Jiangshan est une région si merveilleuse], 1959. Détail. Même quand ses sujets ne toucheront plus au peuple des campagnes, quand les inscriptions sur ses tableaux n’auront plus à manifester une vue politique, à s’afficher tel un slogan, l’artiste gardera de cette période la disposition en lignes parallèles. Cette période tournée vers le réalisme socialiste prit fin et la poésie ou la simplicité de la vie quotidienne reprirent le dessus dans le contenu des inscriptions, comme sur cette peinture intitulée L’aube 1964, qui fait la couverture du catalogue de l’exposition qui eut lieu en 1982 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et où il est écrit Zhaori zhaoxia wuxian hao, hua guangyan ying shuiyun han 朝日朝霞無限好 花光艷照水雲酣 [L’aube a la beauté indécise d’un crépuscule ; l’éclat des fleurs se reflète dans l’onde ; les nuages sont ivres] ». Le poème est disposé sur deux lignes et se lit de droite à gauche horizontalement, la première puis la deuxième ligne comme sur les deux peintures précédentes. Suivent la date yijiuliusi nian一九六四年 [1964] jiachen chuqiu甲辰初秋 [année Jiachen, début de l’automne] et la signature Leipotoufeng Shou雷婆頭峰 壽 [Fig. 4]. Fig. 4 Pan Tianshou, Zhaoxia 朝霞 [L’aube aux nuages irisés],1964. Sur les peintures de Pan Tianshou, la répartition des caractères est très libre et, même si l’écriture verticale est le plus souvent utilisée, on trouve parfois des inscriptions réparties entre des colonnes de hauteur inégale et très espacées, l’espace entre les colonnes étant partie intégrante de la composition et du contraste que celle-ci offre entre le dense et l’épars, comme sur la peinture ci-dessous dépeignant l’ascension d’une montagne Dengshan 登山 [Fig. 5]. C’est le style cursif qui est ici choisi pour l’inscription avec des caractères fins et allongés qui font penser à ceux qu’adopta Li Shutong Hongyi Dashi après sa conversion au bouddhisme. La recherche spirituelle était une préoccupation de Pan Tianshou et nourrissait son travail de peintre au même titre que l’aspiration à la modernité. Fig. 5 Pan Tianshou, Dengshan [Ascension]. Une ligne calligraphique puissante et vive La peinture de Pan Tianshou répond aux critères d’évaluation esthétiques de la calligraphie. Il cherche le guqi骨氣, mot à mot os/souffle » pour une peinture de caractère à l’ossature solide, pétrie d’un souffle puissant. Le concept de guqi s’applique à la fois à l’intégrité morale et à la vigueur du tracé24. Au sens propre, gu renvoie au corps tel qu’il apparaît et tel qu’il est vu, appréhendé, apprécié lorsqu’il s’agit de juger du caractère des êtres humains, ou, dans une visée plus esthétique, d’apprécier leur allure comme il était d’usage en Chine ancienne depuis les Six Dynasties. Qi renvoie à la qualité du souffle, à la qualité énergétique d’un être, à ce qui émane de lui. Cette apparence et cette émanation concernent tout à la fois le physique et le caractère la qualité de guqi s’applique à une personne au caractère ferme, qui ne s’effraie pas de la moindre difficulté, qui ne plie ni ne tergiverse. Transposé au tracé calligraphique, gu renvoie non plus au corps humain mais au corps du sinogramme, à la force du tracé et à la puissance de la construction, qi au momentum, à la force du mouvement. Dans ce couple de caractères, gu est une puissance contenue, qi la met en mouvement. C’est ainsi par un trait calligraphique puissant et par l’usage du pinceau qui le produit que le peintre définira la forme, le volume et la composition d’ensemble de son œuvre. Le flot d’énergie sur la surface de la toile surgit alors, comme généré par cette force du trait. Et c’est la force de cette ligne calligraphique qui, se mariant à la variété et au caractère concret des sujets puisés dans la vie quotidienne, fait la particularité de Pan Tianshou. À l’intérieur d’un même espace, la frontière entre lignes écrites et lignes peintes se brouille dans Ying ri 映日 [Journée ensoleillée] 1964, aux taches d’encre de la feuille de lotus répondent ses fines nervures, au mouvement ferme et ascendant des herbes répond la ligne calligraphique descendante. Maniant son pinceau avec force et simplicité, il produisait des traits épais qui brusquement s’affinaient, donnant un rythme, une pulsation à l’ensemble de la composition. La dialectique entre l’espace vide et les formes écrites et peintes Que la peinture de Pan Tianshou soit le reflet des critères et des techniques de la calligraphie et de la gravure de sceaux se perçoit dans la force contenue ou évidente de son tracé mais également dans la disposition des éléments de paysages comme de ses caractères écrits. Comme un calligraphe donne une impulsion à ses caractères, qui doivent apparaître chacun au bord du déséquilibre bien qu’intégrés dans un équilibre d’ensemble, le peintre pousse le déséquilibre des formes à son paroxysme, parfois jusqu’au vertige. Il joue avec l’espace, installe des correspondances entre les espaces vides et les formes esquissées, comme dans ces Poissons 196225 où la disposition des figures et l’immensité du vide entre elles sont un élément déterminant de la composition, la ligne calligraphiée verticalement ressemblant étonnamment à un fil de pêche. Ses compositions jouent sur l’équilibre improbable des lignes tracées d’un geste sûr et rapide, un brin désinvolte, des herbes denses disposées en diagonale et d’un vaste espace vide que seule une inscription vient habiter. La tension et l’énergie générées par ces compositions asymétriques sont des principes de base hérités de la calligraphie. Certaines compositions, moins étonnantes, moins audacieuses aussi, jouent néanmoins sur l’écho des lignes peintes et des lignes écrites comme sur la peinture d’une branche de jujubier où les branches, aiguës et anguleuses s’entremêlent à l’inscription en écriture de chancellerie, qui semble être faite du même bois » que l’arbre. Fig. 6 Pan Tianshou, Yingri hehua bieyang rong [Les fleurs de lotus sous le reflet du soleil sont rouge vif]. Les inscriptions en écriture de chancellerie donnent aux peintures de Pan Tianshou une saveur antique, un trait puissant hérité de la gravure sur pierre et renforcent l’aspect structuré de ses compositions, comme dans l’œuvre reproduite ci-dessous, Yingri hehua bieyang rong映日荷花別樣紅 [Les fleurs de lotus sous le reflet du soleil sont rouge vif] [Fig. 6]. Le trait du calligraphe imite le stylet du graveur, rend son trait rugueux, mimant avec son pinceau de poils » la résistance du support au pinceau de fer ». Pourtant, la courante et la cursive sont les genres calligraphiques que l’artiste affectionne le plus. C’est d’ailleurs en cursive que sont tracées les signatures de l’auteur. Dans les années 1960, la construction de nouveaux bâtiments publics et d’hôtels bat son plein. Pan Tianshou saisit cette opportunité pour produire des œuvres monumentales, répondant à une forte demande de décoration de halls d’expositions, d’hôtels et autres bâtiments nouvellement construits. En 1962, lors de son exposition à Shanghai, une quarantaine de ses œuvres ont une hauteur supérieure à six mètres. Ces formats hors norme accentuent encore l’impression d’étrangeté et le caractère imposant des toiles du maître et lui offrent un espace élargi pour ses recherches sur les jardins. Le texte en écriture de chancellerie fait alors office de stèle sans support et trouve une place légitime dans l’espace pictural. Qu’il s’agisse d’écriture régulière ou cursive, Pan Tianshou cherche un équilibre entre le style calligraphique et le sujet peint, optant pour un tracé tantôt léger et méditatif, rapide et plein d’élan, tantôt posé et structurant. L’œuvre de Liu Haisu Un peintre moderne assumant deux héritages Fig. 7 Liu Haisu, Hangzhou Lingyin [Le bois Lingyin à Hangzhou], 1954. Dans le mouvement de la peinture occidentale qui se répand en Chine, deux pôles attirent les artistes le naturalisme et le formalisme. Le naturalisme tend à se placer au plus près du modèle, le formalisme privilégie une autonomie des formes et des styles indépendamment de la ressemblance au sujet. Liu Haisu et ses amis et collègues s’inscrivent dans ce second mouvement et leurs œuvres se rapprochent du fauvisme. Au début des années 1930, la fondation de l’association Tempête composée d’artistes formés pour la plupart en France s’inscrit dans cette mouvance. Il s’agit de promouvoir les dernières nouveautés techniques européennes. Pang Xunqin 龐薰琹 1906-1985, dans le manifeste de l’association, constate la décadence culturelle de la Chine et fait la promotion du formalisme, seule voie artistique possible pour entrer de plain-pied dans la modernité artistique mondiale26. Dans le tableau reproduit ci-dessus Hangzhou Lingyin 杭州靈隱 [Le bois Lingyin à Hangzhou] [Fig. 7] on reconnaît la mixité des techniques chinoise et occidentale. D’allure résolument moderne, cette vue de Hangzhou est pourtant redevable de plusieurs millénaires de peinture à l’encre, comme le montrent le tracé nerveux des arbres et les touches rapprochées des feuilles. Le texte est réduit au minimum et en symbiose avec les troncs d’arbres verticaux à proximité. Liu Haisu, épris de peinture à l’huile et tout à son attachement à la tradition de l’encre, va chercher l’intégration des techniques mais aussi des pensées sur lesquelles elles s’appuient. Un nouveau terme est alors créé, qui va faire le trait d’union entre l’esthétique lettrée et la peinture moderne occidentale xiantiao 線條, la ligne27. En peinture, on utilisait jusqu’alors les techniques des rides » cun 皴 et des points » dian 點. Le terme ligne » xiantiao synthétise ces deux techniques en un concept global qui souligne l’importance du trait de pinceau » dans le travail du peintre. Celui-ci ne doit pas se contenter de copier la nature, de rechercher à tout prix la ressemblance formelle xingsi 形似, mais s’autoriser une recherche libre de la forme par l’autonomie de la ligne, au service de la captation et du rendu du rythme spirituel » qiyun 氣韻. C’est ainsi que Liu Haisu peut à la fois se présenter comme peintre d’avant-garde et rester au plus près des valeurs premières de la tradition. Dans la préface au catalogue de l’exposition d’art chinois qui eut lieu à Genève en 1934, Liu Haisu fait référence aux six lois »28 édictées par le peintre et critique d’art Xie He謝赫 532-549 dans la préface de son ouvrage Sur la peinture, [Gu]huapinlu29. L’auteur commente Ce que le Chinois exige avant tout d’une œuvre d’art, c’est qu’elle ait du guqi [caractère] ». Pour donner à l’œuvre ce caractère, c’est la première des lois qui semble essentielle à ses yeux par le rythme vital, produire le mouvement ». Une synthèse théorique la ligne calligraphique et la touche Fig. 8 Liu Haisu, Xianshan rongye [Les feuilles rouges de Xianshan], 1978, huile sur toile. Cette loi est particulièrement bien illustrée dans la peinture reproduite ci-dessus, Xianshan rongye 香山紅葉 [Les fleurs rouges de Xianshan] » [Fig. 8]. L’expression qiyun, qui peut sembler abstraite, renvoie au nerf » d’une œuvre littéraire, à l’ âme » d’une peinture. Elle est synonyme de résonance intérieure, de résonance des souffles, avec 氣 qi énergie vitale » et 韻 yun harmonie, résonance ». Le peintre procède par touches rapides et serrées posées avec régularité mais sans minutie pour donner une impression de vie et de mouvement. Les troncs et branches aux contours fermes forgent une stabilité d’ensemble. On peut reconnaître ici le trait hérité de la tradition calligraphique qui permet une grande précision dans le rendu des objets. Les couleurs vives héritées du post-impressionnisme donnent au tableau une allure vivifiante. La référence à Van Gogh Fan Gao 梵高, dans le colophon, dit assez la permanence de son héritage européen. La pratique du colophon sur la toile et à l’huile Fig. 9 Liu Haisu, Xiamen riguang yan [Rocher au soleil à Xiamen], 1982, huile sur toile. Liu Haisu reste fidèle à la pratique lettrée depuis les Song du colophon, poème inscrit sur la peinture. Sur ses œuvres à l’encre et aux pigments, les poèmes ont une teneur et une disposition traditionnelles. Sur ses toiles, un poème vient nourrir le tableau, transposant sur une peinture à l’huile la pratique du colophon. Sur la peinture Les feuilles rouges de Xianshan, bien que la toile remplace le papier xuanzhi et l’huile l’encre liquide, le peintre perpétue la tradition en choisissant une couleur proche de l’encre noire. Ce n’est pas toujours le cas le peintre s’amuse à varier les couleurs de l’inscription en fonction de la couleur du fond, produisant tantôt un effet de contraste comme dans cette peinture de pavillon, Jiaxiu lou 甲秀楼 datée de 1985 où l’inscription est d’un rouge grenat, tantôt un effet d’harmonie et d’intégration. Là où, en peinture traditionnelle, l’artiste cherche le rapport contrasté de l’encre noire et le blanc du support, Liu Haisu trace l’inscription à l’huile de couleur et les caractères, tout en ressortant du fond coloré, tendent à s’y mêler quelque peu. Dans le tableau ci-dessus, Xiamen riguang yan廈門日光岩 [Rocher au soleil à Xiamen] [Fig. 9], on peut voir l’harmonie et le contraste entre l’inscription bleue et grise soutenue et le fond rosé. L’inscription fait partie intégrante du tableau, elle se lit À la pointe d’étranges roches, d’autres roches encore, en dehors des pics acérés, d’autres pics encore, les rayons de soleil au sommet des pics ouvrent l’ombre des nuages, à l’ombre de la verdure s’ouvre une terrasse grandiose »30. La lisibilité peut parfois être compromise par le choix des couleurs et du fondu ». Dans cette vue du Huangshan datée de 1981, Xihaimen zhuangguan西海门壮观 [La sublime porte de Xihai] [Fig. 10] le peintre réduit l’inscription à sa plus simple expression nom de la peinture, signature et date. L’inscription se fond dans les bleus des nuages – ailleurs, ce sera sur un fond de ciel ou d’eau – encore visible, mais à la frontière du lisible [Fig. 11]. D’autres exemples pourraient être donnés, mais le manque de lisibilité des inscriptions rend leur reproduction dans cet article difficilement exploitable. Fig. 10 Liu Haisu, Xihaimen zhuangguan [La sublime porte de Xihai], 1981. Fig. 11 Liu Haisu, Xihaimen zhuangguan, 1981. Détail. On aurait pu s’attendre, pour un peintre porteur des deux traditions chinoise et occidentale, à des recherches sur l’utilisation de l’alphabet latin. Sur certains tableaux, l’auteur signe en lettres latines et horizontalement Liu Haisu » mais sa signature chinoise verticale trouve place néanmoins dans un autre espace du tableau. Dans son tableau Bali shengxinyuan 巴黎圣心院 daté de 1931, créé à l’époque de son premier séjour à Paris, on trouve même le titre du tableau en français et en caractères d’imprimerie LA BASILIQUE DU SACRE-CŒUR » [Fig. 12]. Les lettres ont la couleur du chemin qui mène à la basilique. Mais ces essais semblent être restés ponctuels dans la production du peintre et ne pas avoir donné lieu à davantage de recherches sur l’utilisation de l’alphabet latin dans le texte des inscriptions. Liu Haisu, Bali shengxinyuan [La Basilique du Sacré-Cœur], 1931. Détail. Pan Tianshou et Liu Haisu ont été deux grands peintres du XXe siècle en Chine. Leurs points communs résident dans une volonté de moderniser l’art pour participer à travers lui à la modernisation de la Chine et dans une grande admiration pour la tradition. Pan Tianshou a choisi de moderniser la peinture chinoise de l’intérieur », Liu Haisu en allant puiser à des sources occidentales. Pan Tianshou a cherché dans les racines de l’art chinois des lois et des motifs qu’il a réinterprétés en s’inspirant de l’ air du temps ». Liu Haisu a tenté la synthèse des théories picturales traditionnelles avec les pratiques venues d’Europe. Ces partis pris esthétiques conditionnent dans leurs œuvres les rapports étroits et animés entre la ligne écrite – colophon et signature – et la ligne ou la touche peinte du tableau. Pan Tianshou s’est inspiré des principes de la calligraphie, du dosage entre force et légèreté, épaisseur et finesse, vide et plein, déséquilibre d’un élément dans un équilibre d’ensemble pour traiter avec cohérence le rapport entre les lignes écrites et peintes. Liu Haisu s’est inspiré des principes de la peinture chinoise, en particulier de la nécessité de créer sur la toile une pulsation vitale tout en puisant dans la gamme des traits et la palette des couleurs de la peinture moderne occidentale, innovant par cette recherche de mixité mais restant traditionnel quant à l’emplacement des textes et les styles utilisés. En un mot, Pan Tianshou écrit ses peintures, restant avant tout attaché à la ligne écrite, au tracé du calligraphe ; Liu Haisu peint ses textes et ses paysages, demeurant fidèle à la ligne peinte, démarcation naturelle ou accentuée entre les couleurs. Pascale Elbaz Bibliographie Boissier, Jean-Louis dir., Cinq grands peintres chinois, La tradition au XXème siècle, Musée d’art moderne de la Ville de paris, 20 mars – 12 mai 1982. Cantor, Iris & B. Gerald, Tracing the Past Drawing the Future, master ink painters in twentieth- century China, Center for visual arts, Stanford, Stanford University Press, 2010. Cohen, Joan Lebold, The New Chinese Painting, 1949-1986, New York, Harry N. Abrams, 1987. Elbaz, Pascale, Bichu yu shuxie Liu Haisu zuopinzhong de xihua yingxiang 笔触与书写 刘海粟作品中的西画影响 [Touche peinte et ligne écrite influence de la peinture occidentale dans les œuvres de Liu Haisu] » Ningyue Li 李宁玥 trad., dans Yatai yishu 亚太艺术 édité par Yang Xiaomin 杨小民. Nanjing, Nanjing daxue chubanshe, 2017, p. 112-118. Elbaz, Pascale, La place de l’os, gu, dans les traités de calligraphie chinoise », dans Li Xiaohong dir., Calligraphie chinoise théorie et application à l’enseignement, Paris, You Feng, 2017, p. 55-70. Huang, Miaozi 黄苗子, Huatan shi you lu 画坛师友录 [Les amis du Maître du Cercle de peinture], Beijing, Sanlian shudian, 2007. Janicot, Éric, 50 ans d’esthétique moderne chinoise – Tradition et Occidentalisme 1911-1949, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997. Kao, Mayching, China’s réponse to the West in Art 1898-1937, Thèse de doctorat, Standford University, 1972. Lefebvre, Éric dir., Peintres chinois à Paris, Paris, Paris-Musées, 2011. Lefebvre, Éric, notices de deux peintures de Liu Haisu, Gushan et La Neige au Luxembourg dans Lefebvre Eric dir., Peintres chinois à Paris, Paris, Paris-Musées, 2011, p. 62-65. 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Pan, Gongkai 潘公凯, Zhongxi huihua yao lakai juli 中西绘画要拉开距离 [Les peintures chinoise et occidentale doivent garder leurs distances] —— Cong wo fuqin Pan Tianshou de yiduan hua tanqi 从我父亲潘天寿的一段话谈起 [Discussions sur cette formule de mon père Pan Tianshou] », Beijing, Zhongguo hua yanjiuyuan 中国画研究院, Zhongguo hua yanjiu 中国画研究, 1981 premier semestre. Pan, Gongkai潘公凯, Pan Tianshou Master of Chinese ink painting » dans Cantor Iris &B. Gerald, Tracing the Past Drawing the Future, 2010, p. 434-405. Pang, Xunqin, Manifeste de l’association tempête », Magazine d’art décadaire, n° 5, Shanghai, octobre 1932, dans Janicot Eric, 50 ans d’esthétique moderne chinoise – Tradition et Occidentalisme 1911-1949, Paris, Publications de la Sorbonne, 1997, p. 175. Roberts, Claire, The art of Pan Tianshou’, in Cao Yiqiang, Fan Jingzhong dir., Chinese Painting in the Twentieth Century Creativity in the Aftermath of Tradition, Hangzhou, Zhejiang renmin meishu chubanshe, 1997. 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Hong Kong Museum of art Revitalising the Glorious Tradition The Retrospective Exhibition of Pan Tianshou’s Art » Until Contemporary Hong Kong Art Gallery [consulté le 25/01/2020]. Les examens impériaux furent supprimés en 1908 et un système d’éducation moderne fut mis en place, inspiré du système occidental et laissant davantage de place aux enseignements pratiques. [↩]Tous droits réservés. [↩]Liu Pan劉槃, nom social Jifang季芳. Pour une présentation complète de l’œuvre et de la vie de Liu Haisu, voir Xie 2002. Pour un accès direct à ses écrits, Zhu et Yuan 1987 et Liu 1957. Pour des analyses esthétiques, voir notamment Cohen 1987, Janicot 1997, Elbaz 2017. [↩]La Shanghai tuhua meishuyuan上海圖畫美術院 , qui allait devenir l’École spéciale des beaux-arts de Shanghai 上海美术专门学校 Shanghai meishu zhuanmen xuexiao en 1921. [↩]Sous l’impulsion de Cai Yuanpei 蔡元培 1868-1940, des écoles supérieures des beaux arts furent créées à Pékin en 1918, Nankin en 1927, Hangzhou en 1928. [↩]Hommes 1914 ; femmes 1920. En 1917, Liu Haisu et Wu Shiguang organisèrent une Exposition nationale de l’Institut des beaux-arts de Shanghai, où, pour la première fois en Chine, ils exposèrent des représentations de nus. [↩]Voir Liu 1934. [↩]Liu 2006, p. 9 ; voir les reproductions de deux tableaux acquis par le musée du Jeu de Paume, Gushan et La Neige au Luxembourg et leurs notices écrites par Éric Lefebvre dans Lefebvre 2011, p. 62-65. L’autrice de cet article a entrepris la traduction de Ouyou suibi ainsi que l’écriture de deux essais traitant de la période européenne de Liu Haisu sur le plan de la copie d’œuvres dans un but pédagogique et de la production croisée de peintures et d’ouvrages critiques publications à venir. [↩]Une exposition du musée Liu Haisu de Shanghai a rendu hommage à cette période et plus largement, à la relation unique et durable que le peintre avait nouée avec les paysages du Huangshan août 2019. Une sélection de reproductions des tableaux de cette exposition a été présentée au Centre culturel de Chine à Bruxelles en hiver dernier 2019 sous le titre Le Maître et ses dix pèlerinages au Huangshan – Exposition de la collection du Musée d’art Liu Haisu » afin de commémorer le 90e anniversaire du premier voyage du peintre en Europe. [↩]Cohen 1987, p. 111. [↩]Parmi les sources en langue occidentale, voir en particulier Boissier 1982 et Cantor 2010, Roberts 1997 et 1998 ; parmi les sources chinoises, Pan Gongkai 1979, 1981, 2010, Huang 2007, Yang 2010. [↩]Nom social Dayi大頤; noms d’artiste Shouzhe壽者, A Shou 阿壽et beaucoup d’autres. [↩]Le Shanghai meizhuan 上海美專. [↩]Pan Tianshou, Zhongguo huihua shi 中國繪畫史, 1923, Shanghai renmin meishu chubanshe, 1983. Cet ouvrage est le premier d’une longue série d’écrits sur l’art traditionnel chinois, calligraphie, peinture et gravure de sceaux. [↩]Shanghai Xinhua yizhuan 上海新華藝專. [↩]Le Guoli Xihu yishuyuan 國立西湖藝術院qui allait devenir ultérieurement le Collège national des arts de Hangzhou Guoli Hangzhou yishu zhuanke xuexiao國立杭州藝術專科學校, fondé par Cai Yuanpei. [↩]Guoli yishu zhuanke xuexiao國立藝術專科學校 . [↩]Zhejiang meishu xueyuan浙江美術學院, antérieurement École nationale des arts Guoli yizhuan國立藝專. [↩]“中西艺术是可以互相交流的,但是中西艺术交流的结果是要中国艺术和 西方艺术拉开距离,而不是中国艺术表现的内容或者形貌、形式语言向西方看齐。” Shao 2011. [↩] “中西绘画要 拉开距离,个人风格要有独创性,时代思潮可以有世界性,但表示时代精神的艺术作品、形式风 格还是越多样越好。”ibid. Notre traduction. Sur cette prise de position devenue une formule extrêmement commentée, voir notamment Pan Gonkai 1981 et Shao 2011. [↩]Nakamura Fusetsu, Kojika Seiun 1913. [↩]Liu Haisu, Huangshan tan yilu 黄山谈艺录, Fujian renmin chubanshe 1984, p. 115-124. [↩]Huang 2007. Notre traduction. [↩]Sur l’os, voir Elbaz 2017 2. [↩]Reproduite dans Pan 1979. [↩]Pang Xunqin, Manifeste de l’association tempête », in Magazine d’art décadaire, n° 5, Shanghai, octobre É. Janicot, 1997, p. 175. [↩]Liu 1957 [↩]Xie He propose un résumé des théories picturales en six lois, les fameuses liufa 六法, Six Lois [de la peinture]. [↩]Voici les Six lois notre traduction 六法者何?一,氣韻生動是也;二,骨法用筆是也;三,應物象形是也;四,隨類賦彩是也;五,經營位置是也;六,傳移模寫是也。[En quoi consistent ces six lois ? La première, à animer [l’espace du tableau] en restant en résonance avec le souffle vital ; la seconde, à utiliser le pinceau en recherchant l’ossature ; la troisième, à forger formes et images en accord avec les objets ; la quatrième, à poser avec soin les couleurs en fonction de la catégorie d’objets ; la cinquième, à [placer chaque objet] en ayant une vue d’ensemble de la composition ; la sixième à copier les modèles en perpétuant la tradition.] [↩]怪石尖堆怪石,奇峰外有奇峰,日光崴頂霽影開, 半只翠影接澎台。 Guaishi jiandui guaisi, qifeng waiyou qifeng, riguang weiding jiying kai, banzhi zuiying jiepang tai Notre traduction. [↩] Navigation des articles
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Liste des pièces de collection allemandes en euro Une pièce de collection allemande en euro est une pièce de monnaie libellée en euro et émise par l'Allemagne mais qui n'est pas destinée à circuler[1]. Elle est principalement destinée aux collectionneurs. Cinq instituts monétaires sont chargés de la frappe des pièces de monnaie allemandes. Il s'agit de la Bayerisches Hauptmünzamt D, la Hamburgische Münze J, la Staatliche Münze Berlin A, la Staatliche Münzen Baden-Württemberg F pour celui de Stuttgart et G pour celui de Karlsruhe. Caractéristiques des pièces allemandes de collection L'Allemagne émet chaque année de nombreuses pièces commémoratives dont celles de Valeur Composition Diamètre Poids 10 € Ag 925 mm g Ag 625 mm g CuNi mm g 20 € Or 99,9 % mm g 100 € Or 99,9 % mm g 200 € Or 99,9 % mm g Nombre d'émissions par année Année Nombre de pièces Composition Valeur faciale Or Argent 925 Argent 625 CuNi 200 € 100 € 20 € 10 € 2002 7 2 5 1 1 5 2003 7 1 6 1 6 2004 7 1 6 1 6 2005 7 1 6 1 6 2006 6 1 5 1 5 2007 6 1 5 1 5 2008 6 1 5 1 5 2009 7 1 6 1 6 2010 8 2 6 1 1 6 2011 8 2 6 5 1 1 6 2012 7 2 5 5 1 1 5 Total 76 15 50 11 10 1 11 3 61 Pièces frappées Émissions en 2002 Pièces de 10 € Passage à l'euro[2] Avers La silhouette du continent européen, avec les membres de l'UE en relief et le symbole de l'euro. Autour, la mention ÜBERGANG ZUR WÄHRUNGSUNION - EINFÜHRUNG DES EURO. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2002 et la marque de l'atelier F pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Munich. Artiste Erich Ott de Munich. Tranche IM ZEICHEN DER EINIGUNG EUROPAS. Le centième anniversaire du métro allemand. Avers Le symbole de l'U-Bahn avec des éléments historiques et modernes le Oberbaumbrücke, utilisé par le premier métro allemand et un attelage moderne. Autour, la mention 100 JÄHRE U-BAHN IN DEUTSCHLAND. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2002 et la marque de l'atelier F pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Munich. Tranche HISTORISCH UND ZUKUNFTSWEISEND. L'exposition d'art Documenta tenue à Cassel. Avers La lettre d, logo de la première exposition documenta de 1955; ce logo a été repris pour chaque exposition. Les lignes symbolisent le flux de l'art et de la culture. Les textes DOCUMENTA et KASSEL. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2002 et la marque de l'atelier J pour le Hamburgische Münze de Hambourg. Tranche Le mot ART - KUNST - ... dans différentes langues L'île des musées Museumsinsel de Berlin Avers Une vue de l'ensemble architectural de l'île des Musées. Le nom des tous les musées complète la mention MUSEUMSINSEL et BERLIN. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2002 et la marque de l'atelier A pour le Staatliche Münze Berlin de Berlin. Tranche FREISTÄDTE FÜR KUNST UND WISSENSCHAFT Cinquantième anniversaire de la télévision allemande Deutsches Fernsehen Avers Un écran de télévision avec la mention 50 JAHRE DEUTSCHES FERNSEHEN Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2002 et la marque de l'atelier G pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Karlsruhe. Tranche INFORMATION - BILDUNG - UNTERHALTUNG Pièce de 100 € Passage à l'euro Avers Au centre le symbole de l'euro, au centre de douze étoiles et entouré des ponts repris sur les billets en euros avec la mention ÜBERGANG ZUR WÄHRUNGSUNION - EINFÜHRUNG DES EURO Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2002 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste le graveur allemand Jezovsek, Neuberg Pièce de 200 € Passage à l'euro Avers Au centre le symbole de l'euro, au centre de douze étoiles et entouré des ponts repris sur les billets en euros avec la mention ÜBERGANG ZUR WÄHRUNGSUNION - EINFÜHRUNG DES EURO Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2002 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste le graveur allemand Jezovsek, Neuberg Tranche IM ZEICHEN DER EINIGUNG EUROPAS Émissions en 2003 Pièces de 10 € Centième anniversaire du musée des sciences et des techniques, le Deutsches Museum Avers Profil d'Oskar von Miller et différents éléments du musée, avec la mention 100 JAHRE DEUTSCHES MUSEUM MÜNCHEN. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2003 et la marque de l'atelier D pour le Bayerisches Hauptmünzamt de Munich. Tranche SAMMELN - AUSSTELLEN - FORSCHEN - BILDEN. À l'occasion du 200e anniversaire de la naissance du chimiste Justus von Liebig Avers le portrait de von Liebig avec des éléments reprenant des éléments importants de la chimie agricole, un épi de blé, son laboratoire, une partie du tableau périodique, avec la mention 200. GEBURTSTAG DES CHEMIKERS JUSTUS VON LIEBIG. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2003 et la marque de l'atelier J pour le Hamburgische Münze de Hambourg. Tranche FORSCHEN - LEHREN - ANWENDEN À l'occasion du cinquantième anniversaire du soulèvement populaire du 17 juin 1953. Avers Des traces de chenilles de chars stylisées commémorent le soulèvement populaire du 17 juin; les slogans STREIK grève, NIEDER MIT DEN NORMEN assez des quotas, RÜCKTRITT DER REGIERUNG le gouvernement dehors, DEMOKRATIE démocratie et FREIHEIT liberté. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2003 et la marque de l'atelier A pour le Staatliche Münze Berlin de Berlin. Tranche ERINNERUNG AN DEN VOLKSAUFSTAND IN DER DDR La Ruhr et le paysage industriel Avers La diversité du passé et du présent, l'héritage du charbon et de l'acier et les industries de pointe, avec la mention INDUSTRIELANDSCHAFT RUHRGEBIET. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2003 et la marque de l'atelier F pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Stuttgart. Tranche RUHRPOTT KULTURLANDSCHAFT le 200e anniversaire de la naissance de l'architecte Gottfried Semper Avers Le portrait de l'architecte Gottfried Semper avec le plan partiel du théâtre de Dresde maintenant der heutigen Semperoper et la structure du bâtiment, avec la mention 200. GEBURTSTAG DES BAUMEISTERS GOTTFRIED VON SEMPER. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2003 et la marque de l'atelier G pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Karlsruhe. Tranche ARCHITEKT - FORSCHER - KOSMOPOLIT - DEMOKRAT Coupe du monde de football FIFA 2006 en Allemagne. Avers Carte d'Allemagne dans un ballon de football, avec les légendes FIFA FUSSBALL - WELTMEISTERSCHAFT et DEUTSCHLAND 2006. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO et le millésime 2003 Tranche DIE WELT ZU GAST BEI FREUNDEN et la marque des cinq instituts d'émission A . D . F . G . J Pièce de 100 € Patrimoine culturel mondial de l'UNESCO – Quedlinburg. Avers Des monuments de la ville sur le sceau entouré de la mention UNESCO-WELTKULTURERBESTADT QUEDLINBURG Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2003 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste le graveur allemand Agatha Kill, Köln Émissions en 2004 Pièces de 10 € Coupe du monde de football FIFA 2006 en Allemagne. Avers Un ballon en orbite autour de la terre avec les légendes FIFA FUSSBALL - WELTMEISTERSCHAFT et DEUTSCHLAND 2006. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO et le millésime 2004. Artiste les graveurs allemands Lucia Maria Hardegen face et Erich Ott revers Tranche DIE WELT ZU GAST BEI FREUNDEN et les marques des ateliers de frappe A D F G J Tirage 50 000 exemplaires Le Bauhaus de Dessau école supérieure de design fondée en 1919 Avers Des figures géométriques et la façade du Bauhaus avec les mots BAUHAUS et DESSAU Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2004 et la marque de l'atelier A pour le Staatliche Münze Berlin. Artiste le graveur allemand Heinz Hoyer Tranche KUNST • TECHNIK • LEHRE , Art - Technologie - Éducation Célébration de l'élargissement de l'Union européenne du 1er mai 2004 Avers De façon concentrique et à partir du centre, le nom de tous les États de l'Union européenne avec leur date d'admission et la légende ERWEITERUNG DER EUROPÄISCHEN UNION. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2004 et la marque de l'atelier G pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Karlsruhe. Artiste le graveur allemand Aase Thorsen Tranche FREUDE SCHÖNER GÖTTERFUNKEN, Joie, belle étincelle des dieux Le parc national de Wattenmeer du Land de Schleswig-Holstein Avers Des oies prenant leur envol devant la carte géographique de la côte allemande avec la mention NATIONALPARKE WATTENMEER. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2004 et la marque de l'atelier J pour le Hamburgische Münze. Artiste le graveur allemand Dietrich Dorfstecher Tranche MEERESGRUND TRIFFT HORIZONT , L'océan rencontre l'horizon Commémoration à l'occasion du 200e anniversaire de la naissance du poète Eduard Mörike Avers Portrait du poète Eduard Mörike, avec la légende 200. GEBURTSTAG DES DICHTERS EDUARD MÖRIKE. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2004 et la marque de l'atelier F pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Stuttgart. Artiste le graveur allemand Erich Ott de Munich. Tranche OHNE DAS SCHÖNE • WAS SOLL DER GEWINN , Que serions-nous sans la présence de la beauté ? Le Columbus – La station spatiale internationale européenne ISS Laboratoire Avers Représentation du laboratoire spatial Columbus devant la Terre, avec les légendes COLUMBUS - EUROPAS LABOR FÜR DIE INTERNATIONALE RAUMSTATION ISS. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2004 et la marque de l'atelier D pour le Bayerisches Hauptmünzamt de Munich. Artiste le graveur Frantisek Chochola de Hambourg Tranche RAUMFAHRT VERBINDET DIE WELT, Le voyage dans l'espace unit le monde Pièce de 100 € Le Patrimoine culturel mondial de l'UNESCO – Bamberg. Avers La cathédrale, le Michaelsberg et l'hôtel de ville de la ville de Bamberg avec les légendes UNESCO WELTKULTURERBESTADT BAMBERG. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2004 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste le graveur professeur Ulrich Böhme Tranche Émissions en 2005 Pièces de 10 € Troisième pièce en argent de la série de la Coupe du monde de football FIFA 2006 en Allemagne Avers Deux joueurs de football en train de se battre pour une balle avec les mentions FIFA FUSSBALL - WELTMEISTERSCHAFT et DEUTSCHLAND 2006. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO et le millésime 2005. Artiste les graveurs allemands Lucia Maria Hardegen face et Erich Ott revers Tranche DIE WELT ZU GAST BEI FREUNDEN et les marques des ateliers de frappe A D F G J Le parc national de Wald du Land de Bavière Avers une vue du parc naturel et la mention BAYERISCHER WALD NATIONAL PARK. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2005 et la marque de l'atelier A, pour le Bayerisches Hauptmünzamt de Munich. Artiste Le graveur allemand Bodo Broschat, Berlin. Tranche GRENZENLOSE WALDWILDNIS Le deux centième anniversaire de la mort du poète et écrivain Friedrich von Schiller. Avers Le portrait de l'écrivain Friedrich von Schiller, avec autour les titres de ses principaux ouvrages Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2005 et la marque de l'atelier G, pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Karlsruhe. Artiste Le graveur allemand Carsten Theumer, Höhnstedt Tranche ERNST IST DAS LEBEN HEITER IST DIE KUNST Albert Einstein 100 ans de relativité - E=MC² Avers La formule de la relativité E=MC² avec le nom de son inventeur ALBERT EINSTEIN et la mention 100 JAHRE RELATIVITAT ATOME QUANTEN Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2005 et la marque de l'atelier J, pour le Hamburgische Münze. Artiste Le graveur allemand Heinz Hoyer, Berlin Tranche NICHT AUFHÖREN ZU FRAGEN Magdeburg - 1200 ans Avers La cathédrale datant du XIIIe siècle avec les mentions MAGDEBURG et 1200 JAHRE. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2005 et la marque de l'atelier A, pour le Staatliche Münze Berlin. Artiste Le graveur allemand Heinz Hoyer, Berlin Tranche MAGADOBURG 805 - MAGDEBURG 2005 Centenaire du prix Nobel de la Paix de Bertha von Suttner Avers Le portrait de la jeune femme avec les mentions DIE WAFFEN NIEDER ! et 100 JAHRESTAG FRIEDENSNOBELPREIS FÜR BERTHA VON SUTTNER. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2005 et la marque de l'atelier F, pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg, Stuttgart. Artiste Le graveur allemand Bodo Broschat, Berlin Tranche EIPHNH PAX FRIEDEN EIPHNH PAX FRIEDEN Pièce de 100 € Pièce en or de la série de la Coupe du monde de football FIFA 2006 en Allemagne Avers Un ballon au milieu d'un stade rempli de supporters. En légende, les mentions FIFA FUSSBALL - WELTMEISTERSCHAFT et DEUTSCHLAND 2006. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2005 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste les graveurs allemands Heinz Hoyer face et Erich Ott revers Tranche Émissions en 2006 Pièces de 10 € 250e anniversaire de la naissance de Wolfgang Amadeus Mozart Avers Le buste de l'artiste avec la mention WOLFGANG AMADEUS MOZART et les dates 1756-1791. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2006et la marque de l'atelier D pour le Bayerisches Hauptmünzamt de Munich. Artiste le graveur allemand Jordi Regel Tranche MOZART - DIE WELT HAT EINEN SINN Quatrième pièce en argent de la série de la Coupe du monde de football FIFA 2006 en Allemagne Avers la porte de Brandebourg sur un ballon centré sur une mappemonde avec les mentions FIFA FUSSBALL - WELTMEISTERSCHAFT et DEUTSCHLAND 2006. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO et le millésime 2006 Artiste les graveurs allemands Lucia Maria Hardegen de Bonn pour l'avers et Erich Ott de Munich pour le revers Tranche DIE WELT ZU GAST BEI FREUNDEN et la marque d'un des différents ateliers A D F G J 225e anniversaire de Karl Friedrich Schinkel, peintre et architecte prussien Avers un maçon utilisant une équerre devant un mur avec les mentions KARL FRIEDRICH SCHINKEL et les dates 1781 – 1841. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2006et la marque de l'atelier Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Munich F Artiste le graveur allemand Axel Bertram Tranche DER MENSCH BILDE SICH IN ALLEM SCHÖN Les 800 ans de la ville de Dresde Avers une vue des principaux bâtiments de la ville de Dresde l'église Notre-Dame, le palais Cosel… le long de l'Elbe avec les mentions 800 JAHRE DRESDEN et la date 2006. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2006et la marque de l'atelier Staatliche Münze Berlin de Berlin A Artiste le graveur allemand Heinz Hoyer Tranche Les 650 ans de la ligue hanséatique Avers La vue d'un bateau de commerce du Moyen Âge avec les mentions 650 JAHRE STÄDEHANSE. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2006et la marque de l'atelier Hamburgische Münze J Artiste le graveur allemand Erich Ott Tranche WANDEL DURCH HANDEL - VON DER HANSE NACH EUROPA Pièce de 100 € Patrimoine culturel mondial de l'UNESCO – Weimar. Avers Des monuments de la ville de Weimar avec les légendes UNESCO WELTKULTURERBESTADT WEIMAR. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2006 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste Le graveur allemand Dietrich Dorfstecher Tranche Émissions en 2007 Pièces de 10 € 50e anniversaire de la réintégration de la Sarre à l'Allemagne Avers Une vue de la ville avec, en avant plan, quatre profils et la mention 50 JAHRE BUNDESLAND SAARLAND. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2007 et la marque de l'atelier G pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Karlsruhe. Artiste le graveur allemand Erika Binz-Blanke de Baden-Baden Tranche DEUTSCHLAND * FRANKREICH * EUROPA 50e anniversaire du Traité de Rome Avers Une représentation des premiers États de l'Europe dans des cercles concentriques d'étoiles avec la mention 50 JAHRE RÖMISCHE VERTRÄGE. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO et le millésime 2007 et la marque de l'atelier F pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Munich. Artiste le graveur allemand Carsten Mahn, Berlin Tranche EUROPÄISCHE UNION o IN VIELFALT GEEINT 175e anniversaire de la naissance de Wilhelm Busch, dessinateur et poète Avers Le portrait du poète avec son nom WILHELM BUSCH et les dates 1832 – 1908. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2007 et la marque de la Bayerisches Hauptmünzamt de Munich,D Artiste le graveur allemand Othmar Kukula, Neuhausen Tranche WER RUDERT, SIEHT DEN GRUND NICHT Le cinquantième anniversaire de la Deutsche Bundesbank Avers des bâtiments modernes devant un graphique avec la mention 50 JAHRE DEUTSCHE BUNDESBANK. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2007 et la marque de l'atelier J pour le Hamburgische Münze de Hambourg. Artiste le graveur allemand Susanne Kraißer, Brême Tranche PREISSTABILITÄT GEWÄHRLEISTEN Le 800e anniversaire de la naissance d'Élisabeth de Hongrie Avers Une représentation de Sainte Élisabeth de Hongrie, encadrée de deux pauvres, d'un château et d'une église avec la mention 800 GEBURSTAG ELISABETH VON THÜRINGEN. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2007 et la marque de l'atelier A pour le Staatliche Münze Berlin de Berlin. Artiste le graveur allemand Barbara G. Ruppel, Krailling Tranche WIR SOLLEN DIE MENSCHEN FROH MACHEN Pièce de 100 € Patrimoine culturel mondial de l'UNESCO – Lübeck. Avers Une vue de la ville de Lübeck avec les sept tours visibles entourée de la légende UNESCO WELTKULTURERBESTADT LÜBECK. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2007 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste Le graveur allemand Bodo Broschat Émissions en 2008 Pièces de 10 € 200e anniversaire de la naissance du poète et peintre allemand romantique Carl Spitzweg Avers La représentation d'une de ses œuvres, le pauvre poète et la mention CARL SPITZWEG 1808-1885. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2008 et la marque de la Bayerisches Hauptmünzamt de Munich,D. Artiste le graveur allemand Hannes Bauer, Schönbrunn-Steinsdorf Tranche ACH, DIE VERGANGENHEIT IST SCHÖN 150e anniversaire de la naissance de Max Planck Avers Le portrait de Max Planck, une représentation du spectres de rayonnement avec la mention MAX PLANCK - 50 JAHRE GEBURTSTAG. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO et le millésime 2008 et la marque de l'atelier F pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Munich. Artiste le graveur allemand Michael Otto, Rodenbach Tranche DEM ANWENDEN MUSS DAS ERKENNEN VORAUSGEHEN 125eanniversaire de la naissance de Franz Kafka Avers Le portrait de Franz Kafka, à côté du dôme de la cathédrale St. Vitus Katedrála svatého Víta de Prague avec la mention FRANZ KAFKA - 1883-1924. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2008 et la marque de l'atelier G pour le Staatliche Münzen Baden-Württemberg de Karlsruhe. Artiste le graveur allemand Frantisek Chochola, Hambourg Tranche EIN KÄFIG GING EINEN VOGEL SUCHEN Les cinquante ans du navire-école Gorch Fock II Avers Le navire-école avec la mention 50 JAHRE GORCH FOCK. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2008 et la marque de l'atelier J pour le Hamburgische Münze de Hambourg. Artiste le graveur allemand Frantisek Chochola, Hambourg Tranche SEEFAHRT IST NOT Le disque de Nebra Avers Le disque de Nebra avec la mention HIMMELSSCHEIBE VON NEBRA Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 10 EURO, le millésime 2008 et la marque de l'atelier A pour le Staatliche Münze Berlin. Artiste le graveur allemand Bodo Broschat, Berlin Tranche DER GESCHMIEDETE HIMMEL IM HERZEN EUROPAS Pièce de 100 € Patrimoine mondial de l'UNESCO – Goslar. Avers Une vue de la ville de Goslar entourée de la légende UNESCO WELTERRBE GOSLAR. Revers L'aigle allemand, les douze étoiles de l'UE, la mention BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND, la valeur faciale 100 EURO, le millésime 2007 et les marques des ateliers de frappe A D F G J. Artiste Le graveur allemand Wolfgang Th. Doehm, Stuttgart Références ↑ Communication sur la recommandation de la Commission du 29 septembre 2003 définissant une pratique commune pour la modification du dessin des faces nationales des pièces en euros destinées à la circulation. Annexe Définition des pièces de monnaie en euros. In Journal officiel de l'union européenne, 2003/C 247/03, 15 octobre 2003 ↑ La pièce de 10-Euro-2002 - Einführung des Euro - Übergang zur Währungsunion sur le site du Bundesministerium der Finanzen [1] Pièces en euro Par valeur faciale Pièces courantes 1 centime 2 centimes 5 centimes 10 centimes 20 centimes 50 centimes 1 euro 2 euros Pièces commémoratives 2 euros commémoratifs 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, 2021, 2022 5 euros 10 euros Pièces circulantespar pays Membres de l'UE Allemagne Autriche Belgique Chypre Espagne Estonie Finlande France Grèce Irlande Italie Lettonie Lituanie Luxembourg Malte Pays-Bas Portugal Slovaquie Slovénie Hors-UE Andorre Monaco Saint-Marin Vatican Pièces de collectionpar pays Membres de l'UE Allemagne Autriche Belgique Chypre Espagne Estonie Finlande France 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018 Grèce Irlande Italie Lettonie Lituanie Luxembourg Malte Pays-Bas Portugal Slovaquie Slovénie Hors-UE Andorre Monaco Saint-Marin Vatican Séries monétaires Pièces de 2 € Traité de Rome 2007 Union économique et monétaire 2009 Introduction des billets et des pièces en euro 2012 Drapeau européen 2015 Länder 2006-2022 Patrimoine UNESCO 2010- Régions 2016-2018 Histoire constitutionnelle 2011-2015 Enfants en solidarité 2016-2020 Sites préhistoriques 2016-2022 Pièces de collection Europa Star 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017, 2018 Régions Valeurs de la République Euro Zone euro Tirage des pièces en euros Catégories Liste en rapport avec l'AllemagnePièce de collection en euroPièce de monnaie allemandeRelations entre l'Allemagne et l'Union européenneDernière mise à jour du contenu le 30/03/2021.
PIÈCEDE MONNAIE de 2 euros -Allemagne - Collection - l'euro 2002-2012 - EUR 3,50. À VENDRE! Pièce 2 euro Bundesrepublik Deutschland -l'euro -2012. Pièce de circulation. 294480033990
Numista › Pièces › Allemagne › Allemagne, République fédérale d' Caractéristiques Emetteur République fédérale d'Allemagne Période République fédérale 1949-présent Type Pièce circulante commémorative Date 2012 Valeur 2 euros 2 EUR = 74 UAH Devise Euro 2002-présent Composition Bimétallique centre en nickel recouvert de laiton de nickel et anneau en cupronickel Poids 8,5 g Diamètre 25,75 mm Epaisseur 2,2 mm Forme Ronde Technique Frappe à la presse Orientation Frappe médaille ↑↑ Numéro N 28321 Numista type number Références KM 306, Tracy L. Schmidt editor; 2019. Standard Catalog of World Coins / 2001-Date 14th edition. Krause Publications, Stevens Point, Wisconsin, USA. Et 5 autres volumes. J 567, Kurt Jaeger, Michael Kurt Sonntag; 2019. Die deutschen Münzen seit 1871 mit Prägezahlen und Bewertungen 26th edition. Battenberg Gietl Verlag, Regenstauf, Germany. Schön 296 Gerhard Schön; 2018. Weltmünzkatalog / 20. Jahrhundert 1901-2000 46. Auflage. Battenberg Gietl Verlag, Regenstauf, Germany. Et 2 autres volumes. Pièce commémorative 10e anniversaire de la mise en circulation de l'euro 2002-2012. Avers La pièce représente la place qu'occupe l'euro après 10 ans de circulation dans la zone euro. Au centre de la pièce est représenté la Terre avec le symbole "€". Tout autour de la planète sont représentés par différents symboles des acteurs économiques la Banque centrale européenne par le siège de la BCE, l'écologie et l'énergie par les éoliennes, les industries avec l'usine, les villes par les habitations, les citoyens européens par les personnages et le commerce par le bateau. La pièce est émise par chaque pays de la zone euro et porte son nom dans la ou les langues du pays ainsi que les dates "2002 2012" . L'anneau externe de la pièce représente les douze étoiles du drapeau européen. Le graphisme a été choisi parmi cinq dessins présélectionnés par les citoyens et résidents de l’Union européenne, qui ont voté en ligne. Il est l’œuvre de Helmut Andexlinger, concepteur professionnel à la Monnaie autrichienne. Ses initiales " sont présentes sous la représentation du siège de la BCE. Écriture Latin Inscription BUNDESREPUBLIK DEUTSCHLAND € 2002 2012 J Graveur Helmut Andexlinger Helmut Andexlinger 1973, Haslach an der Mühl, Upper Austria is an Austrian engraver and coin designer. Revers Une carte du continent européen est représentée sur une toile dynamique composée des douze étoiles de l'Union européenne. Écriture Latin Inscription 2 EURO LL Graveur Luc Luycx Luc Luycx, né le 11 avril 1958 à Alost, dans la province belge de Flandre-Occidentale, est un dessinateur belge de médailles et de monnaies. Tranche Gravure sur cannelures fines l'inscription "EINIGKEIT UND RECHT UND FREIHEIT" unité, droit et liberté. Écriture Latin Inscription EINIGKEIT UND RECHT UND FREIHEIT © Cyrillius Ateliers monétaires Voir aussi Carte Industrie Gestion de ma collection Veuillez vous connecter ou inscrivez-vous pour gérer votre collection. Date Tirage AB B TB TTB SUP SPL FDC Fréquence 2012 A 6 000 000 74 74 74 74 74 92 111 49% 2012 A 100 000 222 1,2% BE 2012 A 45 000 148 1,2% BU 2012 D 6 300 000 74 74 74 74 74 114 114 42% 2012 D 100 000 222 1,0% BE 2012 D 45 000 148 1,2% BU 2012 F 7 200 000 74 74 74 74 74 112 112 48% 2012 F 100 000 222 1,1% BE 2012 F 45 000 148 1,2% BU 2012 G 4 200 000 74 74 74 74 131 131 36% 2012 G 100 000 222 1,1% BE 2012 G 45 000 148 1,2% BU 2012 J 6 300 000 74 74 74 74 74 94 111 43% 2012 J 100 000 222 1,1% BE 2012 J 45 000 148 1,5% BU Les valeurs dans le tableau ci-dessus sont exprimées en UAH. Elles sont basées sur les évaluations des membres de Numista et sur des ventes réalisées sur Internet. Elles servent seulement d'indication ; elles ne sont pas destinées à définir un prix pour acheter, vendre ou échanger. Numista n'achète et ne vend pas de pièces ou billets. Les fréquences représentent le pourcentage d'utilisateurs de Numista qui possèdent chaque année ou variété parmi tous ceux qui possèdent cette pièce. Comme certains utilisateurs possèdent plusieurs années, le total peut être supérieur à 100%. Obtenir cette pièce Des membres du site désirent l'échanger ElRadical, schnullsch, Hans Moeads, meerma, Amateur777, Roberto-9558, Pierrelain28, numistik21, Gerreke, katcha, Lobis, brune33, cofon, Facundo, Luis Mari, MaximeB, mowc, marley, ETN, Lex Idenburg, kezzerdrix, NicktheGreek, vareshkin, gianca, BlackOpenAir, mickey, escolapioto, berekin, luigi f, Baboune01 … Évaluation ×30Pays FinlandeLangues parlées Évaluation ×14Pays AllemagneLangues parlées Évaluation ×196Pays AllemagneLangues parlées Évaluation ×94Pays Pays-BasLangues parlées Évaluation ×4Pays FranceLangues parlées Évaluation ×48Pays ItalieLangues parlées Évaluation ×231Pays FranceLangues parlées Évaluation ×9Pays FranceLangues parlées Évaluation ×274Pays Pays-BasLangues parlées Évaluation ×156Pays SlovénieLangues parlées Évaluation ×23Pays LituanieLangues parlées Évaluation ×6Pays ChiliLangues parlées Évaluation ×216Pays Saint-Pierre-et-MiquelonLangues parlées Évaluation ×30Pays EspagneLangues parlées Évaluation ×26Pays EspagneLangues parlées Évaluation ×28Pays FranceLangues parlées Évaluation ×141Pays ChypreLangues parlées Évaluation ×48Pays FranceLangues parlées Évaluation aucunePays ItalieLangues parlées Évaluation ×28Pays Pays-BasLangues parlées Évaluation ×37Pays SlovénieLangues parlées Évaluation ×402Pays PortugalLangues parlées Évaluation ×143Pays GrèceLangues parlées Évaluation aucunePays AllemagneLangues parlées Évaluation ×13Pays ItalieLangues parlées Évaluation ×60Pays PortugalLangues parlées Évaluation ×12Pays FranceLangues parlées Évaluation ×45Pays EspagneLangues parlées Évaluation ×289Pays CroatieLangues parlées Évaluation ×73Pays ItalieLangues parlées Évaluation ×9Pays FranceLangues parlées » Voir le détail des pièces disponibles à l'échange Indice de rareté Numista 5 Conseils d'utilisation Cet indice, entre 0 et 100, est calculé en fonction des collections des membres de Numista. Un indice proche de 100 indique que la pièce ou le billet est rare parmi les membres de Numista, tandis qu'un indice proche de 0 indique que la pièce ou le billet est plutôt courant. » Acheter des pièces de la République fédérale d'Allemagne sur eBay Contribuer au catalogue Modifier ou ajouter des informations sur cette page Enregistrer une vente aux enchères Duplicate this page
Valeur 2. 1. Avis client. et plus. 6. et plus. 7. et plus. 7. et plus. 7. Accueil. Art & Collection . Numismatique. 2 euros allemagne 2008; 2 Euros Allemagne 2008. Collectionneurs, avez-vous une pièce 2 euros d'Allemagne de 2008 ? Consulter nos offres sur Rakuten pour acheter moins cher vos monnaies, en toute facilité. Lorsque vous étiez étudiant, vous avez vécu un an à
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Comme vous devez vous en douter, il existe de nombreuses personnes collectionnant les pièces de monnaies et plus particulièrement lâeuro. OO. Inscription Date de création. En 2018, une pièce de 2 euros a été frappée en lâhonneur de Simone Veil, un personnage primordial de la République. Lâoccasion pour nous de revenir sur cette édition limitée et sa valeur actuelle. Simone Veil a fait les grandes heures de la République, et son nom est à jamais gravé dans les textes de loi qui régissent notre quotidien. Avec un talent certain, Maurice Szafran réussit à faire ressortir les traits principaux de ce grand commis de lâÉtat ; depuis son enfance à Nice, jusquâaux salons dorés de lâÉlysée. NEUVE. 2 centimes dâeuro Première série, 2001-2005. 676 sujets dans ce forum. 6,00 EUR. Une véritable pièce grecque de 2 euros est proposée jusqu'à fois sa valeur sur eBay car elle possède étrange "S" au milieu d'une de ces étoiles. Réussite au Brevet. 2,80 EUR de frais de livraison. La Monnaie de Paris a prévu de mettre en circulation la nouvelle pièce de 2 euro commémorative consacrée à Simone Veil le 19 juin 2018. Qualité BU. Simone Veil - 2 euro commémorative. Ce sont essentiellement des pièces identiques, aux propriétés similaires aux pièces de 2 euros ordinaires, mais dâun aspect différent, selon lâévénement commémoré. Cotations valablent pour des monnaies neuves - sans rayure ni choc Nouvellement arrivé les 2 euro Allemagne 2021 "Sachsen-Anhalt", la 2 euro Portugal 2021 JO de Tokyo ainsi que la 2 euro Lituanie Dzukija. Avec cette nouvelle 2 Euro commémorative, la France rend un hommage historique à la LIBERTÉ symbolisée par un portrait de Marianne portant le bonnet phrygien et la cocarde nationale ainsi ⦠Pièce de 2⬠2015 Marianne / La République â valeur 2 à 3 euros en très bon état. Ce traité marque lâun des jalons majeurs de la réconciliation entre la France et lâAllemagne. Une pièce de 2 euros de lâÉtat de la papauté produite en 2002, 2003 et 2004 sont estimées à⦠100 euros. 2017. Frappé par la Monnaie de Paris Graveur Robert Cochet Émis en janvier 2002. Aujourd'hui sur Rakuten, 295 Piece 2 Euro Simone Veil vous attendent au sein de notre rayon . Pour l'année 2021 ,il est déja annoncé pas moins de 25 pièces de 2 euro commémoratives., découvrez toutes les pièces de 2 euro commémoratives 2021 ainsi que leurs visuels. 2 EUR = 2,43 USD. Simone Veil, née Jacob, est décédée en juin 2017 à lââge de 89 ans. Elle vaut environ 60 euros. Frappe UNC + BU ⦠Simone Veil Monnaie de 2⬠Commémorative Qualité BE Millésime 2018 Icône de la lutte pour le droit des femmes, Simone Veil née Jacob, nous a quitté en juin 2017 à lââge de 89 ans. EUR 4,00. Pièce de 2⬠François Mitterand â monnaie très courante, valeur 2 euros. 1 pièce FRANCE 2020 - Recherche Médicale Belle Épreuve Cotations des pièces de 2 euros commémoratives de 2016. En 2007, la pièce monégasque de 2 EUR qui commémore le 25 e anniversaire du décès de la Princesse Grace a été frappée à seulement exemplaires. Cette monnaie de 2 euro commémorative Simone Veil a subi de nombreuses modifications comme vous pouvez le voir ci-dessus. Icône de la lutte pour le droit des femmes, Simone Veil née Jacob, nous a quitté en juin 2017 à lââge de 89 ans. FRANCE, pièce 2 Euros commémorative 2018, Simone Veil Complétez votre collection de monnaies Françaises de 2 Euros 2004 à nos jours Collection numismatique monnaie euros Bienvenue, Connexion Contactez-nous. Commencer un nouveau sujet. Les pièces de 2 euro d'Andorre et de Saint Marin sont beaucoup plus abordables. De quoi nourrir vos convictions personnelles avec la référence Piece 2 Euro Simone Veil si la seconde main fait partie intégrante de vos habitudes d'achat. Il n'en reste plus qu'un ! 7,90 â¬. Mais elles aussi sont représentatives des évènements, des femmes et hommes et des symboles européens. 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La face de cette monnaie de 2⬠présente un portrait de Simone Veil ; sur son col figure son matricule de déportée. Lâarrière-plan représente le parlement européen dans lequel figurent ses dates clefs, son nom et la mention RF. Cela arrive que des pièces se revendent bien plus cher que leur valeur. ou Offre directe. Qualité de frappe Et depuis 2004 elles nous racontent également lâhistoire de lâ pièces de 2 euro commémoratives sont un reflet incomparable de l'histoire européenne. Et cela, aussi bien du côté du neuf que des produits Piece 2 Euro Simone Veil occasion. Il ne reste plus que 7 exemplaire s en stock d'autres exemplaires sont en cours d'acheminement. Au Vatican, câest carrément le jackpot. BLISTER 2 EURO VATICAN 2018 ANNEE EUROPEENNE PATRIMOINE CULTUREL COMMEMORATIVE. Trier par. con el fin de guardar en las mejores condiciones sus monedas de 2 Euro conmemorativa La maison du collectionneur le propone el maletín para 144 monedas 2 Euro de Safe. 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Piece de 2 Euro Rare Simone Veil 1927-2017. moneda conmemorativa 2 euros Francia 2018 Simone Veil [2â¬veil18] ... Es una figura simbólica de la despenalización del aborto, por la que luchó con la ley que lleva su nombre y que se votó en 1975. par Simone Veil Poche. La zone Euro autorise chaque pays membre à façonner une pièce de 2 euros commémorative, une fois par an, en hommage à un événement historique. Tirage - Source Banque centrale européenne Le nombre d'exemplaire comprend toutes les frappes Frappe courante et/ou Brillant universel et/ou Belle Epreuve. 2 Euros Commémorative ITALIE 2015. 2 Euro Duo BU + BE France 2018 - Simone Veil. Leur valeur s'échelonne entre 25 et 35 euro. A Monaco la cotation d'une 2 ⬠est élevée - 10 euros minimum pour les pièces 2001, 2001, 2003, 2011 et 2012 selon le site Info-collection. Cette pièce a été fabriquée en un million d'exemplaires pour fêter l'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux Etats membres. Qualité UNC non circulé. 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